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29 septembre 2003 — Il ne faut pas gâcher son plaisir d’avoir à reconnaître qu’un commentateur, souvent pris comme tête de Turc à cause de son style et de ses idées de type bulldozer, semble pour cette fois avoir été touché par le bon sens comme on l’est par la grâce. C’est le cas de Thomas Friedman, dans sa chronique de ce matin. Friedman dit aux Américains : la semaine dernière nous a apporté, à nous Américains, une bonne dose de réalité. On résume :
• La première dose vient de l’ONU où le reste du monde a dit aux USA : l’Irak, c’est votre guerre, débrouillez-vous seuls avec elle.
• La seconde vient de ce qu’on sait du rapport de l’homme placé par la Maison-Blanche pour trouver des armes de destruction massive, ou WMD (David Kay), et qui n’a rien trouvé. Friedman en tire la conclusion selon des images très justes : on nous annonçait que c’était une “guerre de nécessité” (à cause des WMD) qui serait très rapide ; il s’avère que c’est une “guerre de choix” (nous avons voulu la faire, sans raison sérieuse) et elle durera longtemps.
« With Kay's interim report, it is now becoming clear that this was not a war of necessity at all; it was a war of choice, and, on top of it all, it was a war of choice that is going to be a marathon, not a sprint. And, because the Bush team chose to start this marathon largely alone, the free-riding world is going to let us finish it, and pay for it, largely alone. »
Cela ne suffit pas pour achever l’esquisse du climat washingtonien dans cette rentrée de l’automne 2003. Friedman ne nous parle pas des deux singulières affaires qui vont secouer Washington dans les jours qui viennent et qui font déjà les délices des journaux, de plus en plus replongés dans une atmosphère de type Watergate, et dans tous les sens, après avoir fait du reportage au garde-à-vous pendant deux ans.
Ces deux affaires ont à toutes les deux un aspect rocambolesque qui rapproche de plus en plus la situation à Washington des fictions les plus audacieuses.
• La première est l’attaque lancée par le Congrès (la Commission du Renseignement de la Chambre des Représentants) contre la CIA, qui ne vise d’ailleurs pas nécessairement la CIA. Elle concerne le dossier de renseignement constitué contre l’Irak, pour justifier l’attaque contre ce pays. Une des accusations les plus spectaculaires de la Commission est celle d’avoir utilisé des renseignements d’avant 1998 pour constituer le dossier d’une guerre en 2003. La Commission de la Chambre sur le renseignement est présidée par un député, Porter Gross, qui est un ancien officier de la CIA et un proche du directeur George Tenet. Il semble qu’on doive attendre que cette accusation, en apparence présentée à la CIA, soit rapidement redirigée vers l’administration. La CIA a, à cet effet, nombre de documents et de preuves qu’elle a plutôt agi pour écarter les falsifications au niveau du renseignement, et, d’une façon plus générale, pour écarter les perspectives de guerre.
« The intelligence used by the CIA to conclude that Iraq had weapons of mass destruction and had links to al-Qa'ida has been severely criticised by leaders of a high-ranking Congressional committee as being “outdated, circumstantial, piecemeal and fragmentary”. They said the agency's ability to gather fresh information had “significant deficiencies”.
» In a scathing attack on the information cited by President George Bush and his senior officials as they made their case for war, the leaders of the House of Representatives Intelligence Committee, said the CIA had relied on “past assessments” that dated from 1998 when UN weapons inspectors left Iraq.
« “The absence of proof that chemical and biological weapons and their related development programmes had been destroyed was considered proof that they continued to exist,” the committee leaders said in a letter to the CIA director, George Tenet. »
• La deuxième affaire est encore plus rocambolesque, puisqu’il s’agit de la CIA portant plainte au département de la justice contre la Maison-Blanche. Il s’agit de l’affaire de l’ambassadeur Wilson, dont nous avons parlé en juillet : cette affaire de “fuite” venue de la Maison-Blanche, révélant que la femme de l’ambassadeur Wilson est un officier de la CIA. Il fallait se venger de Wilson, qui avait rapporté un rapport complètement négatif, en 2002, d’un voyage au Niger, sur le soi-disant marché Saddam-Niger sur 500 kilos d’uranium. Rendre public le nom de Valerie Plame, femme de Wilson, c’était la compromettre dans diverses situations où elle s’était présentée autrement que comme un officier de la CIA. Cet incroyable manquement à l’éthique, qualifié de “trahison” par Bush-père dans un discours qu’il fit à la CIA en 1998, se retourne contre ses auteurs, avec cette décision très inhabituelle de George Tenet de porter plainte contre la Maison-Blanche. Et si l’enquête est sérieuse, cela risque d’aller loin, — à cause de l’importance des peines de prison encourues par les auteurs de la fuite ; à cause, également, des personnes qui pourraient être impliquées (Wilson a parlé publiquement de Karl Rove, le conseiller en communication et “âme damnée” de GW). Il s’agit d’un affrontement majeur au sein de l’administration et de la bureaucratie washingtonienne, et d’une volonté arrêtée de la CIA de contre-attaquer certains adversaires qu’elle a au sein de l’administration.
Quelle conclusion ? Revenons à Friedman. Sa conclusion, à lui, est à la fois désenchantée et d’un optimisme contraint, très “à l’américaine”. Elle suggère surtout que la campagne électorale est lancée et qu’elle sera terriblement difficile pour Bush, — car ce que nous dit encore Friedman, in fine et sans le dire explicitement parce que le bulldozer est prudent, c’est qu’il pourrait bien ne pas voter pour GW Bush. Las, — si un homme aussi prudent derrière ses allures de bulldozer que l’est Friedman laisse entendre qu’il n’est plus favorable au président en exercice, c’est l’indice de l’extraordinaire volatilité de la situation à Washington.
« The lessons learned this week, and their implications, are gigantic. They will shape America's role in the world, its perception of itself and its ability to grapple with both foreign and domestic problems for years to come. I think the American people will see this through, but they want a pragmatic, strategically optimistic, morally serious plan to get behind. The leader who presents that will be the next president — I hope. »
On comprend qu’il y a de moins en moins de chance que ce portrait soit celui de GW.
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