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Le 27 mai 2002

Le Festival de Cannes nous a paru cette année d'une grande signification politique, et cela n'est pas vraiment une surprise puisqu'il s'agissait du premier Festival d'après le 11 septembre 2001. Nous avions déjà évoqué cet aspect de façon indirecte, avec les déclarations de Woody Allen au début du Festival (voir dans notre Analyse du 20 mai, et surtout dans Journal du 13 au 19 mai).

Dans la prochaine édition (Vol17, n°18 du 10 juin 2002) de notre Lettre d'Information de defensa, nous nous arrêtons plus longuement sur l'événement, et surtout sur la question de fond qu'il met en évidence, qui est l'affrontement culturel entre l'Europe (particulièrement la France) et le système de l'américanisme, cette fois avec l'originalité de voir au premier rang figurer des représentants d'une catégorie d'Américains rétive à ce même système, dans ce cas les artistes du cinéma. Nous vous présentons ci-après un extrait du texte que nous publierons (dans la rubrique Analyse), qui concerne directement et précisément le Festival de Cannes et la cérémonie de clôture du 26 mai, qui nous a paru si révélatrice de ce que nous voulons exprimer.

... « Ce qui est apparu avec les jugements de Woody Allen, puis encore plus avec la suite du festival de Cannes 2002, c'est combien la France sert effectivement, encore aujourd'hui, de refuge ou/et de référence à une Amérique qui prétend à une culture dégagée du mercantilisme de l'américanisme, et naturellement contestataire de ce mercantilisme ; combien cette Amérique existe toujours après l'anesthésie des mois qui ont suivi le 11 septembre, où toute critique du système était, systématiquement cela va de soi, dénoncée comme antipatriotique et ''un-american''; combien le Festival lui-même, avec la présidence de David Lynch, la célébration de Woody Allen, certaines récompenses comme celle de Michael Moore (pour son court-métrage ''Bowling for Columbine''), une présence importante des anglo-saxons, s'est transformé en une plate-forme massive de contestation de l'ordre établi aux États-Unis depuis le 11 novembre.

» La coïncidence de date entre la clôture du 26 mai, avec la cérémonie de remise des récompenses, et l'arrivée de GW à Paris, a transformé cette cérémonie en une sorte de contre-visite américaine en France, cette fois la visite et la célébration de l'Amérique anti-système à Cannes, en regard de la visite officielle à Paris du représentant du système. Ce paradoxe politique n'est jamais apparu aussi pleinement: l'''américanisation'' du Festival de Cannes 2002, voulu ou pas c'est à voir, a constitué en fait en une affirmation de l'opposition intellectuelle et artistique existante dès l'origine en Amérique, contre le système. (Américanisation à Cannes, avec, également, les amis anglais habituels, comme Jeremy Irons ou Kathryn Scott-Davis, déployant le charme d'un savoir-parler français comme seuls les Anglais sont capables de faire.) L'américanisation de Cannes 2002 est une américanisation que ne peuvent dénoncer les anti-globalisation, une américanisation qui montre qu'il existe une part de l'Amérique qui lutte, elle aussi, ou qui a dans tous les cas vocation à lutter contre la globalisation conduite par l'américanisme. Il y avait une complète logique historique que cela se passât en France, à l'instigation des Français, puisque, dans l'histoire américaine, la France a toujours été la référence de cette résistance intellectuelle et artistique en Amérique. Les paroles de Woody Allen, en apparence innocente ou simple rappel historique d'évidence, sonnent dans cette perspective comme une parfaite définition du Festival de Cannes 2002. Il s'agit sans aucun doute d'une définition politique, non pas selon les normes européennes (françaises, malheureusement) de la sempiternelle opposition entre la droite et la gauche, mais selon les normes américaines, qui sont, selon la parole de l'écrivain Gore Vidal (classé à la fois à la gauche radicale et à la droite isolationniste) «entre jeffersoniens et hamiltoniens», c'est-à-dire entre démocrates localistes et mercantilistes internationalistes et interventionnistes.

» La remise des récompenses de Cannes, le 26 mai, a été in fine une célébration discrète mais bien réelle des liens historiques qui unissent cette opposition américaine au système et à l'influence française. Les divers lauréats américains y ont tous été de leur petit couplet pour remercier la France, Moore en remerciant la France «de nous avoir donné le cinéma» (sacrilège pour un Américain conforme, pour qui le cinéma a été inventé par Edison, et pas par les frères Lumière); le jeune réalisateur américain Paul Thomas Anderson, en remerciant, dans le brouhaha d'une remise des prix bon enfant, le public présent d'avoir rencontré son ambition, «la grande ambition de tout jeune réalisateur américain, [...qui est] que son film soit aimé des Français».

» Nous ne sommes certainement pas en train de dire que le rayonnement intellectuel et artistique actuel de la France justifie tout cela. Au contraire, la France, dans sa condition actuelle d'une crise si profonde, à l'image des temps, présente un rayonnement intellectuel bien trompeur, bien critiquable, qui n'est souvent qu'une pâle caricature de la tradition française, avec la liberté de l'esprit soumise à la pression du plus impitoyable des conformisme, celui de la vertu morale. Mais, comme on l'a dit, la France est aussi héritière de structures et, si l'on veut, de réflexes acquis et transmis, - et redisons, cette fois en mesurant son poids, ce mot qui devrait faire bondir un bon nombre de ceux qui se trouvaient le 26 mai dans la salle de la remise des prix, à applaudir notamment l'Amérique dissidente: la France est héritière de traditions... »