Pas loin de Gettysburg, Hillary Lincoln contre Barack E. Lee

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Demain a lieu aux USA la “primaire décisive”, – une de plus, notera-t-on, – dans le grand Etat de l’Union de la Pennsylvanie. Résultat décisif pour la nomination démocrate? Peut-être, peut-être pas. Dans tous les cas, qu’on se rappelle qu’eut lieu, en Pennsylvanie, à Gettysburg, la grande bataille qui fit basculer le destin de la Guerre de Sécession (appellation non-US), ou Civil War (appellation officielle) pour ceux (les américanistes) qui ne veulent pas trop entendre parler du risque mortel de sécession dans le destin de la Grande République. C’est cette référence que choisit l'analyste politique Tim Hames, du Times de Londres, pour commenter aujourd’hui l’élection de demain.

Hames emploie une image instructive: disons qu’Hillary serait Lincoln, le président élu des USA et président de l’Union pendant la guerre, et Obama Robert E. Lee, le grand général commandant l’Armée de Virginie du Nord, grand stratège des armées du Sud, qui tint le Nord en échec et menaça même Washington jusqu’à la défaite de Gettysburg (juillet 1863). Bien entendu, on goûtera l’ironie, peut-être involontaire, de faire une analogie entre un candidat Africain Américain et le plus fameux général de l’armée sudiste, – avec la réserve que Lee, effectivement gentleman de Virginie, d’une vieille famille anglaise ayant Thomas More et le roi Robert II d’Ecosse parmi ses aïeux, avait une position très nuancée sur l’esclavage mais avait choisi le Sud par fidélité à sa terre natale. (Lee était opposé à la sécession de la Virginie. Il s’était vu proposer le 18 avril 1861 le commandement des Armées du Nord par Lincoln, qu’il avait refusée. La Virginie fit sécession le 20 avril. Le 23, Lee acceptait le commandement de l’Armée de Virginie du Nord.)

Hames décrit le général Lee comme ceci: «...the charismatic General Robert E. Lee, who proved to be more imaginative in the field, inspiring passionate loyalty in his Confederate soldiers.» En face, le malheureux Lincoln essayait pour son armée général après général, allant de médiocrités diverses en prudences excessives, parfois jusqu’à l’une ou l’autre quasi-trahison (le général McClellan, qui envisageait de s’opposer à Lincoln à l’élection de 1864 comme démocrate, était prêt à traiter personnellement avec le Sud). Ce n’est qu’en 1864 que Lincoln trouva “son” général, le brutal Ulysses S. Grant. Mais, depuis Gettysburg, le sort avait changé.

Ainsi Hames développe-t-il son analogie de Pennsylvanie : «Hillary Clinton must hope that history repeats itself in Pennsylvania tomorrow. Having started as the clear frontrunner for the Democratic nomination, she has been stunned by Barack Obama's ability to portray himself as the agent of political change, his skill at motivating activists and success in employing the internet to break fundraising records.

»He has been the General Lee of the competition so far. If he were to win the Pennsylvania primary, he would indeed become unstoppable. Yet adversity has brought out the best in Mrs Clinton. She has fought for seven weeks in Pennsylvania and while no one has been killed or wounded (unlike the 8,000 dead and near 50,000 casualties and losses at Gettysburg) it has been a bruising struggle with Mrs Clinton landing the most blows. The odds are that she will at least emerge strong enough to take her cause on further.»

Hames tend à prédire la victoire finale (à la nomination démocrate) de Hillary Lincoln parce que, comme le président de la Civil War, si elle tient en Pennsylvanie demain, c’est elle qui aurait le moins de chance de perdre finalement contre McCain. Hames suppose alors que le choix démocrate se fera selon les nominations bureaucratiques du parti (les “super-déléguées”), et selon une comptabilité électorale qui est plus basée sur le nombre de voix “assurées” de chaque candidat (face à McCain) que sur le nombre de voix que chacun d’eux peut espérer emporter contre McCain dans le meilleur des cas.

«…Mrs Clinton is the 5347 option and Mr Obama is the 5542 one. By this I mean that it is tough to imagine her obtaining more than 53 per cent of the national vote against John McCain, but it is hard to envisage her falling below 47 per cent either. Most of those Democrats who prefer Mr Obama to her (African-Americans, affluent whites, the young) would nevertheless back the New York senator in November (particularly if their man was in the vice-presidential slot).

»Mr Obama, by contrast, has a somewhat higher vote ceiling but a much lower floor to his vote. If Americans decide that they are desperate for “change”, pure and simple, then he is a better vehicle for that mood than a woman who has the history of the 1990s attached to her. If, though, voters are after “change (with reassurance)”, as one suspects is the case, then she is a smarter bet against Mr McCain. A sizeable slice of working-class Democrats who back her may switch to the Arizona Senator if she loses. In the worst-case scenario, the Republican champion may well wipe the floor with Mr Obama.

»Assuming she is victorious in Pennsylvania, then Mrs Clinton should keep on running. The superdelegates must ask themselves not only “who can win?” but “how might they lose?” For the reality of Gettysburg is not that in pure military terms the North actually won, but that it did not lose. It was this that later made it such a decisive moment.»

Cette interprétation est intéressante. Certes, elle appelle quelques réserves, notamment sur l’affirmation que les partisans d’Obama soutiendraient en masse Clinton si Clinton est candidate, alors que l’inverse n’est pas du tout assuré. (Voir notamment notre F&C du : «About a quarter of Obama supporters say they'll vote for McCain if Clinton is the Democratic nominee. About a third of Clinton supporters say they would vote for McCain if it's Obama.») De ce point de vue, contrairement à ce qu’affirme Hames, rien ne nous semble tranché, y compris dans le chef des “super-délégués”.

Mais cette interprétation est intéressante au-delà de la comptabilité. Elle nous dit que l’intensité de la bataille Clinton-Obama, l’abaissement du débat vers des polémiques féroces mais accessoires, n’ont pas empêché les images des deux candidats de se préciser, voire de se radicaliser dans le sens envisagé dès le départ, – éventuellement contre leur gré. C’est un phénomène important, dans la mesure où chacun des deux candidats, Obama dans le sens du compromis, Clinton dans le sens d’une affirmation populiste, ont tous deux tenté de modifier leurs images, qu’ils n’y sont pas parvenus, qu’ils en seront donc comptables, que le parti démocrate devra faire face à cette profonde division que la comptabilité à elle seule ne parviendra pas à résoudre. Plus que jamais, Obama apparaît comme une aventure peut-être nécessaire («…if Americans decide that they are desperate for “change”, pure and simple») et Clinton comme une “assurance” plutôt rassurante («If […] voters are after “change (with reassurance)”»).


Mis en ligne le 21 avril 2008 à 15H14