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1356On s’arrête ici à une intéressante analyse de Ramzy Baroud, éditeur de PalestineChronicle.com et auteur (My Father Was a Freedom Fighter: Gaza's Untold Story). Il s’agit d’une analyse de la chute de l’“empire”, spécifiquement dans le Moyen-Orient du “printemps arabe”, qui représente effectivement pour Baroud l’aspect le plus spectaculaire de cette chute pour les USA.
Nous ne sommes certainement pas d’accord avec certains aspects de cette analyse (on le verra plus loin), qui ont à notre sens une tonalité trop idéologique et trop géostratégique pour correspondre à la réalité telle que nous la percevons. Par contre, la description de l’état de l’“empire” (US), disons en cours d’effondrement autant qu’en cours de “retrait” ou en cours d’“incapacité de retrait”, nous paraît intéressante et valoir largement citation. C’est pourquoi nous avons choisi un extrait qui développe cette description, dont nous apprécions, pour notre cas, qu’elle concerne justement quelque chose qui n’est pas un “empire” au sens historique du terme : la façon dont l’auteur nous fait sentir que les USA sont littéralement paralysés dans l’état actuel de leur puissance, et pétrifiés devant les évènements, – “gelés”, remarque-t-il, – correspond à une réalité indubitable, qui n’est pas du type de la dynamique impériale. («While the Middle East is finally breaking away from a once impenetrable cocoon, and China – and Russia, among others – is attempting to negotiate a new political stance, the US is frozen…») (Dans PressTV.com du 1er octobre 2012.)
«Empires don’t crumble overnight, however. A fall of an empire can be as agonizingly long as its rise. Signs of that collapse are oftentimes subtle and might not be followed by a big boom of any sort, but can be unambiguous and definite.
»Since the Second World War, US foreign policy has been largely predicated on military adventures, by severely punishing enemies and controlling ‘friends’. Diplomacy was often the icing on the cake of war, wars that seemed to follow similar patterns such as targeting powerless, economically browbeaten and isolated countries. It was a successful brand while it lasted. It allowed the generals to speak of the invincibility of their military might, the politicians to boast of their global responsibilities and the media to tirelessly promote American values. Few seemed to care much for the millions of innocent people who bore the brunt of that supposed quest for democratization of the Third World – the American equivalent of France’s Mission Civilisatrice or 'civilizing mission’ of the ‘barbarian’ others.
»Few US foreign policy disasters can be compared to that of the Middle East. Similar to its Southeast Asia inheritance from the French, the US ‘inherited’ the Middle East from fading British and French empires. (For example, such recurring media questions as ‘who lost Egypt?’ is indicative of that perception.) Unlike European imperial powers, US early contacts with the region were marred with violence, whether through its support of local dictatorships, financing and arming Israel at the expense of Palestinians and other Arab nations, or finally by getting involved – some say, entangled – in lethal wars. The memory of Iraq’s destruction will never fade away from the annals of Arab history. It is a major dark spot close to that of US support for Israel. In fact, as it stands, the chapter of US-Arab relations is tainted beyond any comprehension.
»The US does not lack bright historians and sharp analysts capable of helping devise an alternative foreign policy. But the problem of ‘great’ empires is that their ability to maneuver is oftentimes restricted by their sheer size and the habitual nature of their conduct. They can only move forward and when that is no longer possible, they must retreat, ushering in their demise. US foreign policy is almost stuck when it is required to be most agile. While the Middle East is finally breaking away from a once impenetrable cocoon, and China – and Russia, among others – is attempting to negotiate a new political stance, the US is frozen. It took part in the bombing of Libya because it knows of no other alternative to achieving quick goals without summoning violence. In Syria, it refuses to be a positive conduit for a peaceful transition because it is paralyzed by its military failure in Iraq and fearful over the fate of Israel, should Syria lose its political centrality.
»Even if the US opts to stave off a catastrophic decline in the region, it is shackled by the invasive tentacles of Israel, the pro-Israel lobby and their massive and permeating network, which crosses over competing media, political parties and ideological agendas. The US is now destined to live by the rules - and redlines - determined by Israel, whose national interests are barely concerned with the rise or demise of America. Israel only wants to ensure its supremacy in the ‘new’ Middle East. With the rise of post-revolutionary Egypt, Israel’s challenges are growing. It fears that a nuclear Iran would deprive it from its only unique edge - its nuclear technology and massive nuclear arsenal. If Iran obtains nuclear technology, Israel might have to negotiate in good faith as an equal partner to its neighbors, a circumstance that Israel abhors. Between the Israeli hammer and the anvil of the imminent decline of all empires, the US, which has held the Middle East hostage to its foreign policy for nearly six decades, is now hostage to the limitations of that very foreign policy. The irony is an escapable. […]
»Listening to US President Barack Obama’s lecture to the UN’s General Assembly on September 25, as he spoke of democracy, values and the predictable and self-negating language, it seems that there is no intention in changing course or maneuvering or retreating or simply going away altogether. The empire is entangled in its own self-defeating legacy. This is to the satisfaction of its many contenders, China notwithstanding.»
