Pour cause de dignité

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Pour cause de dignité

3 avril 2009 — Le grand sommet du soixantième anniversaire de l’OTAN, qui s’ouvre aujourd’hui à Strasbourg, est marqué par l’annonce officielle de la “réintégration de l’OTAN” par la France. Comme l’on sait, il s’agit d’une disposition plus technique que politique dans les faits, mais par contre d’un acte perçu comme marqué d’un très fort symbolisme.

Notre analyse serait plutôt qu’il s’agit, aujourd’hui, dans les domaines stratégique et politique où on le considère d’habitude, d’un acte démesurément grossi, dont l’importance est à la mesure de l’importance déclinante de l’OTAN, dont le sens politique est à la mesure des relations chaotiques, notamment entre les USA et l’Europe, imposées par la crise.

Par ailleurs sur ce site, dans la rubrique de defensa, nous mettons en ligne un texte d’analyse à propos de cet événement, que nous avons publié dans notre Lettre d’Analyse de defensa & eurostratégie du 25 mars 2009. Nous donnons notre évaluation de l’événement, considéré en fonction des réalités politiques, stratégiques et psychologiques du temps courant. Nos lecteurs verront que notre appréciation n’est ni haute ni excessivement inquiète.

Quoi qu’il en soit, une caractéristique de cet événement (le débat sur la “réintégration dans l’OTAN”) est qu’il fut totalement dépourvu, du côté français, de la moindre réflexion sur la dignité des choses dont on débattait, dont l’écho ne semble plus réveiller quelque émotion que ce soit chez nos dirigeants; par conséquent, l'événement du débat sur la réintégration fut lui-même dépourvu de la moindre dignité, par la grâce suspecte de ces mêmes dirigeants. Nous insistons d’autant plus sur ce point, nous employons ce mot d’autant plus à dessein que la chose (la dignité) nous manque, comme si elle était devenue un souvenir presque éteint du passé dans ces temps incertains et, effectivement, temps indignes que les nôtres, sans discussion; et d’autant plus, l’emploi de ce mot, qu’il sert de bonne introduction à un extrait de texte que nous présentons ci-dessous, et de sollicitation conceptuelle de ce texte.

Il est en effet excellent de chercher à comprendre et à ressentir ce que fut le “retrait de l’OTAN”, encore techniquement très relatif, lorsqu’il fut décidé en réalisé, en 1964-66. Il est excellent de découvrir que ce fut un acte de dignité posée là où la dignité manquait, un acte de rétablissement de la dignité française là où la dignité était malmenée et réduite. Cette dimension morale et psychologique, ou, dans tous les cas, le débat sur cette dimension de la décision de 1964-1966 ont été bien souvent absents de l’évolution de la polémique générale et du débat en général, à propos de la “réintégration de l’OTAN”, circa-2009. Il n’a pas vraiment été compris, ou bien malaisément compris que le départ de l’OTAN en 1966 représentait, pour la France, outre ses caractères d’indépendance nationale et d’autonomie, une affirmation de dignité qui constitua une formidable structure morale pour la politique étrangère de la France, non seulement à l’époque, mais au-delà de De Gaulle, en l’absence de De Gaulle dirait-on.

La question se pose de savoir si cette dimension de dignité va être détruite par le “retour dans l’OTAN”; mais cela supposerait, et voilà qui nous semble une proposition bien audacieuse, que cette dignité existe toujours (la France “hors de l’OTAN”) et qu’il serait question de s’en priver (la France “regagnant l’OTAN”). Réfléchir dans ce sans, c’est trancher le cas. Il est possible alors que ce “retour dans l’OTAN”, dont nous pensons par ailleurs qu’il ne change rien de fondamental au niveau de l’indépendance nationale et de la souveraineté, ne change pas grand’chose, sinon rien dans la posture politique de la France. On aurait alors confirmation, ceci induisant cela, qu’il ne change rien dans la dignité de la France parce que cette dignité n’existe plus, – parce qu’il s’agit d’un trait qui n’est plus de notre temps. La chose pourrait être réalisée d’une manière subreptice mais puissante, finalement ressentie plutôt que réalisée, et provoquer un choc en retour considérable dans une vie politique française, habituée, depuis le général de Gaulle, à considérer que la dignité existe dans la politique française comme une donnée acquise et verrouillée, un peu comme un poisson bien ferré, comme si la dignité était un gros poisson après tout.

On pourrait également noter l’étonnante situation d’un “retour dans l’OTAN” qui ne peut être considéré que comme un rapprochement des USA, après un formidable affrontement précédant le G20, entre l’Europe (la France) et les USA. C’est alors qu’il y aurait “scandale dans la famille”, au sein de ce que les néo-atlantistes français, dont Sarko lorsqu’il fonctionne sur sa moitié de cervelle-OTAN, désignent de l’expression charmante qui semblerait les exonérer de l’explication du choix politique qu’ils font, indice d’une culpabilité dissimulée, de “famille occidentale”. L’affrontement n’a jamais été aussi vif, aussi fondamental, que durant ces quatre ou six dernières semaines, car l’on sait bien que les choix qui s’opposent (européen avec France-Allemagne d’un côté, anglo-saxon avec USA et UK de l’autre) cèdent de plus en plus la place à des oppositions de conceptions du monde.

