Polémique dissidente & insultes autour de Davos

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Polémique dissidente & insultes autour de Davos

• Outre d’être ce qu’elle est, – énorme, terrible, tellurique et volcanique, – Ukrisis ouvre également des débats inattendus, qui peuvent paraître picrocholinesques, entre “dissidents” en quête de définition de la guerre en Ukraine. • Sans prendre parti, simplement en mesurant les différences de méthodologie, on constate la grande difficulté d’atteindre au sommet de la Vérité. • La dissidence est une chose qui vit, de même que la bêtise du Système et l’aide donnée à Kiev. • De même, – surprise, surprise, – que les insultes autour de Davos, capitale de l'Ukraine.

Nous allons donner quelques détails sur une querelle “de dissidents” (entre dissidents), qui nous fera déboucher sur la question de la signification et de la force de l’aide US (en armements) à l’Ukraine, – c’est-à-dire un des sujets principaux d’Ukrisis ; puis, au-delà, grâce à un saut quasiment quantique, jusqu’aux séances animées de Davos où le ‘World Economic Forum’ n’arrête de lancer et de relancer son Re-Set.

Les deux dissidents sont Scott Ritter et Larry C. Johnson, avec en embuscade et en soutien de Johnston, le Russe Martianov, également dissident dans le sens de l’indépendance vis-à-vis des pouvoirs établis.

• On connaît suffisamment Scott Ritter, pour l’avoir plus d’une fois cité, sinon adapté dans ces colonnes. Inutile de revenir en détails sur lui, sinon en rappelant qu’en tant qu’officier de renseignement du Corps des Marines passé à la “dissidence”, il a pris beaucoup de poids dans le commentaire de cette orientation politique.

• Inutile aussi d’une longue présentation pour Larry Johnson, autre fréquentation de notre parcours, et qui a pris beaucoup de poids dans le commentaire dissident sur les choses militaires depuis sa séparation du malheureux Patrick Lang, pour s’installer dans son propre site. On connaît d’une façon substantielle, sur ce site, Larry Johnson, ancien officier de la CIA et membre du groupe VIPS (Veterans Intelligence Professionals for Sanity), depuis un texte du 21 décembre 2015.

Le nœud de départ de notre intrigue est un changement assez brutal de Scott Ritter sur son appréciation de la situation en Ukraine, dans l’une ou l’autre intervention à la mi-mai. Johnson signala la chose sans la moindre aménité le 18 mai, aussitôt cité par Martianov  :

« Scott Ritter a créé un peu d'agitation ce week-end avec un commentaire suggérant que les Russes ont perdu la balle et se préparent à une victoire semblable à celle de Stalingrad (c'est-à-dire une lutte longue et sanglante). Je pense que Scott est très intelligent et nous avons joué au golf ensemble, – il m'a invité, ainsi qu’une autre personne dont je tairai le nom, sur le parcours du Army Navy Club en Virginie il y a quelques années. Je ne suis pas d'accord avec cette partie de l'analyse de Scott... »

Là-dessus, Scott Ritter revint sur sa thèse, dans le cours d’une interview pour le site russe officiel Spoutnik (et malgré, comme ke remarque Johnson, que soin changement d’appréciation s’est fait en défaveur de la position russe en Ukraine). Johnson décida alors de répondre plus en détails, toujours sur le même ton courtois qui n’a pas changé. (On notera pourtant qu’en général Johnson [et Martianov] interpellent Ritter par son nom et ses écrits, tandis que Ritter en reste au strict domaine de soin analyse technique)...

Bref, le 22 mai, Johnson écrit donc, sous le titre « Debatting Scott Ritter » :

« Scott insiste sur le fait que la décision de Biden de fournir 40 milliards de dollars à l'Ukraine est un “changement de nature de la situation” [“Cela change la donne” : “It’s a game-changer”]. Voici ce qu'il a écrit en réponse aux questions de Sputnik :

» Sputnik : “Le 21 mai, Biden a signé un paquet d'aide militaire de 40 milliards de dollars à l'Ukraine. La fourniture de nouvelles armes pourrait-elle changer la donne pour Kiev ?”

» Scott Ritter : “Ce n’est pas une possibilité, c’est un complet changement de la donne. Cela ne signifie pas que l'Ukraine gagne la partie. Mais la Russie a commencé l’opération militaire spéciale avec un nombre limité de troupes et avec des objectifs clairement énoncés qui étaient conçus pour être atteints avec ce nombre limité de troupes.

