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50415 août 2011 – Certes, Ron Paul est, depuis longtemps pour nous, un système antiSystème. Mais cette notion de système antiSystème doit être appréciée comme extrêmement souple ; sans cesse en évolution, selon les évolutions du Système, elle constitue une dynamique changeante et nullement un ensemble de références fixes, notamment par rapport aux personnes (sapiens) qui y participent, sans d’ailleurs n’avoir nulle conscience de cela. Ainsi, le Ron Paul qui arrive deuxième au straw poll de l’Iowa, à 152 votes de la star Bachmann (4.671 contre 4.823), n’est-il plus le Ron Paul d’avant ce même straw poll, – et le nouveau système antiSystème peut-être en formation, où il a une part importante, et pas nécessairement similaire à celui qu’il représentait hier.
Il doit être considéré alors que le système de la communication qui manufacture la perception-Système des événements s’est refermé sur une seule interprétation du straw poll de l’Iowa, considéré comme un événement majeur de la mise en place de la bataille présidentielle de 2012 : le “triomphe” de Bachmann (la chose, comme si Ron Paul n’existait pas) et l’arrivée massive du candidat Rick Perry, gouverneur du Texas. Ces deux stéréotypes de perception dominent désormais tous les commentaires. Ils sont totalement arbitraires, aléatoires et incertains ; ils ne constituent pas une réalité politique mais nous dirions “la position” du système de la communication. Nous reconnaissons la puissance immédiate de cette “réalité” d’annonce mais nous savons également sa fragilité, sa relativité, sa volatilité. C’est bien entendu hors de cette “réalité” insaisissable et nécessairement éphémère que nous raisonnons.
• Commençons par l’aspect le plus immédiat. Donc, Ron Paul est, dans ce scrutin de l’Iowa, second avec 27% des voix, derrière Bachmann avec 28% des voix. Sans doute Paul espérait-il une victoire, tandis que le monde-Système officiel ignorait en général jusqu’à l’existence de Ron Paul. Entre ces deux “réalités”, le résultat nous paraîtrait excellent pour Ron Paul. Plus que jamais l’appréciation générale de Paul, par les analystes-Système et la presse-Système, est celle-ci : Ron Paul est un type formidable, le seul politicien compétent, honnête, etc., donc le seul vraiment digne d’être élu, et (on ajouterait bien sûr : “par conséquent”) il n’a aucune chance d’être élu, ni désigné comme candidat républicain. Passons outre les analyses-Système, un peu lassantes...
• Tactiquement, la position de Paul est excellente. Il est vraiment tout en haut du panier des candidats à la désignation, mais personne ne veut croire ni n’ose croire, ni n’a l’imagination de croire qu’il pourrait être désigné. Par conséquent, on s’occupe des autres ; et là, c’est mettre en évidence à la fois la division entre les républicains, le niveau parfois sordide de ces candidats “désignables”, la course à l’irrationnel extrémiste, l’asservissement au Système (voir Romney), et ainsi de suite. Tant que Ron Paul n’est pas la cible principale, et même au contraire le seul à attirer un avis presque unanime de très grande qualité humaine et politique, et tant qu’il reste en bonne place, avec une organisation très populiste et extraordinairement efficace, il se trouve en position idéale. Il se tient là, en bonne place, regardant les autres se déchirer, lui-même, selon le mot consacré, “au-dessus de la mêlée” (ou, à la rigueur, “à côté...”).
• Bien sûr, il y a l’entrée en course de Perry, le gouverneur du Texas. Nous serions assez tentés de voir en lui, dans le ramdam fait à son propos, une circonstance stéréotypée et automatique (c'est-à-dire sans le moindre calcul) du Système pour propulser un homme qui balaie tous les autres. Mais Perry n’est pas un “homme sûr” selon les vœux du Système ; pas du tout susceptible de se reclasser vers le centre pour aller pêcher des voix, il est du type sordide US courant (tendance droite extrême, mais l’étiquette compte peu) ; allumé tendance chrétienne fondamentaliste, extrémiste dans toutes ses tendances démagogiques, psychologiquement incroyablement corrompu par le Système. Nous verrions dans ce commentaire de Stewart J. Lawrence, du Guardian/Observer, le 14 août 2011, une bonne illustration de la position de Perry… «Despite the best efforts of the punditocracy to suggest that Perry is about to take the entire GOP field by storm, the evidence strongly suggests otherwise. His surge in the polls has exposed the softness of Romney's frontrunner status but does not appear to place him in a position to displace the former Massachusetts governor, who still has a commanding lead in fundraising and political organisation…» Dans ce cas, Perry est une bonne affaire pour le système antiSystème en formation, puisque sa venue ne fait qu’attiser la bataille fratricide entre “candidats autorisés”, accentuer les divisions, renforcer les entreprises de réduction réciproque des uns et des autres ; cela mettant d’autant plus en évidence l’image de “vieux sage” dont Ron Paul s’est naturellement trouver investi.
