Pour être l’Empire du monde, il faut les moyens

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Pour être l’Empire du monde, il faut les moyens


30 décembre 2003 — Cet éditorial du New York Times est particulièrement impressionnant et significatif. Le sujet qu’il traite devrait être entendu si les observations faites sur la puissance américaine n’étaient pas obscurcies par des réactions émotionnelles de fascination dissimulées derrière des attitudes prétendument raisonnables. Le New York Times nous dit que les forces armées américaines sont au bord d’une crise grave, puisque dans l’incapacité de soutenir encore très longtemps, — c’est une question de mois, voire de semaines, — les engagements américains en cours, sans même parler de nouveaux engagements, comme les idéologues de l’interventionnisme en évoquent souvent la possibilité.


« More than a third of the U.S. Army's active-duty combat troops are now in Iraq, and by spring the Pentagon plans to let most of them come home for urgently needed rest. Many will have served longer than a normal overseas tour and under extremely harsh conditions. When the 130,000 Americans rotate out for home leave, nearly the same number will rotate in. At that point, should the United States need to send additional fighters anywhere else in the world, it will have dangerously few of them to spare.

(...)

» Meanwhile, if a sudden crisis were to erupt in North Korea, Afghanistan or elsewhere, the Pentagon might be hard pressed to respond. For a time, it could make do by sending tired troops back into action, mobilizing reserves and borrowing forces from areas that are quiet but still volatile. Such expedients have severe long-term costs. The White House must recognize the damage its unilateralism is inflicting on the army and change course before the damage becomes harder to undo. »


Les forces armées américaines craquent de partout et, désormais, vivent d’expédients. Ainsi, cette information développée par le Washington Post concernant les mesures d’interdiction de l’U.S. Army pour empêcher des soldats arrivés au terme de leur contrat, d’effectivement quitter l’armée. Le Post parle de ces « thousands of soldiers forbidden to leave military service under the Army's “stop-loss” orders, intended to stanch the seepage of troops, through retirement and discharge, from a military stretched thin by its burgeoning overseas missions. “It reflects the fact that the military is too small, which nobody wants to admit,” said Charles Moskos of Northwestern University, a leading military sociologist. »

La mesure prise par le Pentagone pour maintenir les unités actuelles à leur niveau ne représente rien d’autre qu’une mobilisation déguisée et forcée, puisque ces soldats se trouvent désormais sous les drapeaux contre leur gré. Le Washington Post parle pour ces soldats, qui sont 40.000 aujourd’hui pour l’U.S. Army, d’une « involuntary servitude », selon une expression totalement absurde, — comment imaginer une “voluntary servitude” quand “servitude” est par définition une contrainte ? Cette expression absurde, justement, reflète l’embarras où cette situation met les autorités et les commentateurs, dans la mesure où il s’agit d’un arbitraire généralisé, qui tend à faire d’une situation exceptionnelle une situation structurelle difficilement justifiable.

Par ailleurs, et pour rester pratique, la description de la situation de l’U.S. Army explique l’utilisation extensive de cette technique.


« By prohibiting soldiers and officers from leaving the service at retirement or the expiration of their contracts, military leaders have breached the Army's manpower limit of 480,000 troops, a ceiling set by Congress. In testimony before the Senate Armed Services Committee last month, Gen. Peter Schoomaker, the Army chief of staff, disclosed that the number of active-duty soldiers has crept over the congressionally authorized maximum by 20,000 and now registered 500,000 as a result of stop-loss orders. Several lawmakers questioned the legality of exceeding the limit by so much.

» “Our goal is, we want to have units that are stabilized all the way down from the lowest squad up through the headquarters elements,” said Brig. Gen. Howard B. Bromberg, director of enlisted personnel management in the Army's Human Resources Command. “Stop-loss allows us to do that. When a unit deploys, it deploys, trains and does its missions with the same soldiers.”

» In a recent profile of an Army infantry battalion deployed in Kuwait and on its way to Iraq, the commander, Lt. Col. Karl Reed, told the Army Times he could have lost a quarter of his unit in the coming year had it not been for the stop-loss order. “And that means a new 25 percent,” Reed told the Army Times. “I would have had to train them and prepare them to go on the line. Given where we are, it will be a 24-hour combat operation; therefore it's very difficult to bring new folks in and integrate them.” »


L’intérêt de l’éditorial du journal new yorkais (diffusé également dans l’International Herald Tribune, qui a une clientèle très différente) est de deux ordres :

• D’une part, il décrit clairement, de façon tranchante, une réalité qui est d’évidence, mais qui continue à ne pas être prise en compte dans les analyses, les projections et les raisonnements des non-Américains, particulièrement des Européens. La toute-puissance militaire américaine, donc l’utilisation de la puissance militaire comme un instrument maniable par la diplomatie américaine, est un mythe complet. La seule réelle puissance absolue américaine pour l’instant est une extraordinaire capacité d’influence, paralysant la pensée de toute la communauté militaro-experte de l’Europe occidentale et la fixant sur quelques clichés grossiers.

• D’autre part, ce texte nous conduit à une réflexion encore plus intéressante, où le journal met en parallèle les capacités militaires réelles des USA avec leurs ambitions politiques d’hégémonie. Là aussi, il s’agit pour les Européens d’une démarche intellectuelle inédite, dont ils s’avèrent semble-t-il complètement incapables tant, pour eux, la puissance américaine ne s’accorde qu’avec la notion de “toute puissance” sans la moindre restriction. Nous intéresse moins, ici, l’idée que propose le New York Times de revenir à telle ou telle politique de “coopération” que l’affirmation sans ambages ni restriction que les USA n’ont absolument pas les moyens de mener une politique militaire globale dans l’état actuel de leurs forces (avec un budget militaire de $400 milliards). Il faut évidemment avoir à l’esprit que les USA sont aujourd’hui en train de s’épuiser dans une campagne menée dans un pays de 25 millions d’habitants, au niveau technologique et militaire arriéré, alors que l’ambition affirmée de certains dirigeants US était, il y a peu encore, de lancer en rapide succession plusieurs autres campagnes du même type pour arriver à une position d’hégémonie militaire absolue, et que ces projets étaient pris pour argent comptant.


«  ...the Bush administration is pushing America's peacetime armed forces toward their limits. Washington will not be able to sustain the mismatch between unrealistic White House ambitions and finite Pentagon means much longer without long-term damage to America's military strength. The only solution is for the Bush administration to return to foreign policy sanity, starting with a more cooperative, less vindictive approach to European allies who could help share America's military burdens.

» Most American strategists fear at least a temporary upsurge in attacks in Iraq as the troop rotations get under way and maneuvering to produce an interim Iraqi government intensifies. More than 100,000 American troops will be needed for many more months, unless the Bush administration starts wooing NATO allies instead of snubbing them. Eventually, the Iraqi recruits now being hurriedly trained may provide some relief. Yet there are doubts about their military competence and political reliability, and fears that if Washington is in too much of a hurry, it will succeed only in recreating Saddam Hussein's old security forces in new American-issued uniforms.

» Meanwhile, if a sudden crisis were to erupt in North Korea, Afghanistan or elsewhere, the Pentagon might be hard pressed to respond. For a time, it could make do by sending tired troops back into action, mobilizing reserves and borrowing forces from areas that are quiet but still volatile. Such expedients have severe long-term costs. The White House must recognize the damage its unilateralism is inflicting on the army and change course before the damage becomes harder to undo. »