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12 septembre 2002 — Non seulement le chancelier Schröder n'atténue pas son opposition aux projets américains d'invasion de l'Irak, mais il ne cesse de la renforcer et de la rendre plus difficilement réversible. Cela signifie qu'une circonstance électoraliste est en train de se transformer en fait politique majeur, — sans aucun doute si Schröder l'emporte.
Le 9 septembre, on a pu apprécier la vigueur de l'engagement de Schröder, lors d'une réunion électorale à Cologne. Schröder a été particulièrement incisif sur cette question de la guerre projetée contre l'Irak, avec des arguments évidents (il suffit d'abandonner la langue de bois classique pour envisager les relations transatlantiques d'un oeil critique et constater les situations injustes, absurdes et stupides qui abondent dans ces relations : succès de foule assuré). Il a obtenu un succès important, avec les réactions de l'assistance particulièrement enthousiastes quand cette question était évoquée. Selon l'agence Reuter :
« Chancellor Gerhard Schroeder said on Monday Germany would not “click its heels” and follow the United States into war with Iraq, and denied that his position was straining relations with Washington. “The Middle East doesn't need more war, it needs more peace,” Schroeder said to loud applause at a Social Democrat rally at a central square in the western city of Cologne. “It is a mistake to think about military intervention in Iraq.”
» “Some are accusing me of endangering the German-American friendship,” Schroeder told the rally. “What kind of friendship is that if you are not free to state your opinion but instead have to stand there and click your heels together?” »
Les critiques de son concurrent Stoibel, le chrétien-démocrate bavarois, portent sur les dommages que l'attitude de Schröder peut faire au lien transatlantique entre l'Allemagne et les USA. Mais il s'agit d'une critique convenue, qui pêche par sa faiblesse de conviction face à une politique américaine qui ne prend plus le moindre gant pour imposer sa volonté à ses alliés. Là aussi, Schröder joue sur du velours.
La question de savoir si Schröder voudra ou pourra continuer dans cette voie n'a pas beaucoup d'intérêt. D'une part, il est obligé de continuer jusqu'au 22 septembre puisqu'il s'avère que son attitude sur cette question constitue le seul espoir qui lui reste de conforter sa remontée électorale ; d'autre part, s'il est réélu, ce sera à cause de son opposition à la politique irakienne des USA exprimée en des termes si forts et il risquerait une crise interne majeure s'il envisageait de revenir sur cette opposition. (A cet égard comme dans beaucoup d'autres, tout dépend de l'Amérique : si GW poursuit son actuelle politique en Irak, Schröder réélu paraît devoir être verrouillé dans l'opposition où il s'est mis, même si cela lui apparaît comme contre-productif et très difficile à tenir, même si cette opposition est assortie d'incantations sur l'amitié germano-américaine.)
En attendant, on doit relever deux points fondamentaux pour ce qui concerne cette situation allemande :
• Il est maintenant manifeste et confirmé que, pour la première fois dans l'histoire de l'Allemagne de l'après-guerre, une élection en Allemagne se jouera sur une question de politique étrangère non directement liée à la situation allemande. C'est un événement d'une extrême importance qui mesure non pas l'évolution de l'Allemagne mais les conséquences de l'évolution de la politique américaine dans la situation intérieure des pays alliés.
• Dans les cas extrêmes des situations électorales, — et les “cas extrêmes” sont aujourd'hui de moins en moins rares, — les politiciens occidentaux peuvent être conduits à tout sacrifier à leur avenir électoral, y compris l'engagement le plus “sacré” pour la plupart d'entre eux : la position de soumission au lien transatlantique, jusqu'alors tenu comme une condition sine qua non de leur carrière politique. C'est la première fois que ce lien est explicitement sacrifié à une situation électorale. A côté de cela, toutes les rengaines moralisatrices ou réalistes n'ont que peu d'intérêt et on les oubliera vite. (Autrement dit : on ignore si Schröder sauvera sa carrière à cause de cette évolution vis-à-vis des USA, et cela est finalement peu important ; ce qui importe est qu'il a jugé nécessaire de le faire pour tenter de sauver sa carrière et que cela a de fortes chances de réussir. D'autres politiciens, des “réalistes” eux aussi, retiendront la leçon, malgré les analystes bien-pensants qui les conseillent.)
Schröder ne sort pas plus grandi de cette aventure. S'il s'est opposé aux Américains, ce n'est pas par force (par “gaullisme”, disons) mais exactement au contraire, par faiblesse. On voit démontrée, une fois de plus, le fait paradoxal et assez intéressant que l'extraordinaire faiblesse des politiciens occidentaux devient un facteur important pour permettre aux courants historiques naturels de se réaffirmer, contre le corset de fer des engagements de soumission de la plupart des Européens vis-à-vis des Américains. En d'autres mots, — au plus Schröder s'est trouvé en position de faiblesse, au plus il a été contraint à une politique de fermeté en s'opposant à la politique américaine ...