• Mais, dira-t-on, que vient faire l’acteur Matt Damon (son nom est dans notre titre) dans cette galère pré-électorale et salade républicaine ? Nous-mêmes avions mentionné, le 10 août 2011, la suggestion de Michael Moore : «Le cinéaste politique Michael Moore, qui fut un des plus fervents soutiens de Barack Obama, vient de lancer l’idée d’une candidature présidentielle, démocrate ou indépendante, de l’acteur Matt Damon contre Obama. (Matt Damon exprime abondamment ses opinions politiques actuellement et accuse Obama d’avoir trahi ses promesses.)» Ce n’était certainement pas faire une prévision… Mais la presse-Système s’empare de l’affaire, notamment sous la plume très honorable du principal correspondant aux USA du Guardian et de l’Observer, Paul Harris, le 14 août 2011 : «Even in the increasingly wild world of American politics, it seemed an especially crazy idea: Matt Damon for president? […Q]uietly and with impressive charm, Damon has emerged as an eloquent and fierce spokesman for a slice of liberal America. On everything from the Iraq war to education policy, he has been happy to take a stand and, rather than praise the president, he has come out publicly to say Obama has “mishandled his mandate”.» L’article est un rapport rapide des circonstances déclenchées par Michael Moore, et relayées évidemment en vitesse turbo sur la “Toile”, et un long et très laudateur portrait de Damon, déjà très engagé dans des batailles politiques sérieuses. On comprend que le Guardian accorde une certaine importance à la chose dans le fait que ce soit Paul Harris, journaliste important du journal, qui signe l’article, et dans le fait également que le Guardian a gardé l’article en référence de la première page de son site toute la journée du 15 août.
• Damon n’a ni la médiocrité confondante d’un Reagan, ni la roublardise hyper-“gonflette” d’un Schwarzenegger. C’est un homme intelligent, droit, éduqué, ostensiblement anti-hollywoodien, et engagé dans une bataille intérieure, notamment à cause du sort fait à la fonction publique, particulièrement à l’enseignement (sa mère est professeur et l’y a sensibilisé). Il est “libéral” (progressiste) et il est devenu violemment anti-BHO. Et puis, sa formidable notoriété… Si quelqu’un peut introduire le désordre dans le camp encore bien rangé et bien aligné des démocrates derrière leur président-fantôme, prêt pour sa réélection, c’est bien lui, Matt Damon. Au-delà de ces considérations théoriques, certes, rien ne peut être dit, et cette appréciation de Matt Damon est effectivement plus, pour l’instant, un exercice théorique, et l’archétype d’une possibilité… Constatons simplement que si le mouvement prônant sa candidature s’organise, s’il laisse faire, etc., il entre parfaitement dans notre schéma de constitution d’un système antiSystème, main dans la main avec Ron Paul, en le complétant. Le point essentiel est alors qu’au désordre antiSystème de Paul chez les républicains correspondrait le désordre qu’amènerait dans le camp démocrate la perspective une candidature Matt Damon.
…C’est à cela que servent les systèmes antiSystème : introduire le désordre dans la machinerie prétendument bien huilée du Système. C’est bien assez dire que notre propos n’est certainement pas d’attendre quoi que ce soit de fondamental d’un Ron Paul, voire, dans une hypothèse encore complètement irréelle, de l’acteur Matt Damon ; non qu’ils en soient incapables, l’un ou l’autre, mais simplement parce que nous pensons que ce n’est certainement pas la question importante. L’essentiel, aujourd’hui, est de voir comment et à quel rythme l’entreprise de déconstruction, et maintenant de dissolution du Système avance au travers des événements déstabilisants qui secouent actuellement les USA, qui sont les événements idéaux pour son extension.
