Peut-on “déclassifier” l’“Indicible”  ?

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Peut-on “déclassifier” l’“Indicible”  ?

Le président Trump a rendu public un lot de documents jusqu’ici classés “secret” par la CIA et le FBI, concernant l’assassinat du président Kennedy en novembre 1963 à Dallas. Mais la nouvelle la plus intéressante est que dans ce lot, qui avait été maintenu “secret“, la CIA et le FBI ont obtenu de Trump que plusieurs centaines de pièces soit maintenues sous ce statut six mois de plus de façon à ce que les deux services puissent mesurer l’impact au niveau de la sécurité nationale...

Comme le remarqueraient certains, on ne voit pas ce que l’on mesurerait de plus en six mois qu’on n’a pas mesuré en gros demi-siècle avec des renouvellements successifs ; par conséquent, il est avisé de faire l’hypothèse que, dans six mois, un nouveau délai sera demandé et sans doute obtenu par les deux services, et ainsi de suite. D’où cette remarque justifiée de la journaliste Caitlin Johnstone selon laquelle la plus grande révélation apportée par ce matériel déclassifié est que « la CIA et le FBI ont encore désespérément besoin de garder secrets des éléments de quelque chose qui s’est passé il y a 54 ans ». (... Et ce quelque chose est officiellement bouclé, plié et expliqué le plus proprement du monde depuis la clôture de l’enquête de la commission Warren, et la diffusion du très-volumineux dossier sur cette affaire, en 1965).

Dans le texte qu’il a donné au site ConsortiumNews, l’ancien analyste de la CIA Ray McGovern cite Johnstone pour substantiver sa propre conviction que la CIA et le FBI voudront garder ad vitam aeternam “ces secrets secrets”, et sa conviction plus générale que l’assassinat fut bien une manigance d’éléments de ce que l’on ne nommait pas encore le Deep State. Il se trouve que McGovern était sélectionnés comme officier de la CIA à l’été 1963, et il rapporte ce souvenir des cours et examens qu’il suivit alors, lorsqu’un officier-moniteur de la CIA fit une longue tirade devant les candidats pour montrer que le président en fonction, John Kennedy, conduisait une politique de sécurité nationale catastrophique. Son ton était si enflammé, si furieux, que le jeune McGovern pensa en lui-même « ce type est dérangé ; si l’occasion lui en était donnée, il tuerait Kennedy ». (McGovern n’en est plus sûr, mais il lui semble possible que cet officier-instructeur pouvait être E.Howard Hunt, qu’on retrouverait plus tard dans l’équipe des “plombiers” de la Maison-Blanche, à la base du scandale du Watergate.)

« It was summer 1963 when a senior official of CIA’s operations directorate treated our Junior Officer Trainee (JOT) class to an unbridled rant against President John F. Kennedy. He accused JFK, among other things, of rank cowardice in refusing to send U.S. armed forces to bail out Cuban rebels pinned down during the CIA-launched invasion at the Bay of Pigs, blowing the chance to drive Cuba’s Communist leader Fidel Castro from power.

» It seemed beyond odd that a CIA official would voice such scathing criticism of a sitting President at a training course for those selected to be CIA’s future leaders. I remember thinking to myself, “This guy is unhinged; he would kill Kennedy, given the chance.”

» Our special guest lecturer looked a lot like E. Howard Hunt, but more than a half-century later, I cannot be sure it was he. Our notes from such training/indoctrination were classified and kept under lock and key.

McGovern développe donc son analyse de l’assassinat, et des doutes extrêmement profonds qu’il entretient par rapport à la version officielle. En tant qu’analyste de la CIA, il ne dispose pas lui-même d’éléments probants, dans la mesure où une telle action, si elle avait été réalisée par la CIA ou par des éléments de la CIA, aurait dans tous les cas été confiée aux services “Action” de l’Agence. Il existait à son époque (et sans doute il existe toujours), un cloisonnement infranchissable entre les services d’analyse et les services “Action”, y compris dans la disposition des bâtiments de Langley où les deux grandes branches de l’Agence sont dans deux bâtiments séparés, reliés entre eux par des couloirs placés sous une surveillance extrêmement étroite.

McGovern estime que le meilleur document d’analyse indépendante est le livre de 2008, de James Douglass’, JFK and the Unspeakable: Why He Died and Why It Matters. Nous avons extrait deux passages de son texte qui le concerne, et notamment l’un où il note que le livre de Douglass a reçu un accueil extrêmement discret de la presseSystème, mais qu’il est tout de même bien probable qu’Obama en ait eu un exemplaire ; ainsi s’explique-t-il peut-être, estime McGovern, qu’Obama ait, malgré toutes ses assurances en sens contraire durant sa campagne électorale, cédé à toutes les demandes des “Organes” de la sécurité nationale (CIA, NSA, etc.) et conduit une politique, – “politique de l’idéologie et de l’instinct”, ou ce que nous nommons “politiqueSystème”, – qui poursuivait celle de GW Bush à la satisfaction des mêmes “Organes”...

