Petite revue : ça cherche

Les Carnets de Badia Benjelloun

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Petite revue : ça cherche

Nous ne disposons pas à l’heure actuelle de médicament antiviral efficace contre l’agent du COVID-19. Les soins apportés aux personnes infectées réparent les effets de la maladie comme l’oxygénation au masque ou par ventilation assistée, la correction de troubles métaboliques ou les antipyrétiques. Ils donnent du temps au système immunitaire pour organiser sa réponse.

L’épidémie due au SARS-CoV-2 pose des problèmes qui concernent les systèmes de santé, les médecins et les chercheurs. Elle actualise de manière aigüe la question des organisations de nos sociétés fragmentées, interdépendantes où est ensevelie la souveraineté d’un pays sur les plans sanitaire et alimentaire. 

Préalable : limiter les patients à traiter

Le premier niveau de lutte, essentiel, cherche à limiter la vitesse de propagation du virus. Les stratégies thérapeutiques et vaccinales ne peuvent se déployer que dans un contexte de semi-urgence, quand l’effort n’est pas tout entier consacré à créer des lits de réanimation.   

De nombreux protocoles en cours étudient plusieurs dizaines de molécules en cultures cellulaires et pour certaines, elles sont déjà au stade d’essais cliniques. 

A Wuhan dans la province de Hubei en Chine, à la fin de l’année 2019, la survenue d’une quarantaine de pneumopathies graves a évoqué par leur évolution et leur aspect radiologique l’épidémie de 2003 due au Sars-CoV. Très vite, le virus responsable a été identifié comme appartenant à la même famille des Béta-Coronavirus. Ce germe émergeant pour lequel l’homme n’a aucune immunité a été séquencé. Il donne le plus souvent des atteintes des voies respiratoires modestes mais parfois des formes sévères voire mortelles, celles qui ont donné l’alerte. Face à un pathogène très contagieux et sensibilisées par une recherche en virologie impulsée en 2003 à la haute probabilité d’une nouvelle anthropozonose dévastatrice, les autorités sanitaires et politiques ont rapidement pris la mesure de ses risques épidémiologiques. Elles ont décidé d’appliquer le confinement drastique des habitants et la mise en quarantaine de toute la province. Cette stratégie appartient aux ressources préventives non médicamenteuses pour maîtriser la progression de l’infection dans la population par un germe pour lequel n’existe ni vaccin ni traitement. L’isolement des personnes présentant des symptômes ou diagnostiquées porteuses du virus a fait partie de l’arsenal thérapeutique pour contenir la dissémination du Sars-Cov-19.

Très vite, les recherches cliniques et biologiques ont été démarrées. Il fallait tracer le réservoir et l’hôte intermédiaire et repérer dans sa structure les cibles des médicaments susceptibles de le combattre. Dès que les tests pour le détecter furent au point, il apparut que majoritairement, les patients COVID-19 faisaient une forme légère à très légère de la maladie. Une  méta-analyse incluant 29 études et 2090 patients a rehaussé récemment l’estimation des formes sévères à 26%, des critiques à 16% et des létales à 7,4%.

Et c’est bien pour traiter ces formes qu’il faut de toute urgence trouver des médicaments. Le port pour tous de masques respiratoires d’une qualité filtrant des particules de quelques microns suffit à baisser drastiquement le rapport R0 alors qu’une politique de dépistage permet d’isoler les contaminés. 

Les cliniciens se sont empressés de trouver des critères qui permettent de prédire une évolution défavorable de la maladie et de trouver la parade thérapeutique afin d’empêcher son cours. 

S’agissant d’une infection virale de l’ampleur de cette épidémie, deux types d’intervention se sont imposés. Réduire son extension rapide pour que les structures sanitaires ne soient pas débordées par un afflux inhabituel de patients - voire même interrompre totalement sa transmission. Développer des traitements pour les formes sévères ou critiques pour diminuer le nombre de décès et de fibroses pulmonaires cicatricielles. Les formes légères ne méritent pas de médication spécifique, elles seront cependant diagnostiquées pour être mises en quatorzaine.

