Pas si bêtes, les peuples (“Nous sommes tous Espagnols”)

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Pas si bêtes, les peuples (“Nous sommes tous Espagnols”)


15 mars 2004 — Décidément, après la défaite-sanction du parti d’Aznar hier en Espagne, nous ne sommes plus “tous des Américains” comme, paraît-il, nous l’étions le 12 septembre 2001. Qu’on en juge :

• le 11 septembre 2001, l’attaque contre les twin towers et le Pentagone. Réaction du public US : un regroupement massif autour du Président et du gouvernement. L’un et l’autre sont pourtant responsables de la sécurité des États-Unis, et, par conséquent, responsables de l’absence de préparation contre ce type d’attaque alors qu’on sait aujourd’hui que les signes d’alerte les plus précis furent innombrables avant le 11 septembre ; responsables, également, d’une politique extérieure dont on pouvait se demander si elle n’est pas pour quelque chose dans cette attaque.

• Le 11 mars 2004, l’attaque de Madrid, instantanément perçue en Europe, par les milieux dirigeants et les médias, comme « [l]e 11 septembre de l’Europe » (article du Monde du 12 mars), conduit à une attitude exactement inverse à celle des Américains : l’équipe Aznar est sanctionnée, sa politique étrangère étant perçue comme la cause indirecte fondamentale de l’attaque du 11 mars, et, par conséquent, sa responsabilité indirecte mais très forte étant engagée.

Nous ne sommes plus “tous des Américains” car nous ne l’avons jamais été. Le public européen, mieux informé et plus attentif à la politique extérieure, sait qu’une politique étrangère porte des fruits, bons ou mauvais.

Pour le cas du terrorisme, le constat est flagrant. Les Américains, dans leur majorité, ont refusé l’équation du terrorisme comme conséquence des actions extérieures des États-Unis ; ils lui ont préféré l’hypothèse maximaliste et manichéenne de la barbarie (ce qui donne une grande vertu usurpée à l’Amérique en conséquence), ou, mieux (analyse sophistiquée des intellectuels européens, délicieusement recasés dans le pro-américanisme), l’hypothèse romantique et diabolique du nihilisme. Les peuples européens raisonnent différemment : ils savent que lorsqu’on pose un acte, on doit s’attendre à en subir les conséquences. Aznar a épousé la cause US, pour des raisons dont nombre sont peu glorieuses et ont à voir avec des vanités diverses ; l’attaque du 11 mars en a été la conséquence et le vote démocratique lui a fait payer cette énorme faute politique (sans parler de son fondement moral).

Cette époque est bouleversante. En quatre jours, dans la perception et l’appréciation des choses, nous sommes passés de l’accessoire à l’essentiel, de l’habillage des événements à leur substance. Mercredi, c’était la dénonciation du terrorisme, évidente certes, mais qui portait comme appendice irrésistible dans les commentaires entendus alors : il est temps d’en revenir à l’alliance américaine contre la barbarie et le nihilisme. C’était l’interprétation de nos élites. Hier, nous sommes revenus à l’essentiel : la mise en cause fondamentale, par le peuple s’exprimant démocratiquement, de l’alliance américaine. Jeudi, l’un ou l’autre commentateur officiel, s’écriait « Today, we are all Spanish » (le ministre britannique de l’Europe MacShane). Aujourd’hui, en toute connaissance de cause, nous pouvons dire : “Nous sommes tous Espagnols”, — et, accessoirement (?), nous demander où se trouvent la barbarie et le nihilisme fondamentaux.

Signalons, en appendice pour notre compte et en guise de cerise sur le gâteau, le sommet de la maladresse et de l’hubris américaines : un avertissement de GW Bush à l’Espagne de ne pas quitter les rangs de la guerre contre la terreur.


« With anxiety growing that Spain's victorious Socialists might deal a wounding blow to America's coalition by withdrawing Spanish troops from Iraq, the White House launched a co-ordinated offensive clearly tailored to pre-empt calls for a new approach to the fight against terrorism. »


Décidément, quant aux méthodes et à la psychologie, il y a un océan entre nous.