Aujourd’hui que la France fait son petit acte de “réintégration dans l’OTAN” représenté comme un symbole qui lui coûterait sa dignité, si elle en avait encore, l’énorme acte de l’affrontement à propos de la crise générale secoue “la famille occidentale” bien plus qu’aucune agression extérieure ne saurait le faire. La découverte, avec cette affaire de l’OTAN, de la disparition de la dignité aujourd’hui dans la politique de là France, que ce soit “hors de l’OTAN” ou “dans l’OTAN”, renvoie comme une mise en demeure, pour la direction française, sous la pression de l’opinion publique et des sondages, d’avoir à encore mieux “tenir son rang” dans cette bataille de la crise. En d’autres mots, et parce que nous croyons que les actes d’un dirigeant politique, aujourd'hui plus que jamais, sont loin d’être tous gouvernés et orientés par sa volonté et par son calcul, nous ne serions pas loin de nous demander si Sarko ne devra pas se montrer plus agressif et plus acharné à affirmer la position européenne (française) face aux tendances hégémoniques américanistes parce qu’il est et sera accablé par cette faiblesse de la décision française vis-à-vis de l’OTAN.

Du temps où Edgar n’agaçait pas le général

On a beaucoup daubé, plus récemment, sur une unanimité moins grande qu’on dit d’habitude, pour soutenir la politique gaulliste du retrait de l’OTAN en 1966. On a cité telle ou telle réflexion d’hommes politiques d’alors (Guy Mollet, Maurice Faure), soulevant des critiques fondamentales. Nous aurions tendance à mettre en évidence le contraire.

Au contraire, en effet, voici l’exemple d’Edgar Faure. Qui ne se souvient de cet homme politique passe-partout de la IVème République? Edgar était tellement passe-partout qu’on le retrouva accroché à la Vème sans être gaulliste, – Edgar Faure, nœud papillon en bataille, zozotant à cause d’un long cheveu sur la langue, malin comme un singe et époux d’une intellectuelle (Lucie) bien en cour dans ces années-là, Président du conseil des ministres plus qu’à son tour et ministre un nombre incalculable de fois, inventeur en 1955 ou en 1956, pour la Tunisie, de la formule immortelle de “l’indépendance dans l’interdépendance”, – qu’aurait-on pu attendre de lui en fait de dignité? C’est pourtant lui qui nous en donne la leçon, de la dignité, à nous qui en manquons désespérément, et qui le fait à propos de la décision du général, pour en situer toute la force.

La citation ci-dessous est extraite du livre de Michel Tauriac, Vivre avec de Gaulle, Les derniers témoins racontent l’homme, Plon, 2008. Le témoignage est celui de Jean Charbonnel, alors secrétaire d’Etat aux affaires étrangères, Edgar Faure étant devenu ministre de l’Agriculture dans ce gouvernement du Premier ministre Georges Pompidou, le premier du second mandat (décembre 1965) du général de Gaulle à la présidence de la République.

«Le Conseil des ministres se termine. On vient d’expédier les affaires courantes. C’est alors que le Général nous fait part de sa proposition de quitter l’OTAN, après avoir, précise-t-il, examiné le problème non seulement avec le Premier ministre qui est en face de lui, mais avec le ministres des Armées et le ministre des affaires étrangères. (Une décision qui deviendra effective le 10 mars.) Et d’élever ensuite la réflexion au niveau de l’indépendance nationale qu’il faut affirmer sans se lasser, de la paix dans le monde, dont notre force de dissuasion, désormais confortée, doit être une des garanties. Puis de conclure : “Si vous acceptez, vous pourrez avoir la fierté d’avoir assuré la paix pour vos enfants. Il ne s’agit pas de quitter l’Alliance atlantique. Les Américains sont et restent alliés. Je l’ai montré quand il le fallait. Mais on ne peut pas être des sujets. Donc je vous propose cette décision.” Et il ajoute: “Bien entendu, elle est grave. Elle peut mettre un certain nombre de choses en cause pour vous. Ceux qui ne l’acceptent pas peuvent tout à fait démissionner du gouvernement.” Silence de mort. Alors, on voit une main qui se lève. A côté de moi, mon Missoffe me glisse: “Ca y est, Edgar s’en va.” Le ministre de l’Agriculture prend la parole: “Monsieur le président de la République [Edgar Faure est le seul à s’obstiner à ne pas l’appeler “mon général”], je tenais à vous remercier de la décision que vous nous proposez, à laquelle j’adhère totalement parce que, vous le savez, président du Conseil de la IVe République — si mes collègues Guy Mollet ou Pierre Pflimlin étaient présents, ils pourraient le dire également —, nous avons été humiliés par les Américains. Vous nous avez rendu notre dignité.” Pour une fois, Edgar ne l’a pas agacé.»