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17 novembre 2007 — Le dollar a-t-il quitté sa crise “seulement-financière” pour entrer dans sa crise psychologique fondamentale qui ajoute à la situation financière la perception psychologique du déclin irrésistible, laquelle accélère à son tour ce déclin dans un phénomène d’auto-alimentation? Dans le texte de The Independent auquel nous nous référons dans notre Bloc-Notes de ce 17 novembre, il est notamment question du “point of recognition”. On trouve l’expression dans cette phrase, à propos du rappeur Ray-Z qui préfère désormais thésauriser des euros plutôt que des dollars:
«It is only a music video, but Jay-Z, whose influence on pop culture is immense, may, wittingly or otherwise, be bringing America to what some pundits call the “point of recognition” – the moment when the droop of the dollar against other currencies ceases to be the preoccupation only of economists and American tourists in Paris, and enters the popular zeitgeist as a new and unsettling reality.»
On trouve aisément des références à ce “point of recognition”, qui est essentiellement une notion psychologique de prise de conscience nécessairement brutale d’un événement déjà en cours de réalisation. Par exemple, ce commentaire sur le site d’un nommé Alf Field, traitant des affaires monétaires, – du dollar et de l’or précisément, – et mettant en ligne le 29 octobre ce commentaire sous le titre indubitable de «Point of recognition»:
«There is often a moment in a major market move where public perceptions of the item suddenly change and the feeling is something like: “Yup, this REALLY is a bull market!” or “Yup, this REALLY is a bear market!” This is sometime called the “Point of Recognition”.
»Gold and the US Dollar seem to be experiencing something of this nature right now, except that gold is being recognised as being in a bull market and the US Dollar as being in a bear market. The Point of Recognition generally occurs about midway through a major move, and is a useful guide as to the remaining length of the move underway…»
Dans ce même très court texte de The Independent qui contient beaucoup d’appréciations intéressantes malgré l’apparente futilité du sujet principal, deux autres choses doivent être notées:
• Le commentaire d’un spécialiste des questions financières et présentateur de télévision, James Cramer ; il parle notamment de l’attitude (contestée au gré de démentis qui peuvent relever surtout de la prudence) du mannequin-vedette Gisele Bundchen comme de celle du rappeur Jay-Z: «Is Gisele really to blame? No. But when things have gotten to the point that even people like Gisele and Jay-Z realise the dollar is too weak, things have gotten out of control.»
• La réaction des élites américanistes devant la situation du dollar, ou plutôt leur absence stupéfiante de réaction. «… Americans have been accustomed for so long to thinking of the dollar as reigning supreme and unassailable, that the reality will take time to sink in. “It's ignorance and arrogance,” commented Clyde Prestowitz, of the Economic Strategy Institute. “The candidates, the voters, the country's elite – they all take it for granted that the US currency is always going to be the world's currency. It hasn't hit them yet.”»
C’est un triptyque tragique: le “point de reconnaissance”, qui pourrait être également identifié comme un point de rupture psychologique; ensuite le constat réellement significatif que ce “point of recognition” n’a pas encore pénétré la psychologie fort épaisse des élites de l’américanisme; le constat que de toutes les façons la situation est “hors de contrôle“. Le dollar est-il entré dans le schéma maistrien de son existence, c’est-à-dire dans la période crépusculaire de cette existence où les forces irrésistibles de l’Histoire l’emportent vers sa chute?
Notons encore deux autres articles de The Independent du même jours, qui affirment à la fois l’irréversibilité de la situation, et la politisation de cette même situation.
• Hamish McRae, le chroniqueur économique de The Independent, redit et martèle sa conviction que, quoiqu’il arrive, le dollar et le monde ne seront plus jamais pareils. Pour lui, “the point of recognition” est aussi le point de rupture. Après avoir énuméré les raisons pour lesquelles le dollar continuera à chuter et les différents signes qui mesurent la gravité de sa position, il conclut : «If things really get out of hand, there may have to be some dollar rescue but that – for the moment at least – seems some way off. The big point is even when the dollar does recover the world will be different. Maybe we will still price oil in dollars but a lot more people around the world will think – and place their assets – in euros.»
