Portrait de Celente (et du futur?)

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Gerald Celente, fondateur du Trends Research Institute, auteur de nombreux livres, consultant fameux, est connu comme un analyste des grandes tendances déterminant le futur de la situation du monde, et, particulièrement, le développement de la crise de la civilisation occidentale (notre “contre-civilisation”, comme nous la dénommons). Nous employons ces périphrases pour définir les activités de Celente plutôt que le terme de “futurologue” parce que, manifestement, Celente prend ses distances de cette “profession” en écartant par le fait ses caractères principaux, même si ses activités impliquent effectivement une démarche de prévisionniste (voir, par exemple, le 25 novembre 2008).

Une longue interview de Celente par le site The Daily Bell, le 22 janvier 2012, mélange des facteurs opérationnels d’observations de Celente et, également, des considérations sur sa méthode et sur sa façon de procéder. C’est ce deuxième aspect qui nous intéresse et auquel nous nous attachons pour des considérations plus générales, avec des extraits de l’interview et quelques observations de notre part.

Daily Bell: «Give us some background on yourself and how you have come to your current success.»

Gerald Celente […] «Nobody can predict the future – there's too many wild cards. But you can get a good idea by seeing the face of the future, just like you're doing what you're doing and I'm doing what I'm doing because of decisions that we have made. So that's the foundation of my work. But also, what I do differently than everyone else in the field, is that our stream of consciousness is beyond just one category of information. For example, economists will continue to study the economy but what do they know about what's going on socially, changes in the family, geopolitics, environment, health care, entertainment? Are they looking at all the other integrating trends? Because all things are connected. So that's what we do differently, with the understanding that too many people see the view of the world through the eyes of their profession. I call it ‘desk vision’ – they see the world from behind their desk.

»So our concept and our ‘globalnomic’ system is to take in as much information as we can on a global basis, always making connections between different fields. I believe this is really the key to our success as well as being political atheists; we don't have any so-called skin invested in this. When you turn on CNBC or CNN or anything else and you listen to the political analysts or financial analysts, they are either selling something or selling their agenda. My motto is what I learned from my dear father, may his soul rest in peace – think for yourself; don't repeat what everybody else is saying.»

Cet aspect méthodologique est essentiel pour nous, et nous le développons souvent en plaidant pour la nécessité absolue de l’intégration de toutes les crises sectorielles dans une seule crise générale, qui est “la crise générale du Système” ou “la crise de la modernité”. (Par exemple, nous commentions ce phénomène d’“intégration” des crises sectorielles dès 2008, – ici, le 23 juin 2008, – car c’est effectivement en 2008 que ce phénomène a commencé, à notre sens, à se réaliser pleinement.) C’est une démarche essentielle pour notre propos, qui soutient absolument toute tentative de comprendre le sens général des évènements, et qui conditionne également la compréhension du fait majeur que le temps historique que nous vivons a effectivement pris une dimension métahistorique.

Bien sûr, nous évoluons dans un domaine différent de celui choisi par Celente, et surtout selon une approche différente. Celente conçoit naturellement l’intégration de facteurs divers en fonction du but de mieux définir principalement les conditions économiques et adjacentes dans un sens large. Pour nous, d’abord s’impose le fait que l’économie n’est qu’un facteur secondaire, un facteur de conséquence dans la crise et nullement un facteur premier. (Même si le Système en fait le facteur fondamental de son activité et des conditions qu’il impose, les évènements sont en train de faire justice de cette hiérarchie-Système.) D’autre part, il y a notre conception qu’aucun facteur, premier ou secondaire, ne doit être envisagé sans intégrer absolument tous les éléments et facteurs de la crise générale, c’est-à-dire de notre situation générale, y compris, et d’abord certes, les facteurs historiques et métahistoriques. Enfin, Celente envisage l’intégration de facteurs divers pour une vision globale (quoiqu’économique) de la situation, d’abord d’un point de vue utilitaire, pour mieux définir la situation dans des termes qui restent comptables du Système (même si c’est pour condamner le Système). Il ne semble guère y avoir dans sa démarche une dimension haute, correspondant à ce que nous nommons “intuition haute” et “crise haute” (nouvelle expression que nous introduisons dans notre prochain dde.crisis du 10 février 2012), correspondant en fait à ce que nous percevons de la dimension devenue métahistorique (métaphysique de l’Histoire) de notre période.

Daily Bell: «You mentioned earlier you call yourself a political atheist. Would you elaborate?»

Gerald Celente: «I don't believe in anybody's political religion. Knock yourself out. You want to believe in your fairytale, that's okay with me but don't lay it on me. Don't tell me I have to believe in your political garb because I REALLY GET ANGRY! Who are you to tell me I have to believe in your line of crap? Have you been there? Do you know what it looks like? I've been there.

