Portrait malheureusement et cruellement exact de Tony Blair

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Portrait malheureusement et cruellement exact de Tony Blair


28 juillet 2003 — Tony Blair est-il vrai ? Il est malheureusement vrai, mais il est de moins en moins irréfutable, si bien qu’on s’interroge sur cette “vérité”. Le portrait qu’en trace involontairement son ancienne ministre Clara Short a le parfum de la réalité pure et dure. A moins que, dans l’entre-temps, une sorte de clone de Tony Blair ait pris la place de Tony Blair. On en doute. L’actuel Tony Blair est le même qui, il y a quelques années, déployait ses charmes et ses vertus ; il nous offre, aujourd’hui, le côté sombre jusqu’à être noir comme de l’encre de ses nombreuses qualités d’origine. Blair est tombé, victime de Blair. C’est une circonstance extraordinaire de notre histoire contemporaine.

Cette histoire de la perdition de Blair est malheureusement, —bis repetitat — aussi classique que l’histoire des hommes et l’histoire de la politique. Mais elle est si formidablement accentuée, amplifiée, monstrueusement grandie par la puissance des effets que les décisions de ces petites gens entraînent irrévocablement, qu’elle en change de substance. Ce constat n’est pas dû au hasard, il concerne des situations graves, autres que les polissonneries irakiennes. L’heure est grave, accuse Sir John Houghton, l’ancien chef de l’Office Météorologique, qualifié par le Guardian de « The UK's most eminent climate scientist », et qui désigne Blair. Accusé de quoi, Blair ? Qui ne le devinerait pas, puisqu’il est accusé de céder, une fois de plus, et toujours avec cette manière fanfaronne (voir la “servilité volontariste” de Tony Blair), au piètre Empereur que tout le monde sait.


« The UK's most eminent climate scientist is accusing Tony Blair of failing to stand up to George Bush on the issue of climate change and putting mankind in jeopardy. He says global warming is as great a threat to the world as weapons of mass destruction.

» In a blistering attack on George Bush for “an abdication of leadership of epic proportions” and Tony Blair for taking no action for fear of offending him, Sir John Houghton, former head of the Met Office, writing in today's Guardian, says that global warming is real and here now, killing people through heatwaves and storms.

» He says: “If political leaders have one duty above all others, it is to protect the security of their peoples. Yet our long-term security is threatened by a problem at least as dangerous as chemical, nuclear or biological weapons, or indeed international terrorism: human-induced climate change.

» “The parallels between global climate change and global terrorism are becoming increasingly obvious”, yet no action is taken by either leader, he says. »


Voyons ce que nous dit Clara Short de Blair, car elle va plus loin en nous suggérant des précisions sur l’homme, sur sa carrière, sur sa position, sur son avenir aussi. Avec Cook, Short devient une parmi les principaux leaders de l’opposition véritable à Blair, — et il s’agit des deux ministres démissionnaires à cause de l’Irak.

• Pour Short, Blair est complètement converti à la cause néo-conservatrice, c’est-à-dire ces libéraux US, ex-trotskistes ou approchant, devenus impérialistes et interventionnistes au nom d’une vision supérieure du destin américain. En quelque sorte, Blair s’est complètement américanisé en devenant néo-conservateur, ou bien il est devenu néo-conservateur en s’américanisant.


[Clara Short] « describes him as an “emperor” and a “neo-Conservative”, saying his speech this month to both houses of the US Congress shows he shares the analysis of Washington hardliners. “He is a complete convert to the neo-Conservative view of the world.” »


• Bien sûr, Blair a son âme damnée, et c’est Alastair Campbell, le prince de tous les spin doctors, ces spin doctors dont elle disait en 1996 qu’ils “vivent dans l’ombre”. La mise en cause d’Alastair Campbell dans le drame de la mort du professeur Kelly aura de graves conséquences  : « Alastair Campbell and Tony Blair work very, very closely together. They are all implicated, it seems to me. » Cette partie fondamentale des activités de Tony Blair est au coeur de la crise, comme elle est au coeur de la tragédie du docteur Kelly. C’est par là que tout a commencé, c’est par là que tout sera dénoué : « I said spin would damage and destroy Tony. There is a danger the tragedy of this death encapsulates the argument [about spin] and then everyone sees it through that lens. Public confidence has changed enormously. It has deepened the sense there is something wrong in the way in which No 10 is run. There is more scrutiny of that, so that affects Tony Blair's reputation. »

