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54510 novembre 2006 — Est-il utile de détailler les tonnes d’articles sur le même thème, comme pour répondre à une consigne générale qui est en fait une tentative de survie par l’incantation? Il suffit de reprendre l’article du Monde du 9 novembre, qui est en fait une “revue de presse”, sous le titre : «Après la victoire des démocrates, les Etats-Unis doivent faire l'expérience d'un “bipartisme renouvelé”». Il suffit alors de traduire : panique à bord.
Quelques extraits du texte, assez court par ailleurs tant les lignes de force sont évidentes, sans qu’il ait été nécessaire de donner des consignes. On joue la Pravda par atavisme et nature profonde, liberté de penser comprise et bien comprise puisque utilisée dans le sens qu’il faut.
«Une grande partie de la presse américaine du jeudi 9 novembre voit dans le résultat des élections le souhait de l'électorat de mettre fin à l'extrême bipolarisation de la vie politique des Etats-Unis ces dernières années. “Ces élections ont été une réaction à la guerre en Irak et aux scandales de corruption, mais aussi un rejet de la politique électoraliste exercée par Bush”, note le Washington Post, qui salue l'appel du président à une “nouvelle ère de coopération” entre démocrates et républicains. Le New York Times voit dans ce résultat, et dans la réponse qu'y a apportée Bush, la preuve d'un “bipartisme renouvelé dans la nation”, et considère cette cohabitation comme une “catharsis nécessaire au système”. (…)
»Le véritable défi est désormais pour les deux partis de réussir à diriger ensemble le pays, note la presse. Comment gouverner avec des démocrates qui ont traité le président de “menteur” et d'“incompétent” durant la campagne, se demande le New York Times ; tandis que le Washington Post relève que “le défi, c'est la coopération”, et note un vrai pas en avant du camp Bush dans le sens de la collaboration, avec le départ de Donald Rumsfeld. Le journal y voit une “secousse sismique”, et une “spectaculaire démonstration de flexibilité”. “Mieux vaut tard que jamais”, se félicite le Los Angeles Times, qui voit aussi dans la démission du “faucon”, devenu au fil des mois le symbole de l'inflexibilité de l'administration Bush, le point de départ d'un profond changement de stratégie. “Gate [son successeur] est tout ce que Rumsfeld n'est pas : une personnalité discrète, un homme de consensus”, note le journal, qui sous-entend qu'il pourrait être l'homme du renouveau. Mais le très conservateur Weekly Standard doute que Bush soit prêt à changer sa politique en Irak.»
Il faut d’abord goûter, pour le plaisir et la mesure de la chose, l’extraordinaire hypocrisie des commentaires sur le départ de Rumsfeld, comme si toute la presse MSM demandait sa tête depuis des années. Nous dirons que le départ du secrétaire à la défense soulage cette presse (une «spectaculaire démonstration de flexibilité») dans la mesure où s’en va son principal manipulateur et, par conséquent, le témoin numéro un et le miroir de l’abdication de sa liberté par cette presse depuis le 11 septembre. Disons qu’il s’agit d’une mise au point psychanalytique. Rumsfeld était un témoin gênant de leur couardise et de leur lâcheté civique.
Laissons ces détails et venons-en au principal.
Le départ de Rumsfeld, la rencontre Bush-Pelosi entre le président et la présidente de la Chambre dans le bureau ovale pour une affirmation solennelle de coopération entre la Maison-Blanche et le Congrès, tout cela nous apparaît comme sans précédent dans le processus institutionnel US. C’est la mise à mal du fondement du système de gouvernement des Etats-Unis.
Normalement et fondamentalement, dans l’esprit de la loi qui seul importe comme nous disait Montesquieu, il ne doit exister aucun rapport direct entre une élection législative et la composition du cabinet ou la politique du président, au contraire des démocraties parlementaires européennes dont les théoriciens américanistes de droit institutionnel ont toujours raillé la faiblesse et le vice fondamental ; que le contraire nous ait été exposé hier, de façon aussi ostensible, montre la profondeur de la crise du système. Les appels soi-disant raisonnables et, en réalité, paradoxalement presque hystériques de la presse MSM à un “bipartisme renouvelé” complètent le tableau. La panique règne à bord.
