Petraeus versus BHO, – et le désordre comme conséquence

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Il est vrai que quelques points soulevés par Barnett, de Esquire, que nous mettons en évidence dans notre Ouverture libre du 26 juin 2010, méritent des commentaires circonstanciés. Barnett caractérise une situation nouvelle aux USA, pour la direction politique, pour BHO, pour les présidentielles de 2012. Nous partageons complètement l’avis de Barnett, complètement au contraire des habituels commentaires dithyrambiques sur BHO de la “presse officielle”, selon lesquels le président a réussi un coup de maître en éliminant un rival potentiel pour 2012. C’est sans doute le contraire qu’a fait BHO…

@PAYANT Il est vrai, d’une part, que Petraeus est désormais intouchable, qu’il peut mener la guerre qu’il veut, et qu’il mènera une guerre beaucoup plus brutale que celle de McChrystal. Petraeus “tient” Washington (sous influence) alors que McChrystal ne pouvait se targuer que d’une influence positive sur Karzaï, pour avoir suivi une remarquable politique de restriction drastique des règles d'engagements, et ainsi limiter les pertes civiles en Afghanistan. Mais Washington s’en fout, Washington se fout de Karzaï et de l’Afghanistan. Washington veut que ça bouge, que ça pète, que ça explose, que l’on ait l’impression, bon Dieu !, de faire une vraie guerre où l’Amérique montrera que “USA means business”. Le doux et effacé Petraeus, cette personnalité sans couleur qui exerce une véritable dictature d’influence par la médiocrité sur les élus washingtoniens, auréolé d’une victoire (Irak) qu’il n’a jamais remportée parce qu’elle n’a jamais existé mais qu’il a si bien racontée en fable séduisante (narrative) d’une voix douce et modeste aux parlementaires, – Petraeus est le “dernier homme” selon la conception nietzschéenne, dans ce cas sous uniforme, et il a donc l’autorité qui va avec dans une époque faite pour le “dernier homme”. Cela n’est pas une question de pouvoir, d’affirmation militariste, mais de communication doucereuse, d’influence effacée et de flatterie discrète mais constante.

Effectivement, Petraeus “tient” BHO parce que BHO ne peut plus se permettre de changer de commandant en chef. Avec Petraeus, la guerre ira bien au-delà de 2011 (date désormais hollywoodienne fixée pour le début du retrait) et sera donc au centre des présidentielles. Elle sera brutale, comme on l’a dit, et constituera par conséquent un sujet constant de brûlante polémique, qui exacerbera les passions partisanes. Effectivement, Petraeus peut décider de démissionner disons fin 2011, sous le prétexte que BHO ne lui donne pas les moyens qu’il faut, et rejoindre le parti républicain comme candidat potentiel alors que BHO aura sur les bras une guerre tournant à la catastrophe, avec un nouveau commandant en chef (remplaçant d’un Petraeus démissionnaire) discrédité d’avance. Dans cette perspective, BHO se trouve devant un formidable opposant, sa réélection compromise, face à des républicains qui, déjà aujourd’hui, sentent qu’ils tiennent le bon bout avec une candidature Petraeus selon le schéma ainsi développé…

Là-dessus, nous ajouterons quelques bémols de dimension. Ils suffiront pour confirmer que nous voyons la situation à Washington comme un désordre en extension accéléré bien plus que comme une joute politique certes impitoyable mais qui signifierait tout de même que l’establishment contrôle encore la situation même si c’est à coup d’extrémismes divers.

• D’abord, Petraeus n’est pas en bonne santé. Son malaise lors d’une audition au Sénat, il y a une dizaine de jours, en est un signe. L’allure du général (on l’a vu lors de l’annonce de sa nomination) n’est pas celle d’un homme au mieux de sa forme. Cela joue son rôle parce que même le “dernier humain” est humain et a besoin d’une bonne mécanique pour son action également mécanique.

• La charge de mener la guerre va ajouter à cet état de santé délicat, d’autant qu’elle se fera, pour Petraeus, bien plus à Washington qu’en Afghanistan, puisque l’habitude de ce “général politique” est d’abord de veiller à ce que l’establishment soit de son côté. Cette activité est encore plus épuisante que la charge directe de la guerre, sur place, en Afghanistan. L’“homme fort” risque donc d’être objectivement et hors de toute considération politique un homme faible, ce qui est une situation typique du chaos washingtonien.

• Dans ce cas, la guerre va être beaucoup moins contrôlée qu’avec McChrystal, notamment au niveau de la nouveauté que va introduire Petraeus de rendre les règles d’engagement beaucoup plus laxistes, avec un renouveau de pertes civiles, une recrudescence, si c’est possible, de l’hostilité de la population, une hostilité encore plus grande, si c’est possible, de Karzaï, et ainsi de suite. Un incident, – une défaite majeure US sur le terrain, par exemple, est très possible, très rapidement, car l’on sait bien que cette tactique de brute épaisse conduit à l’affaiblissement de la brute. On comprend qu’on se trouve dans un cas ambigu où ce qui était perçu comme un avantage pour Petraeus (“Je démissionne parce que je ne gagne pas la guerre, parce que BHO ne me donne les moyens que je demande”) peut devenir un handicap si une catastrophe se produit alors que Petraeus est encore fermement aux commandes, bien avant l’hypothétique délai qu’il se serait donné pour démissionner, et qu’il vient d’obtenir temporairement certains renforcements qu’il demandait. Cela ne fait pas de BHO un gagnant, cela accroît encore le chaos et rend cette guerre de plus en plus insupportable au public américain, avec deux leaders en opposition potentielle, – Petraeus et BHO, – affirmant tout de même qu’il faut la poursuivre jusqu’à la victoire finale.

• En effet, si Petraeus connaît des problèmes alors qu’il a tous les pouvoirs, cela ne signifie pas un renforcement de la position de BHO tant que le président reste entièrement engagé dans ce conflit comme il l’est. Répétons-le, cela accroît le désordre washingtonien et si l’Afghanistan devient un thème central de campagne, cela deviendrait un thème de rejet populaire majeur et, peut-être, un bon thème pour un troisième larron anti-guerre. (Ceux qui pensent à Ron Paul seront pardonnés.) Là aussi, désordre assuré.

Pour conclure, et un peu à la différence du billet de Barnett qui dit des choses très sensées pourtant, nous verrions l’évolution de la situation non en termes d’affrontements politiques sévères où BHO pourrait être éliminé, mais en termes de chaos grandissant conduisant à une situation politique inextricable et incontrôlable pour les présidentielles. La possibilité d’une défaite sur le terrain, voire la seule possibilité sérieuse de cela, ajouterait à un tel désordre un facteur décisif qui pourrait faire vaciller le régime et le système de l’américanisme. On n'oubliera pas que l’Afghanistan est loin d’être la seule crise en cours, qu’il y a par exemple le “oil spill” du Golfe, la situation économique, etc., et que ces crises peuvent rebondir, redémarrer sur le mode explosif et interférer sur les effets de la crise afghane, – mais dans quel sens ? Qui le sait? Là encore, notre réponse serait : dans le sens du chaos à Washington, qui est, nous l’avouerons, l’hypothèse que nous favorisons constamment.


Mis en ligne le 26 juin 2010 à 06H01

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