Effectivement, Baroud restitue bien cette sensation de complète paralysie qui caractérise la politique extérieure des USA en général, ses engagements extérieurs qui sont innombrables et s’avèrent tous aussi catastrophiques les uns que les autres pour la substance même des USA, pour leur existence. Il caractérise bien l’attitude des mêmes USA durant les crises de Libye et de Syrie, où les choix sont faits par défaut, pour en faire le moins possible tout en prétendant en faire beaucoup et même faire l’essentiel, pour rester absolument présents, actifs, et dominateurs selon le statut de cette puissance, et pourtant limiter au maximum les risques et les initiatives parce que les moyens n’existent plus. Ainsi l’impression est-elle également celle d’une situation qui semblerait se résumer à une sorte d’hubris paralysée, et par conséquent une situation fixée dans une géographie d’hyperextension qui n’est même plus une géopolitique ou une géostratégie (absence totale de politique et de stratégie), dont l’hubris refuse absolument la modification et la réduction…
Il ne s’agit nullement d’un schéma classique. Le destin normal des empires est une variabilité des ambitions et des affirmations de la puissance avec concrétisation politique et géographique, une recherche constante des arrangements et des compromis une fois que le statut d’empire est établi, soit pour le maintenir d’abord et à moindres frais, soit ensuite pour effectuer des retraits ou des accommodements tactiques, l’ensemble constituant finalement une stratégie de repli dont on espère qu’elle sera au moindre coût. Les analogies que donne Baroud avec les “empires” français et anglais, qu’il assimile beaucoup trop au soi-disant “empire” américaniste (c’est là le produit d’une vision beaucoup trop idéologique), sont complètement inappropriées. Dans le cas français, par exemple, il y eut une liquidation ultra-rapide de l’empire : après la guerre d’Indochine imposée par les conditions issues de la Deuxième Guerre mondiale et de la défaite français de 1940, qui est un épisode national et nullement impérial, et sur la fin de la guerre d’Algérie, la liquidation des immenses territoires africains ne prit même pas un an. Au lieu d’activer l’effondrement français, cette liquidation déboucha sur une réaffirmation de la puissance et de l’influence de la France par l’indépendante et la souveraineté, durant la période gaullienne et, au moins, jusqu’à Mitterrand, malgré la catastrophique présidence Giscard. Il serait grotesque d’affirmer que la IVème République, encore “impériale”, ait été plus puissante que la Vème République débarrassée de l’’“empire”, dans la période qu’on décrit. (L’évolution française depuis 1989-1991 n’a rien à voir avec un effondrement impérial, et tout avec l’effondrement de notre contre-civilisation, la France n’étant plus alors, avec des abdications successives qui renvoient à des choix politiques et idéologiques volontaires et nullement à des obligations de quelque sorte que ce soit, que la partie d’un tout que nous nommons le bloc BAO.) Dans les trois cas mentionnés dont Baroud fait une assimilation, seul le cas britannique se rapproche du schéma impérial, mais avec l’originalité finaude d’une échappée sur la fin, où le Royaume-Uni troqua son schéma impérial en déclin accéléré pour une allégeance “constructivde” et faussement habile à ce qu’il jugeait être, – faussement, ce jugement étant aveuglé par l’hubris anglo-saxon, – le nouvel “empire” (US).
Les USA ne présentent en aucune façon une dynamique active d’“empire” (conquête, administration, repli et déclin), et complètement une “dynamique paralysée” (fonctionnant sur elle-même, dans une esquisse de “mouvement perpétuel”) d’un système activé vers la seule expansion et incapable de la moindre adaptation à des revers, parce que menacé alors d’entropisation, comme la matière et l’énergie elles-mêmes selon les lois de la thermodynamique. (Il s’agit presque d’un “système fermé” selon la définition thermodynamique, et ce sont effectivement les systèmes fermés qui produisent de l’entropie.) Cette incapacité d’adaptation engendre évidemment la paralysie que décrit Baroud, qui est une paralysie en état d’hyperextension impossible à réduire.
Actuellement, les USA se débattent dans deux propositions absurdes, parce que totalement contradictoires : une pression subversive et offensive au Moyen-Orient, contre la Syrie (et d’une certaine façon contre l’Iran), qui fait évoquer constamment une intervention armée que tous les esprits washingtoniens disposant encore d’une certaine rationalité technique repoussent avec horreur ; une pression défensive et d’un point de vue “impérial” défaitiste pour un retrait d’Afghanistan, que les mêmes esprits jugent absolument impératif. Rien dans les situations ne justifient cette contradiction (offensive ici, retrait là), et l’on en conclut qu’il s’agit de gestes convulsifs de cette puissance en état à la fois de paralysie et d’hyperextension. Le seul véritable problème dans ce paysage est d’abord psychologique ; il est de savoir si les USA arriveront à refuser un engagement militaire (au Moyen-Orient) et à décider un retrait militaire (d’Afghanistan). Pour eux, la volonté constructive, l’affirmation de la puissance ne se trouvent que dans des options d’abstention et de retraite, – s’ils arrivent à les accepter et à les appliquer. Le seul défi n’est pas celui de réussir le repli de l’empire qui leur serait imposé, avec le moins de dégâts possibles, mais celui de parvenir à se vaincre soi-même, à vaincre le Système en vérité, pour pouvoir décider le repli de l’“empire” avant qu’il ne soit trop tard. C’est bien une puissance totalement paralysée par le Système auquel elle s’est soumise, et incapable de vaincre une psychologie notamment paralysée par l’hubris qui continue à débiter des narrative sur l’hyperpuissance des USA.
Dans ces conditions, nous doutons grandement que les autres, – la Chine notamment, comme le suggère Baroud, – attendent avec patience et confiance l’effondrement des USA pour les remplacer. Le problème n’est en effet pas la succession de l’“empire” des USA effondré, mais bien ce que deviendra l’état du Système général avec l’effondrement des USA, lorsque l’équation surpuissance-autodestruction (la dynamique de la surpuissance présente dans l’hyperextension de l’“empire” alimentant la dynamique de l’autodestruction) aura fait sentir tous ses effets. C’est-à-dire que le seul problème sérieux que nous avons aujourd’hui est celui de voir quand les USA auront enfin trouvé la voie efficace vers leur effondrement. Ils cherchent, mais l’on peut vous assurer que ce n’est pas simple…
Mis en ligne le 3 octobre 2012 à 05H41