Un commentaire est associé à cet article. Vous pouvez le consulter et réagir à votre tour.
44727 juin 2006 — Richard Perle est-il de retour ? Richard Perle est de retour. Dimanche, 25 juin, dans le Washington Post, il a livré une violente attaque contre la politique de l’administration, Condi Rice et le président lui-même. En cause : l’Iran. Il s’agit de la position la plus nette, la plus proche de la rupture avec GW, prise par un neocon de renom sur l’affaire iranienne. Il s’agit, pour Perle, de la première intervention solennelle et aussi précisément orientée par rapport à un problème brûlant depuis longtemps. (Perle se tenait en retrait de la scène politique US depuis mars 2003 et une vilaine affaire où il avait mélangé ses intérêts propres et son influence officielle. Depuis, il a fait quelques interventions, mais de second plan, loin de son style tonitruant. Il est resté pourtant une figure mythique et inspiratrice des néo-conservateurs.)
D’abord, Perle donne du crédit à la version que la Maison-Blanche tente d’écarter : la décision du 31 mai de rejoindre les discussions avec les Iraniens représente une concession majeure et une défaite pour la politique de GW Bush.
(Perle emploie l’expression sans ambages de “such an ignominious retreat”. Le titre lui-même est significatif : « Why Did Bush Blink on Iran? (Ask Condi) ». Perle avait d’abord prévu : « Did Bush Blink on Iran? (Ask Condi) ». Le “pourquoi” en tête de phrase change tout, comme on le comprend. La déroute de Bush est un fait acquis, acté.)
Perle reprend la vieille tactique, mais cette fois sans prendre de gants, en suggérant sans guère de précautions que Bush est un pantin qui ne prend attitude que sous influence. (Celle de Rice ici, — comme hier, ajouterait-on, celle des neocons.) Il retrouve sa cible classique, celle qu’il poursuit de sa vindicte depuis le début des années 1980, quand il menait, depuis le Pentagone, une guerre sans merci contre le State department et son vis-à-vis Richard Burt. Pour Perle, le State department trahit, il fait partie d’un “bloc” (comme on disait du temps de la bureaucratie bolchevique) qui regroupe ses pires ennemis dans l’affaire iranienne : les Européens.
Description de l’ignominie :
« President Mahmoud Ahmadinejad of Iran knows what he wants: nuclear weapons and the means to deliver them; suppression of freedom at home and the spread of terrorism abroad; and the “shattering and fall of the ideology and thoughts of the liberal democratic systems.”
» President Bush, too, knows what he wants: an irreversible end to Iran's nuclear weapons program, the “expansion of freedom in all the world” and victory in the war on terrorism.
» The State Department and its European counterparts know what they want: negotiations.
» For more than five years, the administration has dithered. Bush gave soaring speeches, the Iranians issued extravagant threats and, in 2003, the State Department handed the keys to the impasse to the British, French and Germans (the EU-3), who offered diplomatic valet parking to an administration befuddled by contradiction and indecision. And now, on May 31, the administration offered to join talks with Iran on its nuclear program.
» How is it that Bush, who vowed that on his watch “the worst weapons will not fall into the worst hands,” has chosen to beat such an ignominious retreat?
» Proximity is critical in politics and policy. And the geography of this administration has changed. Condoleezza Rice has moved from the White House to Foggy Bottom, a mere mile or so away. What matters is not that she is further removed from the Oval Office; Rice's influence on the president is undiminished. It is, rather, that she is now in the midst of — and increasingly represents — a diplomatic establishment that is driven to accommodate its allies even when (or, it seems, especially when) such allies counsel the appeasement of our adversaries. »
Il n’empêche, le texte de Richard Perle est surtout remarquable en ce qu’il n’épargne pas le président GW Bush lui-même. C’est un peu une “première” pour un néo-conservateur du format de Richard Perle. Tout juste admet-il un éventuel bénéfice du doute : « It is not clear whether Bush recognizes the perils of the course he has been persuaded to take. » Mais cette phrase semble plutôt de circonstance (quoique pas très aimable pour la lucidité intellectuelle du président) quand elle vient après des affirmations de cette sorte, martelées sans le moindre souci des nuances :
« The president knows that the Iranians are undermining us in Iraq. He knows that the mullahs are working to sink any prospect of peace between the Israelis and the Palestinians, backing Hamas and its goal of wiping Israel off the map. He knows that for years Iran has concealed and lied about its nuclear weapons program. He knows that Iran leads the world in support for terrorism. And he knows that freedom and liberty in Iran are brutally suppressed.
» The president knew all this in 2003 when he learned of Natanz, Arak and other concealed Iranian nuclear facilities. After the International Atomic Energy Agency became aware of Iran's hidden infrastructure in June of that year, we could have referred the matter to the U.N. Security Council and demanded immediate action. But neither our allies nor our diplomats nor the State Department experts assigned to the White House desired confrontation. It would be better, they argued (as always) to buy time, even though diplomatic time for them was weapons-building time for Iran.
