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6635 novembre 2002 — Sur tous les grands sujets revient la discorde entre USA et Europe, avec une régularité de métronome. La Turquie ne fait pas exception, et la victoire du parti de ceux qu'on désigne comme des “islamistes modérés” ajoute à ce mécontentement ; l'ampleur de cette victoire, c'est-à-dire le discrédit extraordinaire du régime (le parti du Premier ministre sortant obtient 1% des voix), accroît cette donnée transatlantique.
• Dans le cas de l'Europe, la question est, disons “idéologique”, ou confessionnelle. Le problème essentiel posé par l'élection des islamistes, c'est l'arrivée des islamistes au pouvoir. Cette appréciation qui va de soi à première vue, mais moins à la réflexion, est directement liée à la perception du lien entre islamistes et terroristes d'une part, et, plus vastement, à la perception de la rupture de civilisation entre christianisme et islamisme.
De Pierre Rousselin, dans Le Figaro du 2 novembre : « ... Comment envisager sérieusement l'entrée dans l'Union européenne d'un pays de soixante-dix millions d'habitants qui serait conduit par un gouvernement islamiste ?
» ... Au moment où Jean-Paul II insiste pour que l'«apport décisif du christianisme» soit inscrit dans le projet de Constitution européenne, il serait curieux de s'engager dans une voie radicalement opposée. »
• Dans le cas de l'Amérique, la question turque est stratégique. “Islamiste” ou pas, et alors peu importe l'élection de dimanche, la Turquie doit rester fermement dans le camp occidental, et cela pour l'immédiat (la stratégie US se traite dans l'immédiat), parce que la Turquie est un allié essentiel dans la guerre contre l'Irak. De façon assez inattendue et indirecte mais de façon révélatrice, se trouve alimentée la critique faite contre la guerre américaine contre l'Irak : celle de s'occuper, au nom de la guerre contre le terrorisme, d'une guerre qui n'a rien à voir avec la guerre contre le terrorisme. Voilà une logique qui enjoint de se rapprocher des islamistes (modérés ou pas ?) après avoir facilité leur arrivée au pouvoir (l'engagement du régime auprès des USA s'apprêtant à une guerre fortement impopulaire en Turquie n'a pas desservi les islamistes), alors qu'on désigne l'islamisme comme la source de tous les terrorismes et qu'on affirme qu'il est impensable de traiter avec lui.
De Ilan Berman, vice president for policy à l'American Foreign Policy Council in Washington, D.C., dans National Review du 1er novembre : « Diplomatically, this means exerting even greater American influence among NATO partners to cement Turkey's status as an European nation. Projects like Washington's planned NATO missile defense architecture, in which Ankara figures prominently, should be bolstered and expanded. The U.S. should also use every means at its disposal to pressure the EU to reverse its stance on Turkish membership ahead of its upcoming December summit in Copenhagen — an event that is sure to be a defining moment in Turkey's relationship with Europe. And with regards to Iraq, Washington and its coalition allies must address Ankara's increasingly vocal misgivings about vulnerability to Iraqi missiles and Kurdish separatism as part of planning for any post-Saddam scenario.
» Taken together, such measures will go much of the way toward anchoring Turkey decisively in Europe's camp. The alternative is a potentially profound transformation of Turkish foreign policy, one unlikely to benefit either Europe or the U.S.
» If its latest decision is any indication, the European Union may be able to live with such a development. It is clear, however, that the United States cannot. »
On risque de retrouver, avec la turquie et pas loin du “front”, les ruptures irakiennes : l'Allemagne farouchement contre l'adhésion turque à l'UE, avec le soutien modérée de la France, le Royaume-Uni jouant comme d'habitude la proximité américaine mais restant plutôt dans le flou pour le cas lui-même. Dans cette occurrence, on trouvera plus de pays européens pour se mettre de façon plus nette aux côtés des Allemands.
Les Américains affirment qu'existent déjà (avant les élections) des signes de rapprochement de la Turquie avec l'Iran, politique alternative à la voie européenne et occidentale qu'il s'agit pourtant de préserver à tout prix. De fortes pressions US s'exercent sur les Allemands, cela comme un chantage sans la moindre dissimulation dans le cadre de la “brouille” Allemagne-USA sur la guerre d'Irak. (Selon le Guardian du 30 octobre, « the daily newspaper Frankfurter Allgemeine Zeitung reported last week that the US had presented Berlin with a “shopping list” of measures to be taken before it was ready to draw a line under the row. They were said to be support for Mr Bush at next month's Nato summit in Prague, for the US proposal for a 21,000-strong NATO rapid response force, and for Turkish membership of the EU. »)
Les pressions américaines vont certainement être très fortes et se renforcer encore et toujours. Certains, dans cette administration GW, sont engagés en faveur de la Turquie, pour raisons idéologiques et personnelles. Richard Perle, dont on connaît l'influence au Pentagone et à la Maison-Blanche, a travaillé pour la Turquie (lobbying, — voir l'article Jason Vest à ce propos) de 1989 à 1993, et il en a gardé des liens et des intérêt, et il a notamment joué un rôle dans le rapprochement entre Israël et la Turquie. (A cette lumière, on ne s'étonnera pas que les Allemands soient la nouvelle “tête de Turc” de Perle.) Voilà donc un ancien sujet de discorde USA-Europe qui va encore plus peser sur les relations transatlantiques. Refrain.