Des marqueurs biologiques d’un mauvais pronostic ont vite fait consensus car ils se sont révélés constants et aisés à rechercher, un taux de lymphocytes bas ainsi qu’un taux élevé de CRP (signant l’inflammation) et l’enzyme LDH (signifiant des dommages tissulaires). 

Averties de l’expérience acquise avec les antiviraux mis au point en particulier le VIH, le Mers-Cov et Ebola, des centaines d’équipe se sont lancées dans la recherche de médicaments contre le SARS-Cov2. Les publications se multiplient, d’inégal intérêt. Début avril, le seul registre des essais cliniques en Chine contenait 557 projets de recherche avec le terme COVID-19 dans leur titre. Dans un souci d’économie des ressources, devant une telle pléthore, le Ministère des Sciences et de la Technologie est intervenu exigeant que les projets soient motivés par une efficacité probable et qu’ils respectent les normes pharmaceutiques.

La biologie du virus oriente la recherche des médicaments capables de le conjurer dans l’attente d’un vaccin qui ne pourra être disponible avant un an.

Empêcher la réplication virale

Une fois qu’il a pénétré une cellule, le virus interagit avec les mécanismes de production des protéines de l’hôte. Il les utilise en particulier pour fabriquer une enzyme codée dans son génome qui le réplique. Cette enzyme, une ARN polymérase n’existe pas chez l’hôte qui, lui, ne possède que des ADN polymérase. C’est une cible idéale pour bloquer le virus mais les ADN et ARN polymérases sont trop étroitement liées pour que l’on puisse affecter l’une sans l’autre, d’où les nombreux échecs essuyés pour le VIH. 

Un analogue de l’adénosine, élément nucléotidique qui rentre dans la composition de l’ARN, le remdesevir avait été utilisé contre le virus Ebola avec peu d’efficacité sur l’homme mais il a été testé avec quelque succès dans des cultures cellulaires contre le MERS-CoV. Ce candidat développé par la firme américaine Gilead est actuellement en cours d’essais cliniques dans des centres répartis dans différents pays. De nombreux autres analogues comme le  tefonavir, actif dans la prévention de l’HIV sont en cours d’étude.

Les analogues des nucléotides, capables de perturber le métabolisme et sa synthèse de l’ADN, ont été employés  dès les années 50 comme anticancéreux.

Cette antériorité doit faire poser la légitimité de la propriété intellectuelle d’une molécule dont le mode d’action a été établi par une recherche publique déjà ancienne. En cas de succès, le remdesevir devra être produit par les services de santé publique et distribué gratuitement aux patients qui relèveraient de cette thérapeutique. L’Inde et la Chine ne se sont pas embarrassées de produire des génériques peu onéreux quand cela s’est montré nécessaire.

Empêcher la formation de l’enzyme

Pour être fonctionnelle, une fois produite, l’enzyme doit subir des transformations pour atteindre sa bonne conformation. Deux ou trois enzymes, elles aussi virales, interviennent dans un processus de coupe en des sites précis. Bloquer ces sites pour interdire ce processus d’arrangement a déjà été utilisé pour le VIH, c’est le principe des inhibiteurs de protéase. L’un d’eux, le nelfinavir, a déjà été expérimenté  en 2004 contre le coronavirus de l’épidémie de 2003 dans des cultures cellulaires avec succès. L’association lopanavir-ritonavir, largement utilisée dans le traitement du VIH a été testé en  Chine et au  Royaume Uni mais n’a pas donné de  résultats significatifs. 

L’atazanavir s’est montré comme puissant inhibiteur de protéase dans des cultures cellulaires infectées par le SARS-CoV-2. Le favipiravir s’est montré efficace contre le virus de la grippe, le Japon l’adopte comme traitement de première ligne. On peut s’attendre à une éclosion d’essais dans cette voie avec screening des molécules déjà existantes et développements d’originales grâce aux informations ultra-structurales obtenues par cristallographie.