Le raz de marée du 7 novembre n’est pas une “victoire des démocrates”. Les électeurs ont bien sûr voté contre Bush et contre Washington et ils ne pouvaient le faire qu’en votant démocrate — telle est l’interprétation implicite mais catégorique qu’on donnera à cette élection. La “victoire des démocrates” est en fait l’expression d’une menace sans précédent de ce qu’on nommerait d’une façon romantique “la colère populaire” contre le système. La volonté théorique et solennelle des deux côtés (administration et Congrès) de coopérer est la mesure de la panique sans précédent du système. L’échec assuré de cette coopération, et par conséquent l’entretien de “la colère populaire”, feront que l’on reparlera d’autres voies plus inhabituelles, voire maudites (songez au droit de sécession des Etats).
Cette mise au point sur la réalité de la réaction de Washington à l’élection du 7 novembre nous ramène à la réalité de la situation à Washington et outremer. Tous les problèmes subsistent et sont aggravés par le 7 novembre, à commencer par l’Irak, en poursuivant par le monstrueux Pentagone totalement hors de contrôle et en terminant par l’appétit du Congrès de prendre sa revanche sur l’exécutif qui l’a mené à la baguette pendant cinq ans sur des voies démentielles de conquête du monde. Le “bipartisme renouvelé” est une formule chic pour nous signaler que la paralysie de Washington est désormais complète. Le Congrès a repris une formidable position de force psychologique consistant en un formidable pouvoir de nuisance par le contrôle intrusif et les capacités sans fin de freinage des décisions de l’exécutif. L’exécutif continue à détenir le mécanisme du pouvoir qu’il ne pourra plus conduire que sous une surveillance intrusive jusqu’à être dictatoriale, et paralysante par conséquent.
Le paradoxe historique goûteux et ironique de cette situation est que nous sommes revenus aux origines de la fondation des Etats-Unis, à la vertu originelle de la fondation. Les pouvoirs du Congrès avaient été mis en place pour contrôler, voire paralyser le pouvoir exécutif dont nombre de Founding Fathers (Jefferson en premier) craignaient qu’il devînt un pouvoir démocratique dictatorial. Depuis Théodore Roosevelt et Wilson (tentatives malheureuses), depuis Franklin Delano Roosevelt (tentative malheureuse en 1937 mais réussie en 1945 avec l’installation du complexe militaro-industriel et la politique expansionniste de la Guerre froide), l’exécutif avait réussi à prendre la prépondérance en se libérant des consignes originelles. C’était ce que Arthur Schlesinger nommait, selon le titre de son livre fameux, la présidence impériale. Le 7 novembre, la “présidence impériale” a été pulvérisée. On en est revenu à la paralysie de l’exécutif par la puissance du Congrès, formule originelle. La différence avec 1788 (adoption de la Constitution), c’est que l’Amérique a une politique mondiale qu’elle n’avait pas en 1788 ; en toute logique, d’ailleurs, puisque le Congrès était là pour interdire cette politique mondiale (la pensée idéologique du XXème siècle baptisa cela : “isolationnisme”, en diabolisant à mesure). La survie du système dépend aujourd’hui uniquement de la survie de cette politique mondiale. La nouvelle situation, conforme aux vœux de ces Founding Fathers les plus clairvoyants, fait que le système ne peut plus, désormais, développer cette politique mondiale. Il est perdu.
Si certains nomment cela “bipartisme renouvelé”, libre à eux. C’est le signe que le virtualisme tente désespérément d’éviter l’agonie générale qui le menace. En fait de “bipartisme renouvelé”, il s’agit de la formule parfaite de la paralysie totale, — le “perfect storm” comme ils disent, lorsque tous les éléments d’une crise majeure sont réunis et convergent pour provoquer l’explosion finale. Par conséquent, nous traduirons “bipartisme renouvelé” par ceci : la crise du système, encore plus qu’une “crise de régime”, est arrivée à son stade suprême et ultime.
L’Amérique est plus que jamais une démocratie et la crise du système nous indique que la démocratie est entrée dans son impasse finale, entre corruption généralisée, affaiblissement dramatique d’un pouvoir qui n’a jamais eu la fondation régalienne pour imposer sa légitimité nécessaire, puissance incontrôlée et anti-démocratique de la bureaucratie. La chose était dissimulée, de plus en plus poussivement, par une présentation complètement virtualisée de la réalité par l’idéologie de la communication, — jusqu’à créer une autre réalité pour n’avoir pas, par dissimulation, à affronter la réalité. Le virtualisme est dans la même impasse que celle où se trouve le système. On se bouscule dans cette impasse. “Perfect storm”, sans nul doute.
Une étrange revanche posthume des Founding Fathers…