Paysage de pré-campagne aux USA

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Paysage de pré-campagne aux USA


6 juin 2007 — Les Français geignent (avant d’être fascinés) parce que les candidats se bousculent au portillon entre douze et neuf mois avant l’élection présidentielle, et cela tous les 5 ans. Qu’ils considèrent les Américains, qui soumettent les hordes de candidats à des examens de passage 18 mois avant l’élection. Et cela n’est que la poursuite d’un processus déjà engagé dès avant les élections mid-term (novembre 2006). On sait, ou l’on devrait savoir, qu’Hillary Clinton a engagé sa campagne présidentielle à peu près à la fin de 2005, pour le scrutin de novembre 2008.

Ces dernières semaines, — le 15 mai pour les républicains, le 3 juin pour les démocrates, — les deux partis officiels ont rassemblé leurs candidats sous l’égide d’un groupe média (Fox News) qui entendait sponsoriser cet événement. On a fait un tour de table, pour que chacun s’exprime et puisse donner une expression à sa candidature. Il s’agit d’une sorte d’“ouverture” de la campagne des primaires qui commence en janvier 2008 et doit déboucher sur la désignation d’un candidat officiel, à l’été 2008, lors des conventions de leurs partis.

Constat immanquable : déjà des surprises. Voyons les choses pour les deux partis.

• Pour le parti républicain, nous avons déjà parlé de la surprise que constitua l’intervention de Ron Paul, notamment du point de vue de sa popularité qui se manifesta à cette occasion. L’intérêt de la chose est de constater que les sondages officieux réalisés par les organisateurs eux-mêmes montrent que ce candidat complètement marginal selon les canons de la politique officielle et conformiste est sorti du débat dans une position excellente, une deuxième position qui en dit long sur le désarroi intérieur du parti républicain.

L’excellent Alexander Cockburn nous donne quelques précisions sur cet événement. Son commentaire, mis en ligne sur le site The First Post le 1er juin, évoque la passe d’armes entre Paul et Giuliani. Puis il enchaîne :

«In the post-debate commentaries Giulianiwas hailed for his coup and Paul ridiculed as a nut and apologist for terror. There were demands he be thrown out of upcoming presidential debates.

»But even as Fox's pundits tossed Paul on their horns, the instant poll totted up the numbers.

»Of the 40,000 viewers expressing an opinion, 29 per cent reckoned that Massachusetts Governor (and Mormon) Mitt Romney (left) had done best. Second came Ron Paul, with 25 per cent, ahead of Giuliani with 19 per cent. The most pro-war of the lot, Senator John McCain, got 5 per cent.

»This is the second time Paul has scored big in such debates, and it points to a potential crisis of credibility for both the Republican and Democratic Parties. A majority of Americans – 65 per cent and up – hate the war in Iraq and think the US troops should leave.»

• Pour le parti démocrate, RAW Story a présenté le 4 juin un rapport sur les constats et appréciations statistiques faits par des spécialistes du sondage et de la statistique après le débat. La surprise vient de

ce que les deux favoris, Hillary Clinton et le sénateur Barack Obama, sont battus par John Edwards.

«GOP pollster and “framing” expert Frank Luntz explained that he had watched the debate with 31 Democratic primary voters in New Hampshire, who recorded their level of agreement or disagreement with the various candidates' statements on a computerized system that tallied the results and was able to display them as a running graph superimposed on video of the debate.

»As an example, he showed how Hillary Clinton's statement about her husband playing a role as a roving ambassador sent the reaction among liberals off the charts and also did well among moderates. “This is an absolute home run,” Luntz said.

»However, Luntz concluded that, based on overall reactions, the winner of the debate was neither Clinton nor Barack Obama, who he called “the surprise loser,” but John Edwards. Edwards actually managed to win over a whole segment of the audience from other candidates.

»“They felt that John Edwards had a vision,” said Luntz. “They felt that he had a commitment and they loved the way that he presented himself. They saw him as being very presidential. ... You're going to see John Edwards' polling numbers go up in the next few days.”»

De Ron Paul aux démocrates

Ces débats et sondages pré-électoraux, si loin de l’élection en plus, ont tout pour paraître empiriques. Le reproche est néanmoins relatif lorsqu’on se penche sur la méthodologie des sondages officieux, et sur les influences qui pèsent sur eux. On considérera donc qu’on peut trouver certains enseignements dans les débats du 15 mai et du 3 juin et dans les résultats exposés.

Ce qui nous intéresse en l’occurrence, moins que le nom de tel ou tel, moins qu’une éventuelle valeur de pronostic qui serait bien illusoire, c’est la vision de la scène politique et pré-électorale des USA que tout cela nous fournit. Plusieurs remarques peuvent alors être proposées.