• Clara Short pense que Tony Blair est lié à une certaine forme de gouvernement, fondé sur le spin, sur la représentation, le montage, et elle doute qu’il puisse s’en libérer (y compris, avec le départ possible de Campbell). Clara Short exhorte Tony Blair à s’en aller, — « ... to stand down to ensure Labour “renews itself”, saying this would be best for him, the Government, the Labour Party and the country. » Pour Short, c’est sur ce point que Blair joue sa réputation d’homme d’État, qu’il montrera qu’il est vraiment un homme d’État, — en partant. Ce qui la conduit à envisager l’avenir sans Tony Blair.


« Asked if she agrees that Gordon Brown has one year to replace Mr Blair because after that would be too close to the election, she says: “Crudely, yes.” But she insists she is “not a Brownie” and would not automatically support the Chancellor in a Labour leadership election.

» “The test for the Labour Party is: can we renew ourselves in power? The third election could be won; it could be lost, too. It can't just be everyone keeping quiet and supporting all the mistakes that are being made, otherwise we will throw away the third term. »


• C’est sans doute le point le plus important, du point de vue psychologique : Tony Blair ment-il sciemment, dans ces diverses affaires qu’on lui reproche ? Clara Short semble d’abord répondre par l’affirmative, à propos d’un point particulier, ce que Blair a dit à ses ministres de la position française au Conseil de Sécurité. « Tony said to me, “The French have said they will veto anything”, so I was misled about the French position. We were all misled. Objectively, if things are not true, they are a lie. » Pourtant, non, il ne s’agit pas d’un mensonge à proprement parler, c’est-à-dire conscient et volontaire, fait dans l’intention de tromper : Clara short « agrees Mr Blair did not set out “to tell a heap of lies” and “thought he was doing the right thing. I think he deceived himself and he deceived us”. »

Cette conversation avec Clara Short est passionnante et témoigne de la situation exceptionnelle existant au Royaume-Uni. Le Premier ministre y est “disséqué” comme s’il n’était plus là, comme s’il avait démissionné, comme s’il était déjà de l’histoire, ou bien comme s’il était un étrange objet d’observation presque scientifique. C’est ce climat psychologique qui est remarquable. Tout le monde observe Tony Blair comme s’il ne faisait déjà plus partie du monde politique courant, on l’observe comme si on était intéressé surtout de savoir comment il va partir (et alors, la question n’est plus de savoir s’il part, mais effectivement quand et comment). Cette attitude psychologique inconsciente suppose une extraordinaire perte de prestige, mais plus encore, et différemment, une perte étrange de substance humaine, de réalité politique du Premier ministre aux yeux de ceux qui l’observent.

D’ailleurs, Blair existe-t-il encore ? Ce que nous dit Short sur cet homme qui ment (concernant les Français, attitude confirmée par l’amertume de Charles Grant à cet égard), c’est qu’il ne ment pas vraiment. Son univers, celui des spin doctors n’est fait que de mensonges qui n’en sont plus, — puisqu’il n’y a plus que mensonges, ce ne sont plus des mensonges. Blair vit dans une reconstruction de la réalité qui l’a conduit, lui qui était parti fin-2001 dans une “mission-suicide” pour marquer GW à la culotte et tenter de le détourner de l’influence des neocons, à devenir neocon lui-même. Singulier destin, sans doute le premier chef politique de cette envergure à avoir été complètement “mangé” par le virtualisme. (D’autres sont également “virtualisés”, comme GW, mais lui est dès le départ une construction virtualiste, alors ...)