» “Aujourd'hui, la Russie a toujours le même nombre de troupes et les mêmes objectifs. Mais au lieu d'affronter l'armée ukrainienne telle qu'elle existait au début du conflit, elle affronte maintenant une armée ukrainienne soutenue par un ensemble d'armes qui, à lui seul, équivaut presque au budget de défense de la Russie en un an. Je pense que le budget de la défense de la Russie en 2021 était d'environ 43 milliards de dollars.

» “Ce paquet qui vient d'être fourni correspond presque à cela et si vous l’ajoutez à ce qui a déjà été fourni au cours des cinq premiers mois de 2022, cela représente 53 milliards de dollars. C'est près de 10 milliards de dollars de plus que ce que la Russie dépense pour la totalité de son armée en un an. Cela change la donne. Encore une fois, le paquet de 40 milliards de dollars ne comprend pas que des armes. Il s'agit en grande partie d'aide humanitaire et d'autres aides financières. Il n’empêche... La somme d’argent qui est destinée à de l’armement, c’est considérable. Les États-Unis et l'OTAN fournissent également un soutien en matière de renseignement en temps réel aux Ukrainiens. Cela change la donne. Et les pays de l'OTAN ont maintenant fourni à l'Ukraine une profondeur stratégique qui passe par la Pologne et l'Allemagne, où des bases sont utilisées pour former les forces ukrainiennes aux nouvelles armes qui sont fournies.”

» Je pense que Scott a tort. Laissez-moi vous expliquer.

» L'argent peut faire tourner le monde, mais il ne produit pas par magie des troupes entraînées, enthousiastes et désireuses d'utiliser ces armes. Lorsque j'étais au bureau de lutte contre le terrorisme du département d'État américain, j'étais le directeur adjoint du programme de formation d'assistance antiterroriste (ATAP). Nous avons découvert que, quelle que soit la quantité d'argent que les États-Unis voulaient fournir à un pays spécifique pour combattre le terrorisme, nous atteignions un point de saturation. Nous avons appris que vous atteignez un point où il n'y a plus de personnes à former ou que les bénéficiaires de la formation ne peuvent plus absorber le soutien... »

Johnson poursuit son argument. Il revient dessus les 24 mai et 25 mai. Finalement, la critique de l’argumentaire de Scott Ritter devient une analyse critique de la décision US d’aide (les $40 milliards), puis de la forme de l’aide, etc., et par conséquent cet ensemble en évolution prend une dimension politique critique. Entretemps, en effet, un think tank spécialisé dans les analyses budgétaires est intervenu. Mark Cancian, du Center for Strategic and International Studies (CSIS) détaille une analyse de ce que représente cette somme en termes d’intentions d’achats, de produits achetés, de gestion et de destination bureaucratiques, etc. Johnson en publie un résumé le 24 mai :

« • 19 milliards de dollars pour un soutien militaire immédiat à l'Ukraine ;

» • 3,9 milliards de dollars pour soutenir les forces américaines déployées en Europe ;

» •16 milliards de dollars pour le soutien économique à l'Ukraine et l'aide humanitaire mondiale ;

» • 2 milliards de dollars pour le soutien à long terme aux alliés de l'OTAN et aux programmes de modernisation du ministère de la Défense.

» D'emblée, vous pouvez constater que l'Ukraine ne recevra pas 40 milliards de dollars de matériel militaire pour assommer les Russes. Elle ne reçoit même pas 19 milliards de dollars. Ces 19 milliards de dollars sont divisés en plus petits paquets :

» • 6 milliards de dollars pour la formation, l'équipement, les armes, le soutien logistique, les fournitures et les services, les salaires et les allocations et le soutien en matière de renseignement aux forces militaires et de sécurité nationale de l'Ukraine (les détails de ces dépenses restent à déterminer).

» • 9 milliards de dollars pour reconstituer les stocks d'armes américaines déjà envoyées en Ukraine.

» • 4 milliards de dollars pour le programme de financement des forces militaires étrangères (ce programme permet à un pays étranger comme l'Ukraine d'acheter des systèmes d'armes flambant neufs). »

“Nouvelle donne” au conditionnel

Par ailleurs, et avec un nouvel article ce jour, Johnson développe l’analyse technique selon laquelle les forces ukrainiennes n’ont pas de vrais moyens, – directs (exploitation directe) et indirects (utilisation des renseignements pour le domaine opérationnel général), – d’accueil et de traitement des renseignements dont, paraît-il, les USA les inondent. Or, selon lui, c’est dans ce domaine que se situe une “nouvelle donne”, mais il la juge hors de portée des Ukrainiens, dans les deux domaines de l’exploitation directe du renseignement et de son exploitation indirecte dans les opérations tactiques. Ritter y voyait aussi une “nouvelle donne” mais il jugeait que les Ukrainiens pourraient éventuellement l’exploiter.

