Pâques 2013

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Pâques 2013

En ces temps bénis où saint François renaiît parmi nous, il m'est agréable de rappeler, de façon peut-être un peu orientée – qui ne l'est pas? –, les grandes lignes et le contenu de ce qui, au fil des siècles, s'est appelé judaïsme et christianisme. Loin de la "laïcité positive", concept creux des analphabètes, entreprenons en ce temps de Pâques, un court voyage au cœur du christianisme et du judaïsme "positifs".

Le judaïsme, par la voix de ses prophètes, nous prépara à la venue d'un Messie. Daniel, 164 ans av JC, chapitre 7, nous parle de ses visions nocturnes: "Et voici qu´avec les nuées du ciel venait comme un fils d´homme. A lui furent données la domination, la gloire, et le règne, et tous les peuples, les nations, et les langues le servirent. Sa domination est éternelle et ne passera pas, et son royaume ne sera pas détruit". Osée (VI, 2) mentionne la résurrection telle que nous la décrivent les Evangiles au sujet de Jésus : « Il (Iahvé) nous fera revivre après deux jours; au troisième jour il nous ressuscitera et nous revivrons devant lui ». Ces annonces, et beaucoup d'autres du même genre, semblent dérisoires aux hommes de notre temps assaillis par le malheur et par le doute. On peut cependant les tenir pour l'exhortation morale du peuple juif au courage et à la patience. En revanche, pour le chrétien le Messie est venu, a vécu parmi nous. Le Dieu s'est fait homme et a donné sa vie pour racheter le péché du monde contracté en Eden par le premier couple désuni de l'histoire. Mais pour lui aussi, s'il se laisse abasourdir par le bruit et la fureur de ces derniers 2013 ans, ce rachat parait problématique. Emettons pourtant l'hypothèse qu'il a lieu mais qu'il est progressif, demande du temps. Qu'est-ce que deux mille ans à l'échelle de l'histoire des hommes et de la planète? Donc cet argument du temps, de l'impatience des hommes, de leurs crimes qui toujours se perpétuent malgré le rachat, adoucit le pessimisme d'une attente jamais satisfaite. Il ne prouve certes pas que le Messie est venu mais laisse une porte ouverte. Admettons donc, pour ne pas offenser l'avenir, que le rachat ait besoin de quelques millénaires de plus pour s'inscrire dans ce que les savants appellent les gènes, et les docteurs en théologie l'âme humaine. Si bien que, si le Messie n'est pas encore venu comme le pensent les Juifs, ou le contraire, comme le disent les chrétiens, cela ne change pas grand-chose à l'apparence de notre vie. Elle va cahin-caha vers un avenir obscur. Sartre, qui n'était ni Juif ni chrétien, à la fin de sa vie le disait à celui qui devint Benny Levi et fit l’alyah: "Ce qu’est un homme n’est pas encore établi. Nous ne sommes pas des hommes complets, nous sommes des sous-hommes, c’est à dire des êtres qui ne sont pas parvenus à une fin, qu’ils n’atteindront peut être jamais, mais vers laquelle ils vont". D'où il apparaît que les Juifs et les chrétiens auraient tout intérêt à s'entendre puisque les premiers, tout en semblant dire le contraire des seconds, disent la même chose. L'Homme, avec ou sans Messie, n'existe pas. Il n'y a que des sous-hommes.