• Un
L’Histoire, qui existe encore comme on le conçoit aisément, notera avec une immense ironie que, selon certains, dont Ron Paul lui-même, les USA partirent en guerre contre Saddam parce que Saddam était passé du dollar à l’euro pour la vente de son pétrole; la leçon donnée à Saddam devait être un avertissement pour le reste du monde (the Rest Of the World), du type: “Reformez les rangs, en silence, et passez la monnaie!”… Immense ironie parce que c’est en partant à l’assaut d’un minuscule moustique pour soi-disant protéger et rehausser la toute-puissance du dollar, avec l’usage brutal du marteau-pilon de la soi-disant plus formidable puissance militaire qu’ait connue l’Histoire, que les Etats-Unis d’Amérique se sont encalminés dans le plus formidable marécage de désordre et de chaos formé en un si petit point dont puisse se remémorer l’Histoire, – et qu’ainsi ils mirent dans la balance, et le dollar, et leur stabilité, et leur toute-puissance même, – et peut-être leur existence. En quelque sorte, pour sauver le dollar ils ont écrasé Saddam; en écrasant Saddam, ils ont écrasé le dollar. C’est finalement conforme: pour sauver le dollar ils ont écrasé le dollar, comme ils faisaient pour les villages vietnamiens.
Tout cela est également conforme à leur histoire qui n’est faite que de paroxysmes: se croire aux plus hautes cimes de l’hégémonie du monde et se précipiter dans les abysses comme un buffle (“Bull market”). C’est le schéma même de la Grande Dépression, de l’ivresse des “roaring twenties” à octobre 29, suivi d’une fausse, folle et courte euphorie, puis la chute. Il est difficile de croire qu’ils trouveront un FDR postmoderne, circa 2008, pour les en sortir. Le moule est cassé.
C’est-à-dire que la psychologie est dévastée. Si le dollar s’effondre comme il le fait depuis des mois, c’est que les affaires vont mal, – voir les innombrables explications à ce propos, – mais surtout que plus personne n’y croit vraiment. Même un Sarko “hip-hop” est venu leur dire qu’ils sont toujours les plus beaux mais que, tout de même, le dollar… Le “point of recognition”, c’est le rassemblement soudain, en une réalisation brutale, de toutes ces tensions, de toutes ces incertitudes, ces déceptions, ces désenchantements.
Comment croire qu’on puisse supporter longtemps cette orgie d’erreurs arrogantes et de maladresses vaniteuses, de grossièretés illusoires et d’illusions grossières, d’illégalités impudentes et de cruautés illégales? Depuis 9/11, l’Amérique de Washington D.C. est entrée dans une phase évidemment pathologique. Le dollar a suivi. Le monde est passé de l’adoration craintive à l’adoration contrainte, puis à la défiance cachée, enfin à la méfiance inquiète et à l’hostilité méprisante. Le monde est cruel et indifférent aux perdants. Il a appris cela de la philosophie sociale-darwiniste de l’Amérique.
Par conséquent, la crise du dollar n’est pas la crise du seul dollar. C’est le symptôme-dollar de la crise de l’américanisme, comme il y a le symptôme-Irak, le symptôme-Pentagone, le symptôme-corruption et ainsi de suite de la même crise. C’est assez dire que le fond de la crise concerne la psychologie américaniste, que cette crise court comme un incendie californien en période de crise climatique, embrassant et embrasant tous les domaines, les uns après les autres. Ce qui marque tous ces événements, c’est l’effondrement de la fascination, du respect, de la considération, de la crainte, de la terreur jusqu’alors suscités par l’Amérique en tant que matrice de cette doctrine dévastatrice de l’américanisme. Ce qui les marque encore plus, bien plus, c’est l’inconscience absolument remarquable et quelque peu terrifiante, à part un Ron Paul par-ci par-là, des élites dirigeantes pour la tempête qui les presse et les assaille. Par ailleurs, tout cela est bien logique et l’on retrouve dans la situation actuelle tout le cheminement historique des USA, avec l’évolution paroxystique qui va avec au bout de la période.
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