Paris Hilton et la “politique du Rien”

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Il est vrai que les événements, ou disons les non-événements s’enchaînent pour conduire la politique vers le domaine qui lui apparaît de plus en plus en naturel: le “rien”. Le mot vient de l’expression de “politique du rien” (“Politics of Nothing”) qu’emploie Arianna Huffington pour désigner la dernière mésaventure entre McCain, citant par dérision, comme référence de la substance de la candidature Barack Obama dans une de ses annonces-télé pour les présidentielles, la célébrité people Paris Hilton. (Peut-on d’ailleurs dire qu’il soit question de dérision dans la démarche de l’équipe de communication de McCain? Savent-ils encore, dans ces milieux qui fabriquent et gèrent les campagnes électorales comme on fait de produits industriels, ce que c’est que la dérision, qui suppose qu’on connaisse par référence antagoniste les choses qui ont une substance?) Paris Hilton a riposté par sa propre annonce télé où elle laisse entendre qu’elle va après tout aussi bien que McCain, qu’elle a son plan de politique énergétique et qu’elle est “ready to lead” si les électeurs veulent voter pour elle. (C’est une autre façon de cultiver la dérision qui, après tout, a sa place.) L’équipe McCain a enchaîné à son tour en affirmant que Paris soutenait McCain puisque certains éléments de son “plan de politique énergétique” se rapprochaient de celui de McCain.

Arianna Huffington est furieuse et dégoûtée. Dans un article du 6 août sur HuffingtonPost.com, elle s’en prend bien sûr à McCain et aux républicains qui tentent de ridiculiser Obama avec des arguments qui équivalent effectivement au “rien”, au vide complet, etc.

«With just ninety days left in the election it's come down to this: our energy policy and a good deal of this presidential campaign are being discussed through the lens of Paris Hilton. What a big goof it all is! If you just ignore all the soldiers and civilians dying in the Mideast, and all the millions losing their homes and their jobs at home, you could really see the lighter side of it all.

»It all started with McCain's ad comparing Obama to Britney Spears and Paris Hilton. And then we had Paris Hilton's “response,” followed by the McCain camp's response to Paris Hilton: “It sounds like Paris Hilton supports John McCain's 'all of the above' approach to America's energy crisis -- including both alternatives and drilling. Paris Hilton might not be as big a celebrity as Barack Obama, but she obviously has a better energy plan.”

»Who ever thought this election wasn't going to be about the issues?

»Of course, it's not exactly a surprise that the Republican election machine would resort to trying to make the entire election into an issueless sideshow. I mean, what else do they have?»

…On pourrait ajouter d’autres épisodes à celui-ci. On pourrait aussi bien s’arrêter, plus ou moins gravement c’est selon, au fait que le Times annonçait le 3 août, dans un article détaillé, qu’Obama est jugé trop mince pour l’emporter. Voyons cela…

«Suggestions that Obama’s slim physique is a liability in a nation of mostly overweight voters marked a dangerous new turn for the Democratic contender’s suddenly vulnerable presidential campaign.

»The rapturous reception bestowed on Obama by awestruck Europeans on his recent world tour has given way to a barrage of Republican mockery and sly innuendo that has wiped out his lead in the opinion polls and turned his stately march towards the Democratic convention at the end of this month into a mud-slinging scramble.

(…)

«Last week The Wall Street Journal suggested that Obama might be too thin and too fit to appeal to voters who tend to like candidates with flaws that they can identify with. Several analysts noted that widely circulated pictures of a red-faced Bill Clinton staggering into McDonald’s after a short jog did the former president no harm at all; millions of Americans knew just how he felt.»

Dans cette occurrence générale, la plus ridicule n’est pas Paris Hilton, ni même, peut-être, la nourriture onctueuse que croquait Clinton débouchant dans un McDonald, in illo tempore. Le fait est qu’on se demande si cette chose, le ridicule, existe encore, dans les jugements qu’on peut porter sur le processus politique, et si d’ailleurs la notion de jugement existe encore. Les gémissements d’Arianna Huffington sont compréhensibles, mais il y en a autant à son service, c’est-à-dire autant pour le parti démocrate qu’elle soutient, ce parti évitant comme la peste de prendre les positions tranchées qu’imposait son succès électoral de 2006; il y en a autant pour certains aspects de la campagne d’Obama, pour la façon dont il est conduit à transformer des tournées politiques en tournées de relations publiques, autant pour la façon dont il essaie d’apparaître conforme tout en tentant d’apparaître différent. Dans ce tourbillon convenu, cette apparence de mouvement effréné des causes qui sont pur divertissement, qui ne sont qu’apparences de substance, tout le monde tient son rôle.

Le petit épisode McCain-Paris Hilton est sans importance et sans conséquence, – un incident de campagne, sans plus. Il illustre bien entendu l’emprisonnement général dans lequel se trouve la politique aujourd’hui encore plus qu’hier, toujours plus qu’hier, entre la nécessité d’être élu, donc de se différencier d’une façon ou l’autre qui ait un effet dans les sondages, et le corset tyrannique de conformisme imposé par le système, qui interdit toute parole, toute prise de position marquée et substantielle. Cette étrange situation ne cessera de s’affirmer à mesure que les crises, les angoisses et les urgences se feront plus pressantes dans la tension montante du processus électoral. Il est possible que la campagne présidentielle 2008 US, qui devrait être révolutionnaire en raison de la situation du monde, soit surréaliste, entre la “politique du rien” à laquelle elle souscrit et les exigences dramatiques de la situation réelle qu’elle repousse avec horreur. La cloison entre la réalité et le processus systémique de la politique n’a jamais été aussi forte, aussi choquante, parce que les pressions de la réalité sont si fortes et font d’autant plus peur; elle n’a jamais été aussi menacée parce que les pressions de la réalité sont si fortes et que la peur ne suffit pas toujours. Il reste à attendre l’accident, la maladresse, ce qu’ils nomment en général avec les sourcils froncés “un dérapage”, pour que la réalité s’engouffre. Rien n’est assuré à cet égard, rien n’est impossible non plus. Au vu des prévisions de notre temps courant, il n’est pas certain que le temps travaille pour les illusionnistes contraints.


Mis en ligne le 7 août 2008 à 08H58