« And so, the big question remains: Did Allen Dulles and other “cloak-and-dagger” CIA operatives have a hand in John Kennedy’s assassination and subsequent cover-up? In my view and the view of many more knowledgeable investigators, the best dissection of the evidence on the murder appears in James Douglass’s 2008 book, ‘JFK and the Unspeakable: Why He Died and Why It Matters’.

» After updating and arraying the abundant evidence, and conducting still more interviews, Douglass concludes that the answer to the big question is Yes. Reading Douglass’s book today may help explain why so many records are still withheld from release, even in redacted form, and why, indeed, we may never see them in their entirety. [...]

» ...When ‘JFK and the Unspeakable: Why He Died and Why It Matters’ came out, the mainstream media had an allergic reaction and gave it almost no reviews. It is a safe bet, though, that Barack Obama was given a copy and that this might account in some degree for his continual deference – timorousness even – toward the CIA.

» Could fear of the Deep State be largely why President Obama felt he had to leave the Cheney/Bush-anointed CIA torturers, kidnappers and black-prison wardens in place, instructing his first CIA chief, Leon Panetta, to become, in effect, the agency’s lawyer rather than take charge? Is this why Obama felt he could not fire his clumsily devious Director of National Intelligence James Clapper, who had to apologize to Congress for giving “clearly erroneous” testimony under oath in March 2013? Does Obama’s fear account for his allowing then-National Security Agency Director Keith Alexander and counterparts in the FBI to continue to mislead the American people, even though the documents released by Edward Snowden showed them – as well as Clapper – to be lying about the government’s surveillance activities?

» Is this why Obama fought tooth and nail to protect CIA Director John Brennan by trying to thwart publication of the comprehensive Senate Intelligence Committee investigation of CIA torture, which was based on original Agency cables, emails, and headquarters memos? [See here and here.] »

Douglass estime dans sa thèse que, d’une façon ou l’autre, JFK a été la victime d’une attaque préparée avec minutie par les mêmes “Organes” de sécurité nationale, qu'il réunit au sein d'une entité qu’il nomme selon un sens justifié de la parabole “l’Indicible”. Le livre de Douglass a été fabriqué en 2008 et diffusé en 2009, et en 2013 apparut une version française aux éditions Demi-Lune sous le titre JFK et l’Indicible.

(Ce concept de “l’Indicible” qui est la plus grande oroginalité du livre, pour désigner métahistoriquement les forces diverses qui se liguèrent pour assassiner Kennedy, est emprunté par Douglass à « un moine trappiste de l’abbaye de Gethsemani dans le Kentucky, Thomas Merton, qu’il désigne comme “le plus grand écrivain religieux de sa génération”. [Douglass compare en importance ‘La Nuit privée d’étoiles’, l’autobiographie de Merton, aux ‘Confessions’ de Saint Augustin.] Malgré les réticences très affirmées de sa hiérarchie, Merton suivit très précisément les événements de la fin des années 1950 et des années 1960, surtout dès le moment de l’arrivée de Kennedy, et en informa divers correspondants au travers de publications personnelles ronéotypées puisqu’il était interdit de publication, comme une sorte de ‘samizdat’... »)

Nous avions à l’époque, le 22 novembre 2013, pour le cinquantième anniversaire de l’assassinat, publié un texte sur le livre de Douglass, que nous avions effectivement jugé comme un document remarquable, et remarquablement convainquant, sur l’assassinat de Dallas comme résultat d’une opération planifiée et coordonnée, montée contre le président, mais aussi d'une attaque dont certaines références renvoyaient à des conceptions dépassant la raison et les organisations humaines. A l’époque, nous avions apprécié que la presse lui avait fait bon accueil, mais parlant essentiellement de la presse anti-Système et des réseaux tandis que McGovern nous signale que la presseSystème fit silence à son propos... Pas de surprise.

Il nous semble tout à fait opportun, quatre ans plus tard, de re-publier ce texte, sous sa forme initiale de Faits & Commentaires, comme commentaire de la pseudo-déclassification des documents CIA-FBI sur l’assassinat. Les appréciations de McGovern, cet ancien de la CIA et ce “dissident” toujours très actif et d’un jugement très appréciable, nous y ont encouragé, sinon suscitant chez nous cette idée de republication tout à fait à-propos.

dedefensa.org

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Dallas, novembre 1963 : liquidation d’un comploteur

22 novembre 2013 – Nous sommes témoins, vu notre grand âge, du peu d’intérêt que souleva le 25ème anniversaire de l’assassinat du président Kennedy, en 1988, au sein d’une Amérique et d’un establishment encore dans la jubilation de l’ère-Reagan enchaînant sur la perspective de l’activisme de Gorbatchev qui se terminerait par les rodomontades sur la “fin de l’Histoire” (1989) et la victoire totale, et des USA, et du libéralisme, – et de la folie du militarisme bureaucratique, et de la folie de l’hyper-capitalisme. En fait de symbole, le 25ème anniversaire vaut bien le 50ème, et alors l’on peut d’autant mieux goûter l’extraordinaire différence d’atmosphère. Le 25ème anniversaire semblait enterrer l’assassinat de Dallas dans l’indifférence arrogante du Système triomphant, le 50ème le ressuscite dans l’inquiétude hystérique d’un Système aux abois de ses propres excès.

