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41625 avril 2008 — La nomination du général Petraeus au poste de commandant en chef de Central Command, détenu auparavant par l’amiral Fallon démissionnaire depuis le 11 mars, est un bon reflet de trois choses: la médiocrité de la direction américaniste (Petraeus, archétype du général opportuniste et virtualiste quant aux situations militaires); le désordre qui y règne; le danger qui caractérise cette chose qu’on a du mal à nommer encore la “politique” de l’administration GW Bush.
Cela écrit, il est manifeste que cette nomination doit également être interprétée d’un point de vue politique, tenant compte de l’extraordinaire pauvreté de cette “politique”. Cette nomination n’est pas une surprise dans la mesure où elle est dans la logique de la démission de Fallon, qui représentait elle-même une étape dans l’affrontement au sein de cette direction avec un recul temporaire des “réalistes” adversaires d’une attitude militariste dure contre l’Iran. Les conditions de cette nomination sont dans tous les cas intéressantes.
Le texte de Gareth Porter, hier sur Antiwar.com, nous offre une perspective effectivement intéressante. Pourquoi Porter? Parce qu’on le connaît assez pour savoir qu’il parle au nom de sources proches de ce parti des “réalistes”, notamment au Pentagone, où l’on trouve l’essentiel de la direction militaire, et singulièrement l’U.S. Navy, l’amiral Mullens (président du JCS), voire le secrétaire à la défense Gates. Divers textes précédents de Porter, notamment sur l’amiral Fallon, nous ont assez éclairé là-dessus. Celui d’hier est écrit d’une façon sufisamment explicite, comme reflétant plus que jamais l’interprétation et l’information de ces sources.
Ce texte nous dit plusieurs choses:
• D’une façon générale, il nous dit que la nomination de Petraeus donne à Cheney “des facilités” pour éventuellement pousser à une attaque de l’Iran, si l’occasion se présente. On n’a pas du tout l’impression d’un homme (Cheney) ayant “pris le pouvoir” en remplaçant Fallon par Petraeus, mais bien d’un homme en embuscade, ayant “placé” un pion de plus (Petraeus) pour éventuellement “profiter d’une occasion” et plaider une attaque contre l’Iran. (Petraeus est “un pion” en même temps qu’un ambitieux du calibre courant aujourd’hui, de la médiocrité avérée qui imprègne toute cette atmosphère. Bien placé, il espère faire une carrière politique. Voir l’hypothèse de Clemons.)
«The nomination of Gen. David Petraeus to be the new head of the Central Command not only ensures that he will be available to defend the George W. Bush administration's policies toward Iran and Iraq at least through the end of Bush's term and possibly even beyond.
»It also gives Vice President Dick Cheney greater freedom of action to exploit the option of an air attack against Iran during the administration's final months.»
• Porter donne des précisions, – qui peuvent paraître contradictoires mais qui reflètent surtout le désordre de la direction US, – sur ce que fut le commandement de Fallon. Si, effectivement, Fallon bloqua la politique agressive anti-Iran de l’administration, par contre il vit nombre des pouvoirs normaux du CinC de Central Command (CentCom) rognés au profit de Petraeus: «As the top commander in Iraq, Petraeus was in theory beneath Fallon in the chain of command. But in reality Petraeus ignored Fallon's views and took orders directly from the White House. Petraeus was in effect playing the role of CENTCOM commander in regard to the twin issues of Iraq and Iran.» Porter précise aujourd’hui que cette limitation de ses pouvoirs est une des principales causes du départ de Fallon.
• Porter revient sur le voyage de Cheney au Moyen-Orient au moment de la démission de Fallon, qui semble avoir été une sorte de tournée de promotion de l’obsession de Cheney de l’attaque de l’Iran. Porter insiste sur des détails d’une visite, ajoutée en dernière minute, en Turquie, concernant un Cheney plaidant “agressivement” (ou donnant des ordres “agressivement” peut-être?).
«Cheney aggressively solicited political support from Turkish leaders for a U.S. strike against Iranian nuclear facilities during his visit to Turkey last month, according to a source familiar with Cheney's meeting in Ankara.
»Cheney was “very aggressive” in asking Turkish Prime Minister Recep Tayyip Erdogan and President Abdullah Gul, as well as Turkey's chief of general staff Gen. Yasar Bukyukanit, to get “on board” with such an attack, according to the source, who has access to reports from the Cheney visit.
»Cheney indicated that Turkey had been added to the trip at the last minute, suggesting that the decision to visit Ankara was linked to the Fallon resignation.
»After the meeting between Cheney and King Abdullah on the same trip, Saudi sources let it be known to the media that Abdullah had told Cheney that his government opposed any U.S. military strike against Iran. That suggested that Cheney had brought up the military option in Riyadh as well.»
• Enfin, tout cela est couronné d’un “détail” très public qui nous paraît extraordinaire dans ce climat d’intrigues byzantines, qui n’est nulle part explicité: l’extraordinaire délai pour la prise de commandement de Petrarus. Le nouveau CinC (Petraeus) prendrait son commandement “à la fin de l’été ou au début de l’automne” («Petraeus will take up the CENTCOM post in late summer or early fall, according to Defense Secretary Robert Gates.») Devant notre incertitude sur la traduction de la phrase, nous nous reportons à cette interprétation de Steve Clemons du 24 avril: «Since Petraeus will commence his new assignment in late summer or early autumn, it will give the Bush administration greater flexibility to exploit the option of an air attack against Iran before its time in office expires.»