En 2004, le scandale "judéo-christique" provoqué par le film de Mel Gibson sur Jésus avait soulevé dans les deux camps l'ire des ignorants et des fanatiques qui sont les mêmes. La contribution des spécialistes ne fut pas non plus apaisante. Souhaitant calmer les passions, ils les attisèrent. Mais tout cela avait un but, but qu'un enfant de douze ans comprend: la propagande, la publicité de chacun pour sa boutique. – Les Juifs sont les meilleurs, espèce de goy! – Mais non, youpin, c'est les Chrétiens, tu n'es qu'un imposteur! etc... Voyons ça de plus haut avec Saint Augustin. Il définissait le futur non comme quelque chose vers quoi nous allons mais comme Dieu venant vers nous. Faisons l'histoire de cet à rebours et projetons-nous dans le temps à la place des hommes de l'an disons de 2436, et essayons de penser dans la tête des penseurs et des historiens de cette époque pour comprendre ce qui, à la fin du vingtième siècle, a poussé Vatican II à absoudre les Juifs du "péché de déicide". La chose en effet n'est pas si simple que les spécialistes mentionnés plus haut veulent bien le dire. Pour les Chrétiens, si Jésus-Christ n´avait pas été rejeté et condamné par les Juifs, sa résurrection eût été moins sublime et moins significative. Elle effaça les injures et les crachats subis par ce dieu-homme de trente trois ans et lui donna à posteriori raison. Jésus-Christ mourant dans sa quatre vingt neuvième année après une vie exemplaire de prophéties et d'aumônes et ressuscitant ensuite, eût été considéré comme un Eli de pacotille, n'eut pas récolté la même universelle adoration. L'infamie de sa mort répondait à sa naissance misérable dans une mangeoire. Sans elle, l'étoile chrétienne aurait brillé moins fort dans la nuit du Monde. C'est pourtant à peu près ce que disent les Mahométans qui affirment que la crucifixion de JC n'a jamais eu lieu. Dit encore autrement, un accident sur une route poudreuse de Judée-Samarie, n’aurait pas eu le même effet non plus. Une maladie infectieuse, encore moins. Il fallait rejet, haine et décision humaine d'immoler. Il fallait une victime "à l'Isaac" mais que cette fois il n'y eut point de cabri. D'après les données admises par tous, deux compères se partagèrent le travail : les Juifs condamnèrent l’hérétique à mort et les Romains prêtèrent leur tradition humaniste en ayant l’air de dire "si ça peut vous faire plaisir qu´on vous crucifie celui-là plutôt que l’autre, le Jésus de Nazareth plutôt que le Jésus Barrabas – qui est lui un vrai criminel – si vous y tenez, vous devez avoir vos raisons, nous on s´en moque, Barrabas ne perdra rien pour attendre". Le supplice de l'Innocent se fit. Par dérision, les Romains le couronnèrent roi des Juifs, INRI. Son sang coula sur la terre. Les cieux se fendirent et le tombeau fut déserté, tandis que sur les chemins de Palestine et de Syrie d'aucuns aperçurent un homme méconnaissable qui était simplement un dieu en son "corps de gloire". De ce miracle réservé aux happy few, mais dédié à tous les hommes, jaillit, à travers l'institution romaine, l'église de Pierre : Tu es Petrus et super hanc petram aedificabo ecclesiam meam. D'un autre côté, le temple abattu, Jérusalem détruit par Titus, les Juifs vaincus et humiliés, firent que la synagogue se répandit elle aussi sur toute la terre. Il y eut diaspora des corps juifs et diaspora de l'idée chrétienne. Ces frères, nés du même père, ne s'aimèrent pourtant pas beaucoup alors qu'ils étaient tous deux marchands du temple et pratiquaient l'usure, l'un de l'argent, l'autre des indulgences. Ainsi, bon an mal an, on arriva aux douze années noires de 1933 à 1945 où les Juifs se demandèrent quelle faute ils avaient bien pu commettre pour que le dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob laissa faire. L'horreur digérée, l'assassinat condamné par les nations, le judaïsme réhabilité, nos frères juifs crurent le moment venu de relever la tête qu'ils tenaient baissée. Tandis qu'Israël naissait, des voix puissantes se firent entendre pour honnir, condamner et rendre hommage. Des évêques exprimèrent leur compassion, des rabbins dirent du bien des chrétiens, des intellectuels gauchistes se convertirent et "montèrent à Sion". Une concurrence bon enfant s'installa entre les deux monothéismes. Pourtant, le feu de la discorde couvait. Les demandes de pardon étaient toujours jugées insuffisantes et, dans les années qui suivirent le Nostra Aetate papal qui affirmait que "ce qui a été commis durant la Passion du Christ ne peut être imputé ni indistinctement à tous les juifs vivant alors, ni aux juifs de notre temps," l'atmosphère resta lourde. En 2000, le voyage de Jean Paul II en terre sainte acheva de convaincre les Juifs que Sion allait se couvrir de jaspe, d'émeraude et de rubis. On le vit bien au moment de la sortie du film de Mel Gibson, ce Lanzmann du christianisme, ce Finkielkraut de la blanchitude. Des rabbins, des intellos à la mèche rebelle, au décolleté pimpant, des politiques moisis, des prix Nobel de barrière, se levèrent comme un seul homme pour demander que l'on cessât enfin d'imputer aux Juifs la mort de ce Ieschoua baptisé post mortem d'un nom grec. Ils vociférèrent que ce Juif avait été tué par les Romains qui d'ailleurs, comme on l'apprend à l'école laïque, sont plus des brutes que des juristes.