Empêcher l’encapsulation de l’ARN viral

De nombreuses protéines qui sont douées d’autres propriétés, aider l’ARN à se lier à son enzyme de réplication, interviennent pour emballer l’ARN dans son enveloppe. Il est difficile de perturber spécifiquement ce processus car ces interactions mettent en jeu des contacts étendus entre plusieurs molécules, ce qui nécessiterait l’emploi de très grosses molécules de blocage, difficiles à concevoir. 

L’étape d’externalisation de la particule virale une fois mature n’est pas aisée non plus à contrecarrer. Elle emprunte le mécanisme de l’exocytose, vital pour la cellule hôte. 

Contrarier la fixation du virus

La structure extérieure du virus résulte de la combinaison d’une enveloppe, d’une membrane très enfouie et fait intervenir une partie de la membrane cellulaire. Cette coquille est revêtue d’une protéine de pointe, responsable du halo observé en microscopie, elle sert à l’attachement du virus à la cellule. Certains coronavirus gardent leur pouvoir infectant même sans enveloppe. La membrane virale n’est pas accessible. 

La protéine de pointe reste la cible de choix de nombreuses thérapeutiques. 

Complexe mais périphérique, elle induit la formation par le système immunitaire d’anticorps qui réagissent contre elle. Dans le cas du SARS-Cov-1 de 2003, ces anticorps protecteurs sont décelés jusqu’à deux ans après l’infection.

   La première voie est celle du transfert des anticorps à partir du plasma de patients guéris. Plusieurs centres recourent à cette technique qui aide les patients les plus à risque ou le personnel soignant. Elle suppose d’avoir un nombre élevé de donneurs sains ayant été infectés et ne peut être généralisable.

Une autre voie, employée dans la lutte contre Ebola est de faire fabriquer des anticorps en insérant les gènes qui les commandent dans une cellule végétale. 

Si elle ne peut être une solution immédiate, elle pourra être efficace d’autant que seront sélectionnés les anticorps à produire pour leur efficience neutralisante. Ils seront dirigés contre une partie structurelle essentielle au virus, celle qui permet son arrimage à la membrane de la cellule hôte. Très stable, elle altérerait la pathogénicité du virus si elle subissait des mutations. Le criblage des parties à atteindre est  très avancé. La production industrielle est prévue pour cet été.

  Une méthode originale propose de saturer les récepteurs des cellules auquel doit s’attacher la protéine de pointe avant de les pénétrer. Des polypeptides doués d’une très forte affinité ont  été générés avec une assistance informatique, ils n’ont pas encore été essayés chez l’homme. Ce type de tentative a été effectué pour l’HIV avec un polypeptide de trente acides aminés injecté mais il n’a jamais donné lieu à un traitement de masse.

Saborder la pénétration

Une fois verrouillé à la membrane cellulaire, le virus utilise une enzyme de l’hôte qui va couper la protéine de fixation. L’une des parties de la division  permet la fusion du manteau viral avec la membrane de l’hôte puis la  formation d’un sac qui contient le matériel viral qui va se trouver maintenant à l’intérieur. En 2016, un inhibiteur de cette protéase, le camostat mésylate, avait expérimenté contre le MERS-CoV avec succès. Il réduit l’infection de cellules en culture par le SARS-CoV-2. Commercialisé dès 1985 pour les pancréatites chroniques et le reflux gastro-oesophagiens post-opératoires, il est  actuellement essayé dans le COVID-19. Candidat très solide, tombé dans le domaine public, des services de santé publique devront s’y intéresser pour délivrer gratuitement aux patients en cas de succès probable.

Les enzymes de l’hôte détournées par le virus ont besoin d’un pH bas pour être actives. La chloroquine et ses dérivés pénètrent les vacuoles dans lesquelles se reproduisent les virus, élèvent ce pH et ralentissent l’infection en culture. Les études publiées ne sont pas concluantes, d’autres sont en cours pour valider ce traitement chez l’homme.