Nous sommes en avril, la démission de Fallon date de mars, la nomination de Petraeus d’avril, et il faudrait attendre août-septembre (4 à 5 mois) pour voir un changement de commandement dans une zone aussi dangereuse, qui contrôle deux guerres? Certes, Petraeus doit être auditionné par le Congrès pour que sa nomination soit acceptée. Nul ne doute qu’elle le sera. C’est le train de sénateur suivi par cette affaire qui est extraordinaire; ou bien, qui s’explique évidemment par une tactique d’obstruction des “réalistes” (Gates, Mullens, etc.), avec le soutien et l’aide du Congrès, soi-disant trop occupé pour auditionner Petraeus... Ce ne sont pas des choses à dire mais des choses à faire: il y a une course de vitesse entre ces circonstances-là et la fin du mandat de GW Bush. Peut-être même ferait-on traîner la prise de commandement de Petraeus jusqu'aux élections de novembre? Quant aux événements et au sort du monde, ils attendront.
Alors, peut-on s’avancer à écrire: l’automne sera chaud? L’impression générale qui nous frappe est plus que jamais celle du désordre et de l’impuissance de la direction américaniste. Petraeus est un intrigant de bas étage, Cheney un quasi-malade mental qui, nous dit-on, continue la chasse aux ADM de Saddam (oui, de Saddam) qu’il croit réfugiées en Syrie (sans doute ont-elles bénéficié de l’asile politique); Bush est sans doute en train de discuter avec Dieu, voire de Lui demander des comptes; Hillary Clinton menace de raser l’Iran et réunit de l’argent pour “acheter” des super-délégués, et ainsi de suite.
Les détails donnés par Porter ont évidemment la solidité de ses sources habituelles. Pour autant, on pourrait remarquer que le parti des “réalistes” ne fait pas qu’afficher sa vertu de cohérence et montre aussi certains signes de désordre; Fallon a fait une obstruction efficace en 2007, pourtant on nous dit qu’il n’avait guère de pouvoir puisque Pétraeus passait directement par la Maison-Blanche; il est parti en mars parce qu’il n’avait guère de pouvoirs, mais cette situation lui avait tout de même permis de faire obstruction à l’attaque en 2007; là aussi, commentons: et ainsi de suite... Le désordre n’épargne personne parce que tout le monde est tenu à l’apparence de la vertu et au colportage de la fable virtualiste selon laquelle le pouvoir, avec l’habituelle omnipotence du président et la soumission de tous et des militaires au pouvoir civil, existe toujours à Washington. Le fait est qu’il n’y a plus de pouvoir à Washington mais une bagarre de chiffoniers où, parfois, un débile mental (éventuellement président) croise un malade mental (éventuellement vice-président), promené par l’ambitieux de service nommé CinC de Central Command pour l’occasion, où se joue le sort de l’humanité au travers de diverses guerres et qui attendra pourtant 5 mois pour accueillir son nouveau chef. L’histoire de la jument de Caligula était, en un sens, beaucoup plus rassurante car elle, au moins, jouait cartes et sabots sur table; dito pour le climat de l’URSS finissante et gérontocrate qui, entre un Brejnev agonisant et un Tchernenko mourant, ne nous dissimulait rien de son état.
Risque-t-on la guerre avec l’Iran? Incontestablement, cela fait partie des “plans”. Reste la situation générale, la paralysie complète, l’efficacité engluante d’une bureaucratie miliaire plutôt hostile à l’aventure et d’une direction du Pentagone qui n’en veut pas, appuyée en cela par le Congrès qui se proclame belliciste et guerrier mais qui ne tient pas à avoir une nouvelle guerre sur les bras alors qu’on ne parvient même pas à monter une élection présidentielle et que, après tout il faut le noter, il y a une grave crise économique. Le désordre règne et rien n’est plus paralysant, alors que le système exigerait d’une attaque contre l’Iran un ordre parfait, une coordination à mesure, et du temps, beaucoup de temps, et des forces considérables rassemblées en rangs clinquants et tonitruants.
Cheney semble plutôt une sorte de comploteur épuisé et allumé qui tente désespérément un dernier “coup” (détourner un autre B-52 et lui faire tirer un missile nucléaire sur l’Irak?) pour lancer son attaque favorite. Cheney sera le dernier à y croire, comme il croit au Très-Haut. Ce climat de fin d’Empire est, selon l’expression consacrée, “indicible”. Il ne faut pour autant pas cacher que tout peut arriver, y compris le pire dont on sait qu’il est toujours possible. Après tout, ce serait une manière comme une autre de se suicider, selon la formule de Lincoln, circa 1838. (Pensée qui nous a frappés, décidément, depuis que nous l’avons découverte: «Si la destruction devait un jour nous atteindre, nous devrions en être nous-mêmes les premiers et les ultimes artisans. En tant que nation d’hommes libres, nous devons éternellement survivre, ou mourir en nous suicidant.»)
De toutes les façons, c’est-à-dire d’une façon ou d’une autre, y compris climatique, – l’automne sera chaud.