Pourtant, du profond des caves du Vatican, des éminences grises s'étonnent de voir que, malgré la définitive mise au point du Nostra Aetate, les Juifs de notre temps veulent toujours s´innocenter de l'assassinat d´un prophète qu´ils ne reconnaissent même pas et, quand ils le reconnaissent, se moquent de lui. « Il a mangé son plat en public », disent-ils. Ces éminences, qui savent l´histoire d'Israël sur le bout du doigt, savent qu'un prophète maltraité de plus ou de moins – ou même tué – ça ne change pas les fondamentaux de l´histoire juive qui regorge de ces meurtres ou appels au meurtre contre des prophètes ou des rois impies. Pourquoi se dirent-ils, les Juifs veulent ils encore être innocentés de la mort de celui-là alors que nous les avons déjà innocentés ? Ne serait-ce pas parce qu’Il est reconnu, par le monde entier, et par les Juifs eux-mêmes, comme le fondateur de notre religion? C'est ainsi qu'une délégation de dignitaires mitrés se mit en route pour la Synagogue afin encore une fois de débattre. Voici ce qu'il leur fut en substance répondu par les rusés rabbins: « Que vous clamiez dans vos lectures bibliques que nous tuons nos prophètes ça passe, c'est écrit en toute lettre dans la Thora, on ne peut le nier, mais que vous ayez l´impudence de prétendre que par un seul de nos actes nous avons fondé une religion concurrente de la nôtre, là ça ne passe plus! Nous sommes un peu pervers comme vous, mais pas à ce point! » Les dignitaires comprirent alors que pour les Juifs l'important ce n'était pas la mort d'un homme, fut-il Dieu, c'était de ne pas passer pour ceux qui avaient créé le christianisme. Qu'il fallait laisser ce rôle aux Romains qui, eux, de toute façon, l´ont digéré ce christianisme, alors que les Juifs l'ont vomi. L'idée que seuls des criminels aussi froids que les Romains auraient pu avoir l’audace de prendre une de leurs victimes pour un Dieu, traversa l'esprit d'un cardinal. Il se jura alors de proposer au prochain Concile, de punir ces perfides en leur enlevant l'Italie et en la donnant par exemple aux Gaulois. Le différent évacué, leurs éminences firent toutefois remarquer aux rabbins que « l’accusation était trop commode puisque les Romains n'étaient plus là pour se défendre tandis que eux les Juifs, il était vital pour leur communauté – prétendue de sang –, de faire croire qu'ils y sont ». Le rabbinat opina mais demanda à ce que l'information fut classée confidentielle.