L’intérêt des deux hommes que nous nommons, de leurs positions en apparence antinomiques et pourtant complémentaires, est effectivement génératrice de système antiSystème. Ron Paul est un obstiné, un travailleur, un homme entêté, discret et incroyablement efficace. Il a mis en place une infrastructure formidable, parce qu’il sait que c’est cela seulement qui lui permettrait de surmonter le barrage de l’hostilité absolue du Système dans sa composante républicaine. L’affaire d’Iowa a confirmé de façon éclatante la validité de son propre système, et l’a installé beaucoup plus fermement qu’il n’était. Du coup, il ébranle discrètement, de l’intérieur, le parti républicain, il commence à le déstabiliser furtivement, – mais la déstabilisation n’en est pas moins forte. L’événement est d’importance.
D’un autre côté, les spéculations autour de Matt Damon sont d’un ordre absolument différent. Damon n’a rien fait de concret, il y a simplement qu’une vedette de la contestation sur la gauche du parti démocrate a lancé son nom. Soudain est mis en évidence tout ce qui manque à Ron Paul : une formidable notoriété partout acceptée, et qui se répercute au niveau politique sans que rien n’ait été fait d’un point de vue politique. Mais cette seule perspective introduit le ferment de division et de désordre dans un parti démocrate uni derrière son président, mais qui est marqué par un doute grandissant et dévastateur… Damon ou pas Damon, qu’importe l’hypothèse de la confirmation ou pas d’éventuelles ambitions politiques de sa part puisque le principal résultat est déjà obtenu : l’idée conceptuelle que la position d’unique candidat démocrate, ou de “gauche”, du président Obama n’est pas intangible. Quoi qu’il en soit du destin de l’acteur, il s’agit bien de l’amertume du doute qui se transforme en poison du désordre éventuel au sein des démocrates, alors que rien dans les événements ne ralentit cette évolution. Damon (ou Moore-Damon, pour mieux dire) a d’ores et déjà joué son rôle dans l’élaboration d’un système antiSystème, en donnant à ce système antiSystème une coloration bipartisane (touchant les deux partis) potentielle.
A ce stade de l’analyse qui n’est encore qu’hypothèse, les hommes comptent peu, sauf qu’ils se prêtent obligeamment, sans en rien savoir nécessairement, ni encore moins en vouloir, à un courant tendant à la création d’un système antiSystème. Il n’y a rien de commun entre Paul et Damon ; le premier est bien installé dans son rôle, le second est une hypothèse en l’air pour l’instant, qui peut s’évanouir demain. Il n’empêche que la circonstance fait office d’une proposition de démonstration engageant une vaste dynamique de déstructuration, ou, mieux encore (voir plus loin), d’accélération de la dissolution. L’implantation de Paul est déjà un fait formidable ; si demain s’installe, sous une forme ou l’autre, Damon ou un autre, un ferment homothétique de désordre chez les démocrates (et toute autre candidature qu’Obama est un tel ferment, surtout si elle vient d’un outsider), alors le système antiSystème se complète en une entité parfaite. Il est en effet nécessaire qu’aucun des deux bords ne présente une apparence d’ordre-Système trop impérative, qui permettrait au Système d’organiser un rassemblement démagogique autour de lui.
Ce qui fait l’essentiel autour de ces considérations, ce sont évidemment les événements, les divers composants de la crise, extraordinairement déstabilisants pour les structures en place du Système en cours de dissolution, ces structures elles-mêmes en cours de dissolution ; pour ce qui nous occupe, la position du président, de l’establishment du Congrès, du parti républicain traditionnel, l’évolution économique des USA et la politique étrangère chaotique, le sentiment de frustration des citoyens, etc. Ce sont ces événements qui incurvent les destins des uns et des autres, que ce soit celui d’un Ron Paul qui ne s’est engagé dans la course à la présidence à son âge qu’à cause de l’inquiétude qu’il éprouve pour l’état des USA, et donc dans l’intention de tenter de gagner et non pas seulement pour faire une figuration intelligente. Ce sont les événements qui pourraient, seuls, décider un outsider type-Damon.
Si nous nous intéressons de si près à cette campagne présidentielle US, c’est qu’elle s’inscrit dans le cours d’événements d’effondrement, et qu’elle y tient une place évidemment centrale. Elle constitue également un des événements les plus “ouverts” aux interférences essentielles, susceptibles d’accélérer d’une façon décisive cet effondrement. D’ores et déjà, la situation y est très caractéristique des conditions de crise. Du côté républicain, et malgré toutes les manigances diverses et variées, une situation où prédominent des candidats qui, pour le meilleur ou pour le pire, sont essentiellement de tendance centrifuge, qu’ils soient ou non à Washington, et tous avec des liens divers, là aussi pour le meilleur ou pour le pire, avec Tea Party. (Sans aucun doute, c’est le cas de Bachmann, de Paul, de Perry, parmi les trois candidats les plus solides aujourd’hui.)