Cela fait beaucoup de conditionnel, tandis que Pépé Escobar, sans participer au débat Johnson-Ritter, préfère évoluer dans un autre domaine, après avoir évoqué les mêmes chiffres que cite Johnson. Il s’agit du domaine de la corruption où la direction ukrainienne s’est montrée depuis de longues années, de quel côté de l’échiquier politique où l’on se place, absolument imbattables... La chose se poursuit et la performance reste toujours aussi remarquable :

« Cette histoire de “nouvelle donne” est aimable façon de parler des mêmes personnes qui ont dépensé des milliers de milliards de dollars pour sécuriser l’Afghanistan et l’Irak. Et nous avons vu comment cela s’est passé.

» L’Ukraine est le Saint Graal de la corruption internationale. Ces 40 milliards de dollars ne peuvent changer la donne que pour deux catégories de personnes : Premièrement, le complexe militaro-industriel américain, et deuxièmement, une bande d’oligarques ukrainiens et d’ONG néoconservatrices, qui s’accapareront le marché noir des armes et de l’aide humanitaire, puis blanchiront les profits dans les îles Caïmans. »

Kissinger sorti de la naphtaline, insulté...

Finalement, toutes ces précisions comptables et ces imprécisions conceptuelles autant que tactiques (sur le terrain) conduisent à constater que le “brouillard de la guerre” ne se dissipe aucunement en Ukraine, qu’au contraire il s’épaissit autour de l’Ukraine dans des cercles concentriques de plus en plus larges, et cela malgré, – ou à cause d’un effort sans précédent des “démocraties” du bloc-BAO. Il ne s’épaissit pas tant dans le domaine opérationnel où la bataille du Donbass évolue dans un sens où il est vraiment très difficile, de plus en plus difficile chaque jour, d’imaginer une victoire ukrainienne ; il s’épaissit dans le domaine de la communication qui constituait pourtant la marque même de son excellence.

Il y a eu la “magie du chiffre” avec ces $40 milliards, ou plus précisément ces $53 milliards, qui ont fasciné Ritter, – sans doute pour un temps ; qui ont fasciné les experts de salon et les experts en communication ; qui ont enivré les Ukrainiens eux-mêmes, et aussi leurs compagnons en libation (Polonais, pays baltes, certains quartiers de ‘D/C.-la-folle’, etc.). Puis la vérité-de-situation bien dans la manière de la bureaucratie du Pentagone pour qui a l’oeiul aux aguets, commence à apparaître...  Désormais, et le cap de l’addiction inconditionnelle à la communication ainsi franchi, cette fascination tend à s’étioler très rapidement.

C’est le temps où, comme fait Johnson avec Ritter, on mesure effectivement que les énormes chiffres américanistes sont comme d’habitude des outres gigantesques à gaspillage, corruption, et aussi bardées de technologies avancées dont le Pentagone en les répandant en avalanche se garde bien de donner les clefs, y compris aux “héroïques Ukrainiens”, ceux qui se battent avec courage mais voient leurs directions opérationnelles au niveau des grandes unités les abandonner pour d’autres opérations. Certaines sources avancent leurs habituelles tronçonnage : seulement un tiers ou un quart des armes du bloc-BAO arrivent au front, non pas tant à cause des Russes qu’à cause des officiers ukrainiens “dans le coup”, qui ont les contacts ad hoc avec le crime organisé albanais ou djihadiste. C’est une sorte de marché-libre à la sauce du libre-échange, ; – ‘There Is No Alternative’, chère TINA...

Ainsi la guerre en Ukraine, l’Ukrisis opérationnelle tend -elle à se dissoudre dans ce “brouillard” hors-opérationnel et les malheureux instructeurs de l’OTAN qui travaillent en Ukraine depuis huit années voient-ils les cadres qu’ils ont formés se dévoyer pour se reconstituer selon des normes du désordre cosmique de l’immédiat post-URSS, simplement plus à la mode néo-nazie qu’à la mode communiste. Les seuls à ne pas prendre les choses à la légère après les imperfections du début, ce sont les Russes, et par conséquent ils sont tout désignés pour remporter la mise.