La thèse que nous défendons, qui est à la fois en accord avec nos conceptions générales et avec ce que nous percevons du fonctionnement du Système, est qu’il n’y a pas eu de conspiration contre Kennedy, menant à son assassinat, mais exactement le contraire. Cette thèse dit qu’il y eut effectivement conspiration, et conspiration infâme du point de vue du Système, que ce fut celle de Kennedy contre le Système, que cette “conspiration de Kennedy” fut aisément éventée puis suivie à la trace, jusqu’au constat de son intolérabilité, enfin que le conspirateur fut éliminé comme il convient. Le livre JFK et l’Indicible de James W. Douglass (éditions Demi-Lune, septembre 2013), nous a puissamment aidé à confirmer cette idée que Kennedy était devenu lui-même une conspiration contre le Système, et tout autant en désignant l'inspirateur impératif de l’élimination nécessaire sous le terme anonyme et ésotérique de “l’Indicible”. (Le livre est déjà cité dans La Chronique du 19 courant..., le 19 novembre 2013.)

La “morale” de cette thèse, ou enseignement essentiel, n’est pas nouvelle dans le principe auquel elle renvoie, qui est évidemment l’autonomie et la direction du Système. En ce sens, le Système n’a nul besoin de conspirer pour mener la barque, – cela pour ceux qui auraient des doutes sur les tentations complotistes refoulées de dedefensa.org. Il a simplement activé ses procédures normales et conduit une opération “de police interne” pour éliminer cet illégal, ce président devenu usurpateur et antiSystème, et par conséquent aussi bien corps étranger dans le Système et malsain pour le Système. (Les modalités de cette élimination ne nous intéresse que moyennement et, pour juger de l’ensemble de la chose, nous les cantonnons dans le domaine de l’inconnaissance.) A cet égard, il est bon et il est juste, et il est logique, et il était inévitable que le 50ème anniversaire de “Dallas, 22 novembre 1963” ne fût pas seulement une commémoration, mais un événement de communication d’actualité s’inscrivant fondamentalement dans notre crise présente, et jouant un rôle actif dans la dynamique de cette crise, avec effet à mesure dans son cours. Il s’agit en effet du même Système qui élimina Kennedy, mais aujourd’hui entré dans sa phase crisique avec l’activation depuis 9/11 d’une dynamique de surpuissance se transmutant en dynamique d’autodestruction. D’où cette évolution que nous constatons d’une situation (dans les années 1960) où la contestation de la thèse du “dingue isolé” (Oswald) pesamment accouchée par la Commission Warren était admise comme une démarche normale, sinon favorisée dans l’esprit public en général, à la situation actuelle où cette démarche est systématiquement “diabolisée”, ou “pathologisée” si l’on veut un néologisme de circonstance, sous les sigles habituels de “complotisme et de “conspirationnisme”. (Voir notre texte du 20 novembre 2013.)

Douglass a publié son livre en 2009. Le livre a été accueilli par des avis favorables qui comptent et s’inscrivent bien dans la logique que nous signalons d’une explication par élimination par le Système, en proposant cette idée comme un principe fondamental de l’événement plutôt qu’une thèse circonstancielle bien précise. C’est à peu près ce qu’exprime un homme dont l’avis nous importe beaucoup, dans la mesure où sa carrière, dans sa diversité, ses avatars, sa position incontestée de dissidents sans choix idéologique préconçu, son activisme selon des principes, etc., font de lui presque un observateur impartial. Il s’agit de Daniel Ellsberg, whistleblower fameux (les Pentagon Papers de 1971).

Ellsberg : «Douglass nous conte brillamment le récit inhabituel, et cependant tout à fait convaincant, de la série de décisions prises par John F. Kennedy – à l’opposé de sa position initiale en faveur de la guerre froide – et qui le firent secrètement détester des tenants d’une ligne dure parmi les chefs d’état-major et la CIA. Cette haine et ce désaveu ont-ils directement mené à l’assassinat du Président comme Douglass le suggère ? Même les lecteurs qui ne seront pas totalement convaincus par la démonstration de l’auteur ne s’en sentiront pas moins résolus peut-être pour la première fois – comme ce fut mon cas – à militer pour une nouvelle enquête criminelle officielle. A la lumière des événements récents, il est urgent que soit révélé ce qu’une telle enquête pourrait nous apprendre sur la façon dont notre pays est gouverné – par qui, et pour quels intérêts.»

C’est en effet la forme originale de l’approche de Douglass qui nous importe. Son récit est conduit d’abord, non pas comme une enquête policière mais comme une analyse politique de l’évidence : la forme et les buts de l’action politique de Kennedy, ponctués par une tension grandissante avec le Système, ne pouvaient pas ne pas conduire ce dernier (le Système) à souhaiter fortement puis à décider sans appel et sans retour l’élimination de Kennedy. Là-dessus vient l’élimination, après des circonstances incroyablement douteuses, décrites dans le livre parallèlement à l’évolution de Kennedy, comme un contrepoint à cette évolution, et ceci expliquant cela. Comment empêcher l’intelligence armant sa raison de l’aide décisive de l’intuition, de conclure à l’élimination du comploteur (Kennedy) par le Système, alors que rien n’interdit absolument d’en venir à cette hypothèse, et que tant de choses, y compris d’un point de vue intuitif et spirituel, y incitent ?