»I used to be standing inside the Senate chambers, a new guy, standing talking to my pal, talking about what guys talk about. And all of a sudden a senator would walk in and he'd have some flunky over there, opening the door so the guy could walk in. And my buddy would leave me and follow the senator like a little puppy dog and pull out the chair so the senator could sit down. Then my friend would come back and I would say, “What's the matter, man? The cat can't sit down by himself? He needs some help?”

»That's all politics is. You know what politicians are? When are people going to grow up? Politicians are the same jerks you hated in high school and college that wanted to be class president and head of the student council. The brown-nosers, suck-ups, overly-ambitious, insincere – and now they are telling you what to do and you are paying attention to them and you are bowing down?»

Il s’agit là de l’illustration du divorce complet avec le monde organisé de la direction politique qui est absolument nécessaire à toute posture antiSystème. L’expérience Celente, telle qu’il la rapporte, ne fait que confirmer le caractère d’hermétisme complet du monde politique, tel qu’il a évolué sous l’empire du Système, jusqu’à devenir un appendice devenu partie intégrante et inamovible de ce même Système. On comprend, à la lumière de ces observations, à la lumière des possibilités que laissent comprendre ces observations, que la bataille en cours ne peut plus évoluer à l’intérieur des directions politiques. C’est évidemment ce que comprend Celente, par ailleurs conforté par son succès d’accès à ses travaux et de notoriété de ces mêmes travaux. Celente ajoute évidemment à ses éventuelles capacités d’appréciation de l’évolution des évènements, un sens aigu de la promotion de ces mêmes activités ; de ce fait, on peut considérer qu’il a un pied dans le Système, un pied en dehors, mais que sa démarche, parallèle à l’évolution des évènements, est résolument antiSystème ; sur ce point, son “pied dans le Système” ne le compromet nullement mais lui permet de rendre efficace sa posture antiSystème en retournant les moyens du Système contre le Système.

Selon cette logique, cette “rupture” avec le Système, que Celente implique dans son jugement sur l’hermétisme des directions politiques, ne peut avoir un sens que pour l’esprit de la chose. La rupture n’implique nullement de rompre tous les liens temporels, bien au contraire. Il faut utiliser plus que jamais ces liens (l’Internet en est un) pour pouvoir mieux substantiver et argumenter, et enrichir constamment sa rupture dans l’esprit avec le Système. D’autre part, on se trouve mieux à même de débusquer, de mettre en lumière et d’utiliser ce qu’il peut y avoir d’antiSystème même chez les serviteurs du Système. Tout cela navigue entre conscience et non-conscience de ces particularités, face à des sapiens qui sont eux-mêmes plongés dans l’incertitude complète de la crise, et souvent emportés par les évènements à la façon que décrit Joseph de Maistre.

Daily Bell: «You are a leading spokesperson for what we call alternative media. What gives you the courage to speak out?»

Gerald Celente: «Oh, it's very simple. I was married for 23 years. I'm divorced now, since the mid-90s. Everybody I love is dead. My parents, may they rest in peace, aunts and uncles, everybody. I have no kids. Again, I don't tell anybody what to think. My motto is, “Think for yourself.” My definition of hell is taking that last breath of life and knowing that you lied to yourself and you weren't the person you claim to be. So for me, it's about speaking about who I believe I am. I don't call it courage; I call it being true to myself.»

Il s’agit là, au-delà de la situation elle-même (divorcé, pas d’enfants, etc.), de la question de la “solitude” face au Système, considérée d’une façon positive, pour avoir une meilleure capacité de “penser par soi-même”. Les caractères de la situation elle-même peuvent certes aider pour atteindre cette position de solitude, parfois ils peuvent même être décisifs. Mais ils ne déterminent en aucun cas l’esprit de la chose.

Dans ce cas, selon notre interprétation, et sans savoir si c’est celle de Celente, la “solitude” ne représente en aucun cas un isolement, cela compris comme une rupture avec le reste. Comme on l’a vu plus haut, cette rupture est à la fois impossible et contre-productive. Mais l’essentiel, à notre sens, est la réalisation que cette solitude de l’observateur, du chroniqueur, du penseur face au Système (antiSystème) n’implique en aucun cas l’individualisme dissolvant. Au contraire, le solitaire antiSystème est porteur d’une mission collective et, en ce sens, représente le paradoxe d’une “solitude collective” (face au Système et pour s'en démarquer). Il doit rassembler en lui un sentiment collectif général, et réaliser effectivement que l’individualisme dissolvant se trouve dans la collectivité des groupes aliénés par le Système, et soumis au Système. Le Système ne tient en effet comme il se trouve que dans la mesure où il dissout les collectivités, et notamment, et d’abord, les collectivités de ceux qui lui sont soumis. Il est dissolvant en soi et il favorise l’individualisme lui-même dissolvant de l’être. Cette tendance qui fait sa surpuissance dominatrice recèle au bout, par l’inversion désormais bien connue, l’autodestruction.