La fureur de la bande-Zelenski a été à son comble en entendant, à Davos, le quasi-centenaire Kissinger leur conseiller de céder du terrain (au propre : abandonner des territoires ukrainiens) pour “acheter” la paix aux Russes. D’où quelques explosions de colère devant les cartes bancaires pleines à craquer des pensionnaires de Davos, et sous le regard épuisé et endolori de Kissinger sur son écran virtuel et anti-présidentiel...

« “Allez vous faire foutre avec de telles propositions, bande de foutus connards, pour brader un peu de territoire ukrainien ! Vous êtes des enculés de dingues, non ? Nos enfants meurent, nos soldats arrêtent des obus avec leur propre corps, et ils nous disent comment sacrifier nos territoires. Jamais, vous entendez, jamais !”, [hurle le très-médiatique conseiller de Zelenski, Alexei Arestovitch], dans une interview mercredi. [...]

» Un autre conseiller de Zelenski, Mikhail Podoliak, a pris la parole sur Telegram mercredi pour s'adresser aux “lobbyistes pro-russes en Europe” : “Nous ne vendons pas nos citoyens, nos territoires ou notre souveraineté. C'est une ligne rouge claire. La société ukrainienne a payé un prix terrible et ne permettra à personne de faire ne serait-ce qu'un pas dans cette direction - aucun gouvernement et aucun pays", a déclaré Podoliak.

» Bien que personne ne souhaite une longue action militaire ou une crise alimentaire, “le moyen le plus court de mettre fin à la guerre est de fournir des armes, des sanctions et une aide financière à l’Ukraine”, a-t-il soutenu. “Les Ukrainiens ont défendu Kiev, libéré trois régions et achèvent la libération de la quatrième. Aujourd’hui, les mêmes personnes nous proposent de donner à la Russie l'est et le sud. Merci pour le conseil, mais nous allons probablement prendre les armes”, a déclaré le conseiller. »

Zelenski a parlé à Davos (après sa performance de l’ouverture du Festival de Cannes, fort peu appréciée par Jean-Luc Godard), en termes plus policés mais prenant pour cibles précises Kissinger et Davos, malgré le soulagement d’entendre Soros venu plaider pour sauver la civilisation menacée par l’activisme impérialiste et agressif de la Russie :

« Le président Zelenski a également critiqué Kissinger, l'appelant par son nom, tout en s’exprimant en termes plus polis qu’Arestovich, déclarant que l'homme d’État américain “émergeait” d'un passé lointain et parlait “comme si nous étions en 1938 et non en 2022. Et il pensait s'adresser à un public de Munich de cette époque et non de Davos”. »

Eétrange évolution : la polémique-‘soft’ Johnson-Ritter qui semblait devoir rester confidentielle et s’en tenir à des considérations techniques, a ouvert la voie à une publicité explosive faite à la diversité révélatrice de la comptabilité trompeuse de l’énorme aide de $40-$53 milliards, torpillant le ReSet d’Ukrisis qui devait être le clou et l’attraction irrésistible d’un Davos printanier, hors-les-neiges. Cet enchaînement conduit les communicants qui sont les stratèges de ces temps-devenus-fous, à conclure que le véritable montant d’achat d’armement, sorti des divers postes de cette énorme somme, sera quelque part entre $5 et $10 milliards. Il est de plus en plus assuré que le Pentagone ne livrera pas des équipements de première catégorie technologique, notamment les versions ultra-modernes et sophistiquées des lance-roquettes MLRS M270 dont les Ukrainiens ont un besoin pressant.

Escobar n’allait pas assez loin lorsqu’il rappelait les précédents de l’Irak et de l’Afghanistan, qui s’apparentent d’ailleurs pleinement au modèle de la “vietnamisation”. Les militaires US s’en remettaient à un (sur)armement de leurs alliés qu’ils avaient précipités dans la guerre lorsqu’ils décidaient finalement de retirer leurs troupes : c’était le schéma de la “vietnamisation”, qui fut repris en Irak et en Afghanistan. En Ukraine, on en est au raccourci, aux échappées buissonnières, avec une “vietnamisation” par anticipation. On n’envoies même plus de troupes, on envoie ou plutôt l’on promet des montagnes d’armement et l’on s’abstient absolument d’envoyer des troupes sinon les habituelles forces spéciales déguisées en contractants privés, ou le contraire, de cette façon l’on n’aura pas à les retirer.

Ukrisis-en-Ukraine est désormais doublé d’une discorde montante à l’intérieur du camp du bloc-BAO. La GrandeCrise se démultiplie et la perspective est désormais ouverte sur le presque-infini.

 

Mis en ligne le 26 mai 2022 à 19h50