L’analyse dont il est question dit que Kennedy, notamment à partir de la crise des missiles de 1962, avait entrepris une politique de rapprochement de Krouchtchev, avec recherche de l’élimination de la Guerre froide, qui constitua un des épisodes fondamentaux mais étouffés dans la narrative historique de cette période. Cet aspect d’analyse générale nourrit également nos conclusions à cet égard, rappelées ici dans un texte du 4 février 2013, et bien entendu alors sans rapport de connaissance de l’approche méthodologique et des réflexions de Douglass puisque nous avons découvert son livre seulement dans sa version française. (La “complicité objective” dont il est question dans cet extrait est celle des complexes militaro-industriels [CMI] des deux puissances qui se faisaient face, qui avaient intérêt à faire perdurer et se développer la tension de la Guerre froide.) :

«Cette situation de “complicité objective”, même par le vil canal des CMI, était une sorte de nécessité vitale mais n’était nullement considérée comme heureuse ni rassurante. Il y eut des tentatives pour briser ce lien diabolique liant les hommes à ce triste sort (peut-on employer le mot “Mal” ?) de la menace de destruction par entropisation nucléaire, directement, sans intermédiaire nécessaire (du type d’une phase de déstructuration). Deux couples d’hommes d’État le tentèrent, et trois de ces quatre hommes furent liquidés, le dernier se perdant dans la gâtisme de la corruption gérontocratique de l’URSS finissante.

»• Kennedy et Krouchtchev, s'engagèrent après la crise des missiles de Cuba de 1962 sur la voie de la recherche d’un accord radical de désarmement. La tentative était véridique et sans faux-semblant. JFK fut liquidé, on sait comment ou on ne sait comment, – et peu nous importe ici pourquoi et par qui, sinon de constater, que de l’hypothèse-Oswald à l’hypothèse-complot, sa liquidation tombait à pic. (Elle satisfaisait de toutes les façons les parties les plus inquiètes devant les accords USA-URSS qui semblaient s’annoncer, particulièrement des chefs militaires US comme le général LeMay, qui dirigeait l’USAF.) Krouchtchev fut liquidé, plus en douceur, onze mois plus tard, car il y avait également, du côté soviétique, le même parti favorable au gel de la situation d’affrontement “froid”.

»• En plein Watergate (1973-1974), suite directe d’un “coup d’État” bureaucratique des chefs militaires camouflé, dans son issue, en monument à la gloire libérale et médiatique de la Grande Amérique, Nixon se tourna vers Brejnev, qui le soutenait de toutes ses forces de l’extérieur. (Cette interprétation de l’affaire du Watergate lumineuse par son enchaînement, et par conséquent systématiquement ignorée, est signalée dans un texte du 3 février 2010 et analysée dans dde.crisis du 25 janvier 2010.) L’ambassadeur de l’URSS à Washington Dobrynine a témoigné dans ses mémoires que les deux hommes ont travaillé conjointement pour tenter de trouver une solution commune décisive à l’affrontement de la guerre froide ; il fait lui-même allusion à l’action du président du Joint Chiefs of Staff (l’amiral Moorer) contre Nixon, que le KGB avait suivi de près. Dobrynine signale justement qu’une entente entre les deux hommes aurait pu déboucher sur une opération type-glasnost liquidant la puissance de leurs CMI respectifs.»

Douglass détaille d’une façon remarquable l’évolution de Kennedy. Il ne dissimule pas une seconde les conditions de la première année ou des premiers dix-huit mois de son mandat, dans tous les cas jusqu’à la crise des missiles de Cuba d’octobre 1962. Kennedy se montra souvent fidèle aux conceptions de la Guerre froide, fit des erreurs dans ce sens, se montra par conséquent faible et inexpérimenté devant les pressions du complexe militaro-industriel (CMI), il accentua des programmes de surarmement dans ce sens, etc. Par ailleurs, sur certains dossiers, il avait montré une approche différente du courant belliciste dominant, notamment dans l’affaire du Laos dès le printemps 1961 ; de même, son attitude de refus de poursuivre l’opération jusqu’au bout durant l’invasion ratée de Cuba d'avril 1961, projet hérité du temps de l’administration Eisenhower et complètement manipulé par la CIA, le plaça en opposition au CMI. Ainsi, malgré les gages qu’il avait involontairement donné, Kennedy fut dès l’origine de son mandat détesté par tous les représentants du CMI, notamment la direction militaires (le Joint Chiefs of Staff) et la CIA, d’une extraordinaire puissance à l’époque et infiltrant tous les réseaux et agences du gouvernement (y compris le FBI de Hoover, lequel avouait n’être pas si puissant que l’on voulait bien dire...).