Les Interférons

Les interférons sont une famille de petites molécules présentes chez tous les vertébrés capables de déclencher une réponse immunitaire innée, rapide. La réponse acquise, plus tardive, est adaptée à l’agent pathogène qui a instruit le système immunitaire. 

Des particules d’ADN ou d’ARN libres dans le cytoplasme sont une anomalie propre à la présence de virus car le matériel génétique indigène est confiné dans le noyau. Elles sont un facteur déclenchant de leur production. Les interférons vont alors déclencher une cascade d’évènements qui mobilise tout métabolisme de la cellule vers sa défense.

Les Interférons de synthèse ont été introduits comme antiviraux dès les années 2000 en particulier contre l’hépatite B. L’Interféron béta 2 a été utilisé avec succès contre la Dengue et certains cancers à Cuba. Il a donné d’excellents résultats en  cultures cellulaires contre le SARS-CoV-2. Il a été incorporé dans les essais ‘Discovery’ européen et dans celui de l’OMS ‘Solidarity‘.

Amortir ou empêcher l’orage des cytokines

Concernant la tempête des cytokines qui met en péril la vie des patients par des phénomènes complexes de coagulation intravasculaire et de perméabilité vasculaire, un essai a actuellement recours à un anticorps  anti-IL6. Mais bien d’autres peuvent être prises pour cible. Des immunosuppresseurs et des anti-inflammatoires stéroïdiens comme non stéroïdiens sont également évalués.

Le traitement définitif du COVID-19 associera sans doute plusieurs molécules

Les diverses stratégies passées en revue ici ne doivent pas faire oublier que l’on doit faire face à la pandémie actuelle en se prémunissant d’une contamination par le port de masques et d’équipements de protection individuelle. Vraisemblablement, le médicament qui sera se révèlera rapidement efficace proviendra d’un repositionnement d’une molécule ancienne à faire prendre en charge par les assurances sociales publiques sans passer par les firmes privées. Nous avons ici la démonstration du manque d’innovation de ces firmes privées qui consacrent plus pour le financement de leurs activités publicitaires dont fait partie le démarchage des médecins, et des chefs de service hospitaliers et des enseignants susceptibles d’influencer les prescriptions. Cette tendance à réduire dans la recherche et le développement se traduit par une baisse considérable de molécules innovantes mises sur le marché chaque année. 

Le médicament, comme l’eau, l’électricité, le transport est une affaire trop sérieuse pour le confier au privé. Comme l’eau, l’électricité, le transport, il doit être un bien public aussi bien pour la recherche de nouvelles voies que pour sa production. Il est déjà payé en amont par la recherche publique à l’origine des orientations thérapeutiques qui seront exploitées ultérieurement par les entreprises. Il est payé en aval par les cotisations des travailleurs aux assurances publiques et privées. 

Enfin, il incombe aux sociétés de se prémunir de prochaines épidémies, prédites par les épidémiologistes virologues depuis quelques années. Il leur faut restructurer leurs modes de production, leurs modes de consommer et de pensée! L’inefficacité relative des services publics est proportionnelle au désengagement de l’Etat qui a gaspillé les ressources collectives à force de privatisations. Il s’est trouvé démuni pour gérer une crise sanitaire révélatrice de fractures sociales et d’une dégradation de la vie publique orchestrée par les médias qui sont possédés par une poignée de ploutocrates. 

La France a pris du retard à décréter la ‘distanciation sociale’ et le confinement car ses dirigeants ont mal été conseillés ou qu’ils n’ont pas entendu l’évidence de l’arrivée de l’épidémie. Elle n’a pas prescrit le masque et les tests virologiques généralisés car elle s’est trouvée dans une situation de pénurie que des années de désindustrialisation ont générée.

Enfin, il incombe aux sociétés de modifier leur façon depenser et de pratiquer le politique. Démocratiquement, pour le bien-être de tous et de chacun. C’est-à-dire, au minimum, ne pas faire s’écrouler l’être sous le poids de la marchandise convoitée et de la compétition pour sa possession jamais assouvie.