» So, after declaring that a nuclear Iran was “unacceptable,” Bush blinked and authorized the EU-3 to approach Tehran with proposals to reward the mullahs if they promised to end their nuclear weapons program. »
La fin de l’article de Perle constitue, comme il est assez normal, un appel au président (et, derrière lui, à un homme, Cheney) pour qu’il revienne dans le droit chemin (celui de la guerre, bien entendu). On a du mal, pourtant, après avoir lu tout ce qui précède, à y voir autre chose qu’une concession de préséance.
« A few days ago, I spoke with Amir Abbas Fakhravar, an Iranian dissident student leader who escaped first from Tehran's notorious Evin prison, then, after months in hiding, from Iran.
» Fakhravar heard this president's words, and he took them to heart. But now, as he pleads for help for his fellow citizens, he is apprehensive. He wonders whether the administration's new approach to the mullahs will silence the president's voice, whether the proponents of accommodation with Tehran will regard the struggle for freedom in Iran as an obstacle to their new diplomacy.
(...)
» I hope it is not too late for Fakhravar and his friends. I know it is not too late for us, not too late to give substance to Bush's words, not too late to redeem our honor. »
A-t-on rappelé Perle au combat ou est-il revenu de lui-même? Le fait qu’il publie dans le Washington Post (et non dans le Wall Street Journal, par exemple) est significatif. Il entend ainsi donner à son intervention un style plus solennel, moins partisan ; il entend aussi que cette intervention ait plus de poids. Tout cela fait penser à une offensive concertée, et favorise l’hypothèse selon laquelle on a demandé à Perle de revenir sur le devant de la scène.
Dans tous les cas, son intervention, et la vigueur de cette intervention qui n’est pas loin du sacrilège de mettre en cause fondamentalement GW lui-même, constituent une indication certaine de l’irritation qui gagne les milieux extrémistes de Washington. Pour ces milieux (qui débordent les seuls “neocons”), il ne fait plus aucun doute que le changement de l’administration, le 31 mai, doit désormais être assimilé à une quasi-capitulation. Plus le temps passe, plus l’espoir faiblit d’un retour de flamme, d’une nouvelle volte-face de GW Bush aboutissant à une dramatisation de la situation pouvant mener à une attaque contre l’Iran.
Ce pessimisme des extrémistes est d’autant plus significatif qu’il est nourri à de bonnes sources. Certaines indications laissent penser que John Bolton, l’ambassadeur US à l’ONU, partage lui-même cette analyse, à partir des contacts qu’il a évidemment avec le département d’État dont il dépend. Bolton partagerait, — s’il ne l’a inspirée, — l’analyse de Perle selon laquelle la position actuelle des USA résulte d’un kidnapping réussi de la politique extérieure par le département d’État (tendance-Rice).
Cela fait qu’on se trouve dans une situation assez étrange. D’un côté (USA), l’humeur générale est donc de plus en plus que la politique de l’administration s’écarte de la possibilité d’une attaque contre l’Iran, alors que ce pays reste un but essentiel des extrémistes, voire, pour certains, le but fondamental dès le 11 septembre 2001. Voir l’article de Laura Rozen, dans “Mother Jones”, juillet-août 2006:
« Ledeen, qui a soutenu dans de nombreux articles et interventions dans les médias que Téhéran est le principal sponsor du terrorisme islamique, fait partie d’un sous-clan de néoconservateurs pour qui l’Iran n’est pas une considération secondaire par rapport à l’Irak mais est depuis longtemps la cible principale. Depuis près d’un quart de siècle, ces partisans de la ligne dure attendent que Washington passe à l’offensive contre la République islamique. »
D’un autre côté, — en Europe notamment, et en Russie, — on reste persuadé que le tournant US du 31 mai n’est que tactique et que l’administration GW n’attend qu’une occasion pour en revenir à sa position dure, avec menaces de sanctions et, très vite, menaces d’attaque militaire contre l’Iran. Ce sentiment est très fortement présent chez de nombreux analystes, en France, en Russie, et même au Royaume-Uni et en Allemagne, — soit, chez les principaux partenaires de Washington dans la crise iranienne. Certains donnent quelques mois, six au maximum, pour que Washington revienne à sa position initiale.
Au centre de tout cela, une énigme, toujours la même : GW. Que pense-t-il ? Quelles sont ses intentions ? Pense-t-il seulement ? Questions sans réponses. Comme il est probable que le président des Etats-Unis (POTUS) ne pense rien de précis, il faut en revenir à ses “tendances”. Il est certain que GW serait sensible au discours de Perle si aucune interférence ne venait le brouiller. Nous ne sommes plus en 2003. L’Amérique n’a plus les moyens d’une attaque sérieuse et GW n’est plus en position de monter de toutes pièces une guerre comme il monta la guerre contre l’Irak.
Il est possible que cet article de Perle représente paradoxalement le signal de la rupture définitive de GW avec la ligne belliciste extrémiste des “neocons”. Cela ne signifie pas un retour à la raison ou un retour à la modération, mais une accentuation du désordre washingtonien : aux poussées bellicistes vont désormais s’ajouter les frustrations de ne pas les voir suivies d’effets.
Peut-être est-il temps pour Perle de prendre sa retraite et d’écrire ses mémoires. Par exemple, dans sa belle maison de Provence. Peut-être y recevra-t-il un jour un GW lui aussi à la retraite. Ils parleront de leurs occasions ratées.
Forum — Charger les commentaires