Parcours parfait, mais à interpréter

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Le président Barack Obama a terminé sa première grande tournée “hors les murs”, en Europe jusqu’au Moyen-Orient, avec trois sommets, un salut au monde musulman et une escale impromptue en Irak. L’éditorial de The Independent de ce 8 avril 2009 présente ce qu’il qualifie assez justement, – pour l’homme, sans aucun doute, – de «Obama's triumph abroad»

La surprise de dernière minute, notamment, cette escale impromptue à Bagdad pour annoncer qu’il est temps que la direction irakienne prenne son sort en mains, est saluée comme un maître coup de “communication politique”. Sur l’essentiel du voyage, l’Independent met en évidence l’acquis incontestable et, après avoir passé en revue les détails du “triomphe”, la question fondamentale que ce triomphe soulève pour les relations internationales. (La seconde question mentionnée dans l’éditorial est évoquée par ailleurs, dans notre Faits & Commentaires de ce 8 avril 2009.)

«If it was re-engagement with America's old friends and allies that the new President was after, he was amply rewarded – but only because, in his phrase, he arrived with hand outstretched. We cannot know what took place behind closed doors, but we can judge, from the smiles of such stony-faced characters as the Russian President, Dmitry Medvedev, and China's President, Hu Jintao, that a new international atmosphere has been established.

»The G20 London summit may have produced more style than substance. But style and, above all, tone are not to be despised in international relations. Getting such things right is something many new national leaders have to learn and some never really master. Mr Obama, and – it must also be said – his wife, are naturals. […]

»To pull all this off and leave so few dissatisfied in his wake is a considerable feat. Not for the first time, we have to go back as far as JFK for comparisons. If Mr Obama's main objective was to cast the United States as a different type of global player – more culturally sensitive, more collegiate – then he succeeded. To demand more of a relatively young President in office not yet 100 days would be unreasonable. Yet what was, without doubt, a personal and political triumph leaves two questions.

»The low-key geniality favoured by Mr Obama was of a piece with his early pledges to listen. But a time will come when listening must give way to doing, and then it will be harder to please everyone. We were certainly watching an accomplished politician and orator, but were we watching a world leader in the making?»

La nostalgie est une belle chose à condition de s’en garder pour trop en faire l'instrument d'une analogie avec le temps présent, avec les automatismes de jugement qui vont avec. L’évocation imparable de JFK en tournée en Europe à des époques variables, avec ses bons mots («Je suis le type qui accompagne Jackie Kennedy») et son “Ich bin ein Berliner ”, conduit inconsciemment le jugement vers des paramètres dépassés. Se demander si Barack Obama sera bien un “world leader” invite implicitement à s’interroger pour savoir s’il sera leworld leader” que nous attendons évidemment tous depuis l’épouvantable soupe à la grimace de GW. Cette idée est effectivement très répandue (Obama devenant notre nouveau “world leader”), à ce point qu’elle nous paraît essentiellement ressortir de cette vision partiale et contestable très en vogue, renvoyant à la culture anglo-saxonne, britannique en particulier, qui ne conçoit les relations internationales qu’en termes impériaux, en termes de rapports de force et en termes de domination et de concurrence (cette culture, dominante même chez d’éventuels “anti-impériaux” du domaine, c’est-à-dire une culture dont les références, considérées positivement ou négativement, sont effectivement liées par cette idée des rapports de la “force brute”). Nous sommes dans une époque qui n’a plus besoin d’un “world leader”, fût-ce Barack Obama, fût-ce monsieur Hu.

Le succès d’Obama est à mesure directe de l’effacement du leadership américaniste, qui s’est marqué de différentes façons. L’incapacité des USA d’obtenir au G20 un engagement européen pour un plan de relance international coordonné, l’incapacité des mêmes USA d’obtenir au sommet de l’OTAN des renforts européens pour l’Afghanistan, ce sont la marque de cet effacement. De tels revers ne peuvent plus être désormais mis au débit d’une catastrophique présidence GW Bush. Désormais c’est à un président populaire, brillant, intelligent qu’on oppose de tels refus. Plus on est son amis, moins on recule devant des reproches fermes s’il le faut (Sarkozy et la Turquie). L’évolution n’est pas surprenante, elle est inéluctable et Obama la conduit avec grâce et élégance.

D'autre part, ce n’est certainement pas pour autant qu’un autre “world leader” pour le reste du monde apparaît pour prendre la place éventuellement des USA. (L’évocation, – notamment par Zbigniew Brzezinski, – de l’installation de facto d’un “G2” informel, un directoire USA-Chine pour diriger le monde qui rendrait ainsi plus douce la chute de la puissance US, nous paraît notamment relever de la pure construction rationnelle et théorique d’esprits attachés à ces conceptions entretenues par la nostalgie.) C’est la formule qui est viciée, parce qu’elle repose sur l’entretien de tensions artificielles permanentes, comme l’a amplement montré l’époque Bush, qui a poussé la chose à son extrême. Il se trouve que nous avons bien assez des crises du monde et des crises du système, crises eschatologiques et dépassant notre capacité de contrôle, pour y rajouter celles que créent artificiellement une formule basée sur des attitudes dont certaines sont parfois stupéfiantes de crudité et de dérision, – la vanité anglo-saxonne n’étant pas la dernière à cet égard.

Une autre réalité, plus importante et plus impressionnante, est sans doute en train d’apparaître. Il s’agit du fait que la puissance s’exprime et se diffuse dans un nombre de plus en plus élevé de domaines, la conséquence directe étant que le nombre de domaines décisifs de la puissance décroît à mesure. Le développement de la communication, avec l’interprétation de la réalité qu’elle permet, est une des causes conjoncturelles essentielles de cette évolution. Il en résulte que plus aucun pays n’est capable de maîtriser tous les domaines d’“expression de la puissance”, ni de disposer de suffisamment de domaines décisifs de la puissance pour affirmer une prééminence sans discussion. La décadence de l’influence et de la capacité d’“expression de la puissance” de l’outil militaire US est, à cet égard, un phénomène décisif pour illustrer la tendance.


Mis en ligne le 8 avril 2009 à 11H06