Daily Bell: «Are corporations and corporatism to blame for the current system?»

Gerald Celente: «No, it's everybody – from the top to the bottom - from the corporate rip-off to the welfare cheat. It's the person in the bureaucracy who's not doing their job, or the person in the corporation who's trying to game the system. It's about morality and until morality is restored – and it's not only America; it's worldwide you have people taking pokes at America, you name the country. It's not all of them but a lot of them. So it comes back to morality, and until morality changes, nothing will change.

»People ask me how it's going to change and I always go back to that wonderful Hindu saying, “When the student is ready the teacher appears.” Anybody who has really practiced anything, and really wanted to be great at it knows you need a great teacher, and you only find those great teachers when you're dedicated. So my belief is that the leadership will appear when the people are ready, and to me the people are not ready. They're not ready emotionally, spiritually or physically. So until the people change and regain that self-respect, dignity and courage, nothing will change.»

Cela, c’est assez juste : “Quand les élèves sont prêts, le professeur apparaît”. Cette idée implique qu’il faut une certaine unanimité des esprits pour convenir de la nécessité du changement qui s’appelle alors rupture, pour que cette rupture se fasse, – et elle se fait en général selon des modalités qui échappent à la maîtrise, voire à la conscience humaines, y compris collective, et alors c'est la rupture elle-même, préexistante à cet égard, qui suscite l'unanimité des esprits. Peu importent ici la vertu et le vice des uns et des autres, la responsabilité des uns et des autres. C’est rejoindre quelques remarques essentielles de Joseph de Maistre, – quoique nous doutions que Celente y pense précisément, – lorsqu’il discourt sur la justice, le vice et la vertu… «Commencez d’abord par ne jamais considérer l’individu : la loi générale, la loi visible et visiblement juste, est que la plus grande masse de bonheur, même temporel, appartient, non pas à l’homme vertueux, mais à la vertu…» C’est-à-dire, pour notre cas présent, qu’il faut effectivement une réalisation collective de la nécessité de la rupture, réalisation qui ne peut être que d’origine transcendantale, donc en cours de formation sinon formée avant cette réalisation comme nous l’indiquons plus haut. Tout le reste, – réforme radicale, révolution, renversement de régimes, etc., tout cela à l’intérieur du Système, – n’est qu’un emplâtre sur une jambe de bois puisque, dans la pratique même, il frappe des catégories d’individus, des collectivités d’individus déjà dissoutes dans l’individualisme, sans abattre le fondement de tout ce qui est le Système lui-même. La rupture vient par des évènements inattendus, imprévus, et incompréhensibles dans ce sens selon leur apparence ou l’impression superficielle qu’on en a ; ces évènements sont d'abord incompréhensibles parce qu'ils portent la rupture qui existe elle-même avant que nous ne la réalisions.

• D’une façon générale selon notre appréciation, Celente dit certaines choses justes mais essentiellement sous forme de constats, sans en tirer, ni les enseignements, ni les conséquences, ni les explications que tout cela devrait suggérer. A cet égard, il n’évite pas les contradictions. Lui qui est connu pour diverses prévisions audacieuses, qui s’enorgueillit de certaines qu’il a faites dans le passé et dont il juge qu’elles se sont vérifiées, commence sa première intervention par cette remarque sans réplique : «Nobody can predict the future – there's too many wild cards.» (Remarque pour le temps présent selon lui, mais qui a valeur universelle : il y a toujours eu «too many wild cards».) Il continue par cette autre remarque, moins assurée, sans définir la différence entre “future” et “the face of the future” : « But you can get a good idea by seeing the face of the future»

C’est une approche théorique assez correspondante à ce que nous-mêmes concevons à cet égard, mais d’une façon plus affirmée pour nous-mêmes, plus explicitée. Il s’agit d’écarter la démarche de la tentative de prévision ordonnée et rationnelle (et “sensationnelle” pour la perception) des évènements mais d'essayer de saisir les grandes tendances probables que ces évènements illustrent sans les exprimer d’une façon irréfutable (leur caractère “incompréhensible”). Il s’agit également, ou plus précisément, de déterminer quel type d’évènements peut avoir un effet fondamental sur l’évolution du Système dans sa Chute, et d’en guetter les signes précurseurs ou annonciateurs. (Par exemple, pour nous l’éclatement des USA est le principal évènement à cet égard, comme nous l’avons souvent répété, – voir notamment notre dernière réflexion en date sur cette question, le 26 décembre 2011.)


Mis en ligne le 28 janvier 2012 à 04H39