Il est avéré que la crise des missiles de Cuba, en octobre 1962, fit totalement basculer les conceptions latentes de Kennedy, et le conduisit dès la crise bouclée à établir des liens personnels, privés et secrets, hors des canaux diplomatiques normaux, avec Krouchtchev pour tenter de briser le verrouillage de la course aux armements, de l’antagonisme nucléaire et des pressions disons de leurs CMI respectifs. On retrouve à de nombreuses reprises, dans le livre, l’observation que Kennedy et Krouchtchev étaient, chacun de leur côté, confrontés à des oppositions intérieures d’une extraordinaire puissance, et ainsi Kennedy se trouvait-il souvent, et de plus en plus souvent, plus proche de Krouchtchev que de son entourage politique.

D’une façon générale, il est très difficile de trouver une critique objective de son action politique et diplomatique. Le personnage de Kennedy est aussi détesté par la droite républicaine (et par le Système en l’occurrence), y compris par la droite isolationniste, que Nixon l’est par la gauche démocrate (et par le Système en l’occurrence). Les deux hommes sont ainsi jugés et “marqués” d’une façon partisane qui réduit le jugement à mesure, et l’on ignore leur dimension disons suprapolitique, dans le chef de leur volonté de briser la logique de la Guerre froide, qu’on trouve mentionné dans l’extrait cité plus haut de notre texte du 4 février 2013. Un exemple pour Kennedy se trouve dans son appréciation critique par Justin Raimondo (voir The American Conservative du 15 novembre 2013), pourtant commentateur antiSystème remarquable. Ce commentaire est, dans l’esprit de la chose, d’une extraordinaire partialité, au point où, comme le fait remarquer un lecteur commentant son texte, Raimondo se retrouve complètement et paradoxalement (mais involontairement, certes) du côté de la narrative du Système : «After all, if JFK was as insignificant as his article suggests, why did the power elite bother with killing him? Or does Mr. Raimondo subscribe to the Warren Report’s “lone nut” narrative?»

Concernant l’intervention de Douglass dans ces domaines de la politique extérieure et de l’action suprapolitique de Kennedy, on fera trois remarques générales.

• Douglass documente d’une façon remarquable plusieurs dossiers controversés. Sur Cuba, il montre les attitudes ambiguës et contradictoires de Kennedy, mais, surtout, son intention affirmée et l’action secrète qu’il entreprit à partir de la fin 1962, pour rétablir des liens normaux avec Castro, notamment au travers de contacts secrets, hors des canaux normaux, avec Castro. L’assassinat de Kennedy fut ressenti par Castro (et par Krouchtchev, certes) comme une catastrophe. Sur le Vietnam, il y a un récit détaillé de la lutte interne entreprise par Kennedy pour renverser à partir de 1962 le courant interventionniste (qu’il avait lui-même appuyé au départ), y compris des circonstances de l’assassinat et du renversement de Diem le 2 novembre 1963, y compris du comportement de l’ambassadeur US à Saigon Cabot Lodge (sa nomination par Kennedy fut une erreur fatale), menant sa politique personnelle, totalement contraire aux instructions de Kennedy mais conforme aux conceptions du CMI.

• Le principal fait de l’action de Kennedy, le traité (avec l’URSS) d’interdiction des essais nucléaires en atmosphère (août-septembre 1963) est en général passé sous silence, ou à peine mentionné d’une façon souvent méprisante. L’événement fut traité de cette façon à l’époque, comme il l’est aujourd’hui, dans la presse-Système. C’était pourtant un premier pas formel fondamental de son entente avec Krouchtchev pour tenter de déverrouiller la Guerre froide, – mais certes, ceci explique aisément cela, sans référence nécessaire à un quelconque “complotisme”.

• Ce qui frappe d’une façon générale dans la description faite par Douglass, c’est l’isolement grandissant de Kennedy au sein de son administration, jusqu’à un isolement total dans les mois précédant l’assassinat. (Le qualificatif “isolé” pour caractériser la position de Kennedy au sein de son administration ne cesse de revenir dans les développements de Douglass.) Kennedy ne pouvait plus “travailler” avec efficacité que par des canaux hors-administration, – quand il y arrivait, ce qui n’était pas évident. Ses rapports avec les chefs militaires, qui proposaient des attaques nucléaires surprise contre l’URSS, étaient épouvantables, avec des insubordinations ouvertes de certains d’entre eux. (Voir l’article, pourtant modéré, de Robert Dallek, dans The Atlantic du 10 septembre 2013 : «President Kennedy faced a foe more relentless than Khrushchev, just across the Potomac: the bellicose joint chiefs of staff argued for the deployment of nuclear weapons and kept pressing to invade Cuba...») Les interférences étaient nombreuses, et souvent faites avec une complète impudence. Il y a l’exemple tragique de la dernière lettre “secrète” de Krouchtchev à Kennedy, extrêmement audacieuse pour les perspectives d’entente, qui emprunta pour ce cas un canal officiel à cause de l’optimisme trompeur que l’accord sur l’interdiction avait fait naître chez Krouchtchev. Elle fut remise à l’ambassadeur US à Moscou Kohler le 10 octobre 1963 (lors de la cérémonie de signature du traité d’interdiction) ; elle se transforma en un télégramme diplomatique de Kohler au département d’État donnant une version largement caviardée dans le sens qu’on imagine ; elle ne fut jamais connue en tant que telle par Kennedy à cause des interférences illégales de son administration et, finalement, de son assassinat.