• Il n’y a plus de favori, — nous voulons dire par là que la “fonction” de favori ne semble plus guère avoir de raison d’être. Elle semble devoir se dissiper à mesure qu’elle progresse après avoir atteint des sommets. Il y a un an, Hillary Clinton apparaissait absolument irrésistible, il y a six mois la nouvelle star Obama semblait devoir tout balayer en apportant un vent nouveau. Aujourd’hui, on les trouve derrière John Edwards qui semble avoir la vertu de ne pas cacher son aversion pour la guerre en Irak. Imaginez ce que pourrait amener, par exemple, une candidature-surprise Al Gore à l’automne prochain

• L’idée d’une “ligne du parti” semble de plus en plus s’affaiblir, jusqu’à devenir à la fois ténue et sinueuse, ou bien complètement absurde lorsqu’il s’agit de soutenir, — par exemple mais quel exemple !, — la ligne officielle en Irak. Que Ron Paul ait réussi la performance qu’il a réussie, qu’il en ait été instantanément ridiculisé par un Giuliani aussi complètement “homme du Parti”, qu’il en ait pourtant été récompensé par une deuxième place dans le jugement des spectateurs et auditeurs essentiellement républicains, montrent que la logique politicienne et le conformisme partisan ont aujourd’hui beaucoup de difficultés à s’affirmer et, surtout, à se maintenir. C’est une surprise aux USA où l’une (la logique politicienne) et l’autre (le conformisme partisan) forment un étau que nul n’est jamais parvenu à desserrer. On dira que ce n’est pas fini et que les partis vont retrouver leur efficacité, et la logique et l’expérience devraient faire croire à la justesse de cette réplique. Reste pourtant l’impression que rien n’est assuré au point où l’on pourrait faire l’hypothèse inverse : et si les partis, obligés de justifier une politique de plus en plus absurde, ne parvenaient à rétablir une main-mise mais perdaient encore plus de leur crédit ?

• C’est en effet l’essentiel que l’on puisse dire ici. Il y a le sentiment très fort que la machinerie politique américaniste se trouve confrontée à une situation de désordre particulièrement préoccupante. (Le désordre qui n’en est pas dans les rues, comme dans les démocraties européennes et décadentes, se trouve au cœur de la machine.) La cause essentielle en est que la matière sur laquelle elle est obligée d’appuyer sa propagande habituelle, voire son affabulation virtualiste, — la situation en Irak et la politique de guerre contre la terreur en cours, — est en constante dégradation, oscillant entre le tragique absurde et la grotesque irresponsabilité, et conduit à mettre en général ceux qui insistent trop pour s’y adosser dans des postures singulièrement ridicules. Certes, on a d’abord applaudi Giuliani lorsqu’il a contré Paul ; mais Giuliani s’avère sur le terme particulièrement ridiculisé par un Ron Paul fin et habile ; et l’on découvre finalement que Giuliani est moins bien classé que Ron Paul dans le jugement des spectateurs et autres. Il faut avoir à l’esprit que nous ne sommes plus dans le domaine de la dissidence, mais dans celui que contrôlent les partis. Ils contrôlent bien mal.

Il n’y a dans tout cela rien de décisif mais des signes que les années de tension, d’échecs et de virtualisme que nous venons de vivre depuis 9/11 pèsent de plus en plus sur les mécanismes de la machinerie américaniste. Le “matériel” humain laisse de plus en plus à désirer, lorsque les favoris du système tombent au niveau d’un Giuliani ou d’un McCain. A ce compte, un Ron Paul peut passer entre les mailles et occuper un espace plus important que le strapontin qui lui est en général réservé. Il accentue le trouble du système.

Rien dans tout cela de décisif et par conséquent aucune conclusion assurée à tirer. On peut simplement observer combien ce système devient lourd, poussif, sans imagination, combien il lasse de plus en plus les esprits et combien il fatigue les psychologies. La paralysie et le blocage, qui semblent être devenus les constituants généraux du fonctionnement de cette machine favorisent désormais un pourrissement de la situation générale. Que celle-ci soit figée n’empêche pas la décomposition. L’absence de perspective hors des perspectives de rupture (celle de Ron Paul, mettant en cause la politique expansionniste US) contribue radicalement à cette évolution, — avec, bien entendu, le ferment constant de décomposition que constitue la poursuite de la présidence GW, — sans aucun doute l’architecte par excellence, pur et piètre personnage maistrien” de cette période aux USA.