Dans le cadre général US, nous avons depuis longtemps suivi Ron Paul avec la plus extrême attention. Les raisons ne manquent pas, et on les retrouve dans nombre de nos textes à son propos ; et, de plus en plus, Ron Paul a figuré dans notre analyse comme générateur d’un système antiSystème, bien plus que comme un homme politique, fût-il d’une extrême originalité. Le destin de Paul a suivi plusieurs paliers, depuis 2007-2008, à mesure que les évènements se pressaient. Après l’Iowa, Ron Paul entre, quoi qu’en écrive la presse-Système, dans le cercle des candidats “sérieux”. S’il reste évidemment générateur, en sa personne propre et avec son courant, plus que jamais d'un système antiSystème, il est aussi clair que la substance de ce système antiSystème évolue. On a vu plus haut comment elle pourrait évoluer en s’additionnant à une évolution également antiSystème de l’autre côté (du côté démocrate), avec l’hypothèse Damon. Mais il ne s’agit ici que d’une circonstance tactique.
Plus importante est l’évolution du système antiSystème en fonction de l’évolution, non pas du Système, mais de la course d’effondrement du Système. Nous pensons que l’effondrement du Système est en train de passer d’une phase de déstructuration de sa substance, en voie d’être achevée, à une phase de dissolution. (La dissolution étant, de ce point de vue, une accélération et une contraction de la déstructuration, – nous reviendrons sur cette question dans un texte futur.) Dans ce cas, le rôle du système antiSystème change. Il est moins de porter des coups au Système, pour accélérer son ébranlement qui se traduit par sa déstructuration ; il devient plus de répandre autour de lui sa propre dynamique déstructurante et dissolvante dont il est lui-même une représentation, vers d’autres relais ; la multiplication de ces relais conduit à la multiplication des actions dans le même sens, et le résultat général ne se trouve plus dans des coups ponctuels assénés au Système mais dans une pression dissolvante générale qui concourt effectivement à une dissolution grandissante des structure éparses résultant de l’action de déstructuration. Lorsque Ron Paul constate (il l’a déjà fait à plusieurs reprises) :
Autrement dit, le système antiSystème doit de plus en plus agir pour diffuser son “poison” antiSystème, bien plus que pour frapper. Sa présence à l’intérieur du Système, quand il s’y trouve, n’est pas pour incurver l’orientation du Système, ni même pour déstructurer ses principaux éléments, mais pour répandre une influence dissolvante vers tous ses éléments et dans ses éléments. Comme Ron Paul, on pourrait considérer que Tea Party est lui-même en train de parvenir à cette position au sein de la structure fondamentale du Système qu’est le Congrès, après avoir joué un rôle déstructurant au sein du parti républicain en constituant un bloc à part dans ce parti. Il l’a montré lors de la crise de la dette, où son action a eu pour effet principal d’amoindrir et de réduire les procédures de contrôle du Congrès, réduisant la direction de ce centre du pouvoir déjà déstructuré par l’affrontement démocrates-républicains, en un appendice presque informe, avec son autorité en lambeaux, avec ses positions dirigeantes amoindries sinon réduites à rien ; du coup, la masse que forme le Congrès, restant à la fois très pesante et contraignante pour le reste du Système, devient insaisissable de l’extérieure, de plus en plus dissolue tant du point de vue de sa composition que de ses mœurs de politique-Système. Bien entendu, tout cela est apprécié selon la seule problématique du Système, la seule qui ait une réelle importance, et non pas selon les étiquettes politiques.
Pour en revenir à l’hypothèse Paul-Damon évoquée en tant qu’exemple archétypique de cette sorte d’action, et en terminer sur elle, on observera que le système antiSystème formé par deux pôles de cette sorte constituerait une pression dissolvante d’un parfait équilibre des pratiques du Système, durant le processus fondamental de l’élection présidentielle. Les actions de deux éléments “marginaux” ou hors des réseaux politiciens, et pourtant imbriqués dans ces réseaux par la force des choses, exerceraient des pressions intérieures centrifuges qui contribueraient effectivement à ce phénomène de dissolution d’une façon spectaculaire. Comme il agirait sur un processus dynamique fondamental, et un processus qui est lié à une obligation d’un résultat immédiat satisfaisant (un président-Système satisfaisant), la potentialité explosive de ses effets serait très grande.