... Enfin, l’on sait que la sort de Krouchtchev suivit, d’une façon certes moins brutale mais tout aussi expéditive, celui de Kennedy onze mois après l’assassinat de Dallas. Liquidation, là aussi, d’un “comploteur” qui avait d’ailleurs perdu la partie puisque privé de son “complice” depuis le 22 novembre 1963.

De l’“Indicible” au Système

... Mais la grande originalité du livre de Douglass, toute entière annoncée dans le titre lui-même, est sans aucun doute l’hypothèse, voire le fait même de “l’Indicible”. On va comprendre, avec trois extraits différents du livre, qu’à côté de l’enquête qu’il a lui-même menée et qui conduit à attribuer la responsabilité opérationnelle de l’opération notamment à la CIA, Douglass désigne un autre coupable en des termes qui s’éloignent radicalement de l’approche habituelle. Douglass s’appuie, comme il le dit dans l’introduction de son livre, sur un concept développé par un moine trappiste de l’abbaye de Gethsemani dans le Kentucky, Thomas Merton, qu’il désigne comme «le plus grand écrivain religieux de sa génération». (Douglass compare en importance La Nuit privée d’étoiles, l’autobiographie de Merton, aux Confessions de Saint Augustin.) Malgré les réticences très affirmées de sa hiérarchie, Merton suivit très précisément les événements de la fin des années 1950 et des années 1960, surtout dès le moment de l’arrivée de Kennedy, et en informa divers correspondants au travers de publications personnelles ronéotypées puisqu’il était interdit de publication, comme une sorte de samizdat...

(Il est à noter que la très abondante biographie de Merton, sur Wikipédia est concentrée sur sa vie religieuses [baptisé anglican à sa naissance en France, il embrassa le catholicisme et la prêtrise en 1938], ses activités de pacifiste, etc. Elle ne fait guère sinon aucune allusion à l’aspect de ses travaux dont Douglass fait sa référence.)

Voici donc, successivement, les trois extraits illustrant cette approche. Paradoxalement, nous avons suivi dans leur présentation l’ordre inverse de celui qu’ils occupent dans le livre, évoquant ainsi une démarche libératoire reclassée selon l’approche qu’a choisie l’auteur, commençant par l’appréciation fondamentale qui caractérise son travail, avant de plonger dans la contingence de ce travail...

• Extrait de la page 475, qui offre la conclusion générale du travail de Douglass, en se concentrant sur son aspect opérationnel, et sur la situation qui est la nôtre au cœur du Système, lorsqu’il s’agit de la recherche d’un aspect de ce que nous nommons “la vérité du monde”, ou “la vérité de la situation du monde”. Importe plus ici le fait observé de la position extrêmement contrainte à laquelle nous oblige l’enquête factuelle, que cette “vérité du monde” elle-même qui ne fait plus aucun doute à ce point du livre. (Cette “vérité de la situation du monde” qui est évidente dès l’introduction, – voir le dernier extrait ci-dessous, – qui fait alors office de réelle conclusion).

« Nous ne savons pas dans quelle mesure les différentes composantes de notre État de Sécurité Nationale ont été impliquées dans le meurtre du Président Kennedy. Nous vivons à l’intérieur d’un système, dont nous absorbons le mode de pensée. Nous manquons du recul nécessaire pour comprendre ce système qui nous entoure. Cependant, l’ensemble des pistes que nous avons explorées jusqu’ici convergent vers notre État de Sécurité Nationale, comme principal responsable de l’attentat.

»Les différentes agences de renseignement, au premier rang desquelles figurent la CIA et le FBI, constituent le bras armé de cet État dans l’État. Leur pouvoir s’étend bien au-delà de ce que nous sommes en mesure même d’imaginer pour nos codes moraux. L’assassinat de Kennedy fait partie de ces événements qui nous permettent d’entrevoir l’étendue de ce pouvoir. La liberté d’action et la totale impunité dont ont a bénéficié les tueurs en constituent la preuve éclatante.»

• Extrait de la page 407, où est résumée la question générale d’une enquête (celle de Douglass) presque à son terme sur l’assassinat (cette question : « Qui furent les commanditaires de l’assassinat de John F. Kennedy ? »), – essentiellement dans son esprit et pour synthétiser les faits innombrables développés dans l’enquête. La référence fondamentale du travail (voir extrait suivant) est présente.