L'affaire n'en resta pas là. Ayant eu par des contacts à la Curie l'heur de lire le protocole de la réunion, je formai le vœu de pouvoir en parler à sa Sainteté, lui donner des éléments de nature à favoriser l'œcuménisme judéo-chrétien. Un songe prophétique me le permit trois jours plus tard. Je me retrouvai en rêve devant François et je m’entendis lui dire ce qui suit : « Ce que l’église catholique aurait dû faire, Saint Père, si un pêcheur comme moi peut se permettre de conseiller, ce n’est pas de laver les Juifs du péché de déicide et donc par là de charger les Romains de la responsabilité du supplice, c'est simplement de dire qu´on ne tue pas un Dieu même habillé en homme, que déicide est contradictoire dans les termes et que cette mort, prédite par les Ecritures, voulue au plan divin, est la condition même de la Résurrection, chose plus forte que la "mort". Saint Paul le dit : Mort où est ta victoire? Si réconciliation judéo-chrétienne il doit y avoir c’est à ce niveau. On pourrait par exemple leur dire officiellement ceci: Si vous n’aviez pas été là chers amis juifs, pour le sacrifice de l'ancien Isaac qui quelques siècles plus tard se fit pour nous Nouvel Adam –appelez-le, vous, comme vous voulez – et effaça le péché du monde, eh bien, la terre entière serait aujourd'hui perdue puisque privée de cette rédemption à laquelle malgré ses crimes elle croit. Mais si vous tenez à prendre Jésus pour un anarchiste-essénien-zélote-sicaire-dangereux-trublion, comme quelqu’un qui devait périr à cause de ses idées révolutionnaires ou de ses blasphèmes, ça ne nous gène pas, chacun est libre de ses interprétations et nous n´allons pas ranimer une nouvelle inquisition. Pour nous, Dieu merci, vous avez immolé le Dieu qui devait l’être. Pour vous, vous avez condamné à mort un farceur qui se prenait pour lui. Vous avez bien fait, c’est la peine qu’ils méritent car ils ameutent les foules pour rien et déclenchent souvent des tragédies ou meurent des milliers d´innocents. Donc, s’il est mort parce qu’il était Dieu c’est bien pour nous et on vous en sait gré, et s’il est mort parce qu’il était un imposteur c’est justice pour vous car c´est bien ainsi qu’il faut les traiter. Rappelez-vous votre Sabbatai Zévi (1) à Smyrne et le ramdam qu'il a déclenché. Heureusement le sultan, béni soit son nom, l'a calmé très vite en le menaçant de mort. Enfin, si vous vous sentez en veine Saint Père, poursuivis-je, pourquoi ne pas leur suggérer – ça serait le scoop du siècle – que s'ils ne veulent pas être les tueurs de Jésus-Christ c'est bien la preuve qu’ils l’aiment en secret ? Et que donc, une déclaration commune à un dîner du Crif serait du meilleur effet ? Ce serait le premier pas de la convergence qui ne manquera pas de se dessiner dans les siècles à venir entre les fils d'Abraham et les enfants du Christ». Je poursuivis en laissant entendre au Saint-Père, qu'une telle déclaration aurait une autre allure que cette "laïcité positive" dont les faux culs se gargarisent. Etonné devant ces paroles pleines de bon sens, François garda le silence, sonna son camérier, me tendit l'anneau papal. Je le baisai respectueusement tandis que le nuage de ma personne reprenait lentement corps dans mon lit la bouche embarrassée de la pièce que l’apôtre sortit de la bouche du poisson et qui servit à JC de prétexte à sa fameuse parabole : « Rend à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à lui ».

Marc Gébelin

Note

(1) * Le Juif religieux Sabbatai Zevi, au XVIIe siècle, prétendit être le Messie annoncé et attira des foules énormes de croyants de toute l'Europe à Smyrne (Izmir actuel). Le sultan, excédé par les troubles qu'il provoquait, finit par le menacer de mort s'il continuait son prêche. Il se calma et on n'entendit plus parler de lui.