« En explorant les coulisses de ce crime, comme nous le faisons depuis le début de ce livre, la première conclusion à laquelle nous ne pouvons manquer de parvenir est que la CIA est responsable de la planification, de la coordination et de l’exécution de l’opération. Cette conclusion est soutenue à la fois par de très nombreux documents et témoignages, ainsi que par les différentes pistes suivies, – ou délibérément ignorées, – par la multitude d’enquêtes et de recherches, qu’elles soient officielles ou relevant d’initiatives privées. Mais une autre conclusion à laquelle nous ne saurions nous soustraire est la suivante : le meurtre de JFK ne peut être imputé à la seule CIA.

» La question de la responsabilité ultime de ce meurtre soulève d’autres interrogations, bien plus dérangeantes, voire plus effrayantes, que tout ce que nous ne pourrons jamais connaître des détails de son exécution. Thomas Merton évoquait une force obscure, d’une redoutable puissance, qu’il était impossible de nommer, et à laquelle il faisait par conséquent allusion en recourant au vocable “indicible”. Tout en poursuivant notre exploration des vérités cachées derrière l’assassinat de JFK, nous ne nous confronterons jamais directement à l’indicible, – mais nous ne manquerons pas, au détour d’autres témoignages, d’autres indices, de deviner sa présence.»

• Extrait de la page 28 , dans l’Introduction du récit, où l’auteur pose le fondement de sa thèse, par conséquent la conclusion fondamentale du propos du livre, qui ne sont pas d’essence politique, encore moins d’essence (?) “conspirationniste” au sens où l’on entend ce mot dans notre époque actuelle (depuis 9/11 et la contestation autour) qui a complètement transformé, c’est-à-dire subverti, le fait de l’assassinat de JFK selon le prisme subversif de dissimulation des conditions de son affrontement fondamental entre Système et antiSystème. Le fondement de cette thèse, – si l’on ne tient pas compte d’une manière inutilement polémique de l’état religieux de la personne (Merton) à laquelle se réfère Douglass, – est clairement d’essence métaphysique, ou métahistorique...

« Ce faisant, il [Kennedy] entrait en conflit mortel avec l’Indicible. L’“Indicible”( “Unspeakable”) est un terme que Thomas Merton a forgé au cœur des années 1960 après la “tragédie de Dallas”, – au moment de l’escalade de la guerre du Vietnam, de la course aux armements nucléaires, des assassinats de Malcolm X, de Martin Luther King et de Robert Kennedy. Dans chacun de ces événements bouleversants, Merton perçut un mal dont la profondeur et la duplicité semblaient aller au-delà de la capacité des mots à le décrire.

» Prophétiquement, en 1965, Merton écrivit que “l’un des faits les plus effroyables de notre époque est la preuve que [le monde] est atteint en effet au cœur même de son être par la présence de l’Indicible”. La guerre du Vietnam, la course vers une guerre mondiale et les meurtres imbriqués de JFK, de Malcolm X, de Martin Luther King et de Robert Kennedy étaient autant de signes de la présence de l’Indicible, qui demeure terriblement présent dans notre société. Comme Merton l’a dit en nous mettant en garde : “ceux qui sont actuellement si désireux de se réconcilier avec le monde à n’importe quel prix doivent prendre garde de ne pas se réconcilier avec lui en ce qui concerne cet aspect particulier : le monde comme nid de l’Indicible. C’est ce que trop peu d’entre nous sont disposés à croire”.»

On comprendra que cette approche du cas Kennedy, qui vaudrait et qui vaut effectivement pour toute circonstance de cette sorte et pour notre situation générale, et plus que jamais dans notre temps présent, ne peut que nous satisfaire en rencontrant notre propre conception. Simplement, nous élargissons le concept de l’“Indicible” à d’autres domaines que celui de la sécurité nationale. L’“Indicible” équivaut alors à notre Système, mais avec, dans le terme, une dimension ésotérique supplémentaire qui est sans aucun doute bienvenue. (On dira alors que notre concept du “déchaînement de la Matière“ qui définit toute la période jusqu’à nos jours, correspond bien, pour cet aspect ésotérique, au concept d’“Indicible”.) Dans tous les cas, il s’agit d’entités qui exsudent leur propre activité en même temps que les règles et les contraintes qui doivent soumettre les acteurs-figurants, ou sapiens, dans le but de développer et d’imposer une “ligne” impérative satisfaisant les intérêts et le dessein fondamental de cette entité. Pour notre part, nous avons interprété ce dessein, éventuellement sous forme de “politique” au sens le plus large du concept, avec la formule dd&e (voir le 7 novembre 2013).

On comprend bien entendu l’avantage dialectique et intellectuel de l’emploi d’un tel concept, qui permet effectivement le refuge de la pensée dans l’inconnaissance. En écartant une trop grande dépendance de la recherche de détails réducteurs qui est en général le caractère même d’une enquête sur l’assassinat avec ses très nombreuses connexions, cette posture d’inconnaissance permet à l’esprit de mieux se consacrer à la tentative de compréhension de la situation générale ainsi créée. Douglass adopte volontiers cette démarche dans le paragraphe où il évoque la «question de la responsabilité ultime de ce meurtre...» : s’il consacre une part importante de son livre au constat des ramifications diverses qui ont conduit à l’assassinat et l’ont entouré, il le fait moins dans un but de démonstration que dans un but d’illustration de la situation principale décrite qui est l’évolution de Kennedy et de sa politique, par conséquent son opposition grandissante et bientôt totale à l’“Indicible”, et par conséquent encore son élimination.

Bien entendu, on évite avec une telle posture le piège de la polémique épuisante du “conspirationnisme”, dont le but, dans le chef de ceux qui ont créé ce concept, est effectivement de rendre inféconde la pensée antiSystème en l’épuisant et éventuellement en la diffamant. Bien entendu encore, cela suppose d’avoir bien compris que l’essentiel est bien de poursuivre la quête de l’“ennemi principal”, sinon l’“Ennemi Unique”, sans s’embarrasser des détails de ses diverses productions, et même en comprenant que la recherche de ces détails, si elle est couronnée de succès, peut conduire à la neutralisation de l’enquêteur. (Technique du bouc-émissaire, qui permet de limiter la responsabilité à un exécutant, aussitôt dénoncé comme un accident monstrueux du Système, ou de l’“Indicible”, et permettant ainsi au Système-“Indicible” de se retrouver plus fort que jamais.) Douglass neutralise implicitement cette technique, lorsqu’il conclut que la CIA a été l’orchestrateur de la liquidation de Kennedy, mais que cela ne nous dit rien du fondamental de l’événement.

L’emploi d’un concept symbolique d’une telle force, et d’une telle justesse par rapport à la situation présente comme on le sait, permet à la démarche intellectuelle “normale” (limitée aux faits observés souvent d’une façon passive et sans la moindre interprétation) de se développer tout en disposant d’une référence qui l’alerte sur un contexte général faisant de cet événement quelque chose de différent d’un assassinat politique “normal”. Cet emploi restitue également le climat profond de cette époque aux USA, qui avait notamment été implicitement défini par Eisenhower lui-même dans son discours d’adieu de janvier 1961 (voir sur ce site le 10 août 2005). La dénonciation du complexe militaro-industriel avait explicitement cette dimension spirituelle : «This conjunction of an immense military establishment and a large arms industry is new in the American experience. The total influence – economic, political, even spiritual — is felt in every city, every state house, every office of the Federal government. We recognize the imperative need for this development. Yet we must not fail to comprehend its grave implications. Our toil, resources and livelihood are all involved; so is the very structure of our society.»

Enfin, cet emploi permet effectivement de s’attaquer à la recherche de la vérité cachée de la situation, que la raison seule est impuissante à distinguer si elle n'est pas renforcée par cette sorte de “concept symbolique” qui offre une aide décisive pour opérationnaliser l’intuition. Avec l’“Indicible”, nous retrouvons effectivement toute la problématique du Système (voir le 8 juillet 2013) comme phénomène autonome et complètement spécifique, organisateur et producteur d’une situation générale dont l’origine opérationnelle est dans le “déchaînement de la Matière” (voir le 5 novembre 2012).

Ainsi devient-il inutile, parce que complètement accessoire, de s’interroger sur les question souvent débattue – Kennedy fut-il un grand Président ? Fut-il un leurre et un Président médiocre ? Ce n’est pas le débat qui importe parce que c’est un débat qui fut initié par la polémique autour de Kennedy, entre ses partisans qui en firent un exceptionnel créateur politique souvent à partir de concepts de communication dérisoires (jeunesse du président, charisme, séduction, attraction de communication pour une argumentation faussaire de modernité, etc.), et ses adversaires qui combattirent cette “image” à l’aide de concepts de communication de même niveau. Que Kennedy ait été brillant ou médiocre dans l’apparence rationnelle de son action politique importe peu ; seul importe le poids des événements sur lui ; seul importe le fait que les événements ont fait de lui un président tragique dont le destin implique effectivement une interférence fondamentale de forces métahistoriques, – dito, l’“Indicible” ou le Système.

Les circonstances de son très court mandat, l’évolution intellectuelle voire spirituelle qu’il connut, le dessein qu’il poursuivit, d’abord confusément et ensuite plus clairement, certaines prémonitions qu’il eut, etc., en font le premier Président US et chronologiquement la première personnalité politique de cette envergure à avoir affronté directement et incontestablement l’“Indicible”-le Système, et à en avoir été la victime directe et incontestable. (C’est effectivement la vertu complète du livre de Douglass de montrer cela, après avoir pris la résolution affichée de suivre cette voie pour conduire son “enquête” qui prend ainsi des dimensions complètement différentes.) De ce point de vue par conséquent, Kennedy est chronologiquement le premier martyr de la grande crise du Système et de la modernité dans les prémisses de sa phase ultime (crise d’effondrement du Système) que nous connaissons aujourd’hui. La séquence qui s’ouvre au cœur de la Guerre froide à partir de son assassinat et du tumulte des années 1960, se développera avec notamment trois dates-clef – 1973 et le “choc pétrolier” ouvrant l’aspect “d’intendance” de la dimension eschatologique de la crise, 1985 et l’arrivée de Gorbatchev puis 1991 et la fin de l’URSS laissant le Système face à lui-même et au développement de son équation surpuissance-autodestruction.