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2563Qui ne connaît Justin Raimondo, sur la toile, sur l’internet ? Le rédacteur-en-chef de Antiwar.com, l’ancêtre de tous les sites dits anti-guerre à l’époque de son lancement et qu’on dirait antiSystème aujourd’hui, a écrit bien plus d’un millier de ses fameuses chroniques sur le site (une tous les 2-3 jours), – bien sûr, hors de tous ses autres écrits, articles, livres, conférences. A l’époque de sa prise de pouvoir sur l’internet, – sa véritable prise de pouvoir comme “le père de tous les sites antiSystème”, lors de la guerre du Kosovo de mars-juin 1999, – on l’identifiait avec hésitation : isolationniste, républicain et conservateur dissidents (on dira “paléoconservateurs”), extrême-droite furieusement antistatiste, etc., qu’importe ; pour découvrir qu’il était simplement de cette espèce qui réunit tous ces qualificatifs, typiquement américaine (nous nous gardons de dire “américaniste”) , du libertarien dont la lointaine référence est bien plus Jefferson qu’Hamilton (bien que Jefferson soit paraît-il l’idole des “progressistes” et Hamilton la référence soi-disant vertueuse des républicains totalement corrompus de l’establishment-Système de Washington).
... Pourquoi cette longue introduction, sinon pour une grande nouvelle : Justin proclame que “la guerre est finie” et que lui et les siens en sont les vainqueurs. Il s’agit de l’accord nucléaire sur l’Iran et du sort de cet accord, en septembre, devant le Congrès. Justin Raimondo est sûr qu’“ils” n’arriveront pas à réunir les deux tiers de voix nécessaires pour annuler un veto que le président mettra nécessairement à une motion s’opposant à l’accord nucléaire avec l’Iran, qui serait le plus que les républicains-Système, disons les républicains de l’AIPAC (totalement phagocytés par l’AIPAC de Netanyahou), avec quelques démocrates, réussiraient à faire passer à la majorité simple. C’est très possible jusqu’à proche d’être probable, – même s’il convient de ne pas écarter complètement la possibilité de l’échec d’Obama qui plongerait peut-être bien Washington dans une quasi-crise institutionnelle tant Obama engage son destin dans cet accord. Dans ce cas de la victoire d’Obama, dit Justin, ce sera la défaite de l’AIPAC, qui est finalement ce contre quoi lui-même mena sa guerre personnelle, et alors il ne s’agit de rien moins que «The Liberation of US Foreign Policy» (le 6 août 2015) : «Free at last! Free at last! Thank God almighty, we’re free at last!» Voici quelques extraits de ce très long texte qui résonne comme la proclamation d’une grande ambition conduite à son terme...
«The Iran deal is a turning point in US foreign policy, and its approval by Congress will represent a sea change in American politics: it will mark nothing less than a day of liberation which future generations might dub “VI Day” – victory over Israel day. [...]
»...The 9/11 attacks paved the way for America’s Thermidor. The crisis empowered the neoconservative coven embedded in the Bush White House and in the top echelons of the national security bureaucracy, which effectively pulled off a coup d’etat. As Bob Woodward reported in his book Plan of Attack: “[Then Secretary of State Colin] Powell felt Cheney and his allies – his chief aide, I. Lewis ‘Scooter’ Libby, Deputy Defense Secretary Paul D. Wolfowitz and Undersecretary of Defense for Policy Douglas J. Feith and what Powell called Feith’s ‘Gestapo’ office – had established what amounted to a separate government.”
»The signing of the Iran deal, and its probable approval by Congress – it doesn’t look like the War Party has the votes to overturn it – heralds the victory of the countercoup, i.e. the overthrow of the Lobby’s stranglehold and the eventual restoration of a pro-American foreign policy. This was evident in practically every line of President Obama’s recent speech at American University, and the text deserves closer examination than it has so far gotten. [...]
»Micah Zenko, writing over at the Council on Foreign Relations blog, takes a different tack: he descries Obama’s contention that it’s either a deal or war, averring that this posits that the Iranians, facing the collapse of the deal, will take the path of weaponizing their nuclear infrastructure and begin to develop a bomb. This assumes far too much, avers Zenko: it’s more likely they’ll adopt a stance of nuclear ambiguity, standing on the threshold of acquiring a bomb without provoking the West into attacking them.
»This argument leaves out one crucial factor: America’s War party, which has been trying to gin up a military conflict with Iran ever since the latter days of the George W. Bush administration. It also leaves out history: after all, the Iraqis never did have those “weapons of mass destruction,” and yet the US convinced the world (except a few dissidents, including yours truly) that Saddam was actively pursuing nukes, if he didn’t already have them secreted away under one of his palaces. Recognizing the degree of influence the Israelis and their lobby exercise over American politics, in the event the deal collapsed the Iranians would have every reason to resort to building a nuclear arsenal in self defense. We can’t predict what the Iranians will do, says Zenko: but surely, given our record, they will have more success in predicting our future actions. Zenko is wrong: Obama is right – it’s the deal, or war.
»The bottom line of all this is: if the deal goes through Congress unscathed, the Cheney coup will have been defeated. Our Israel-centric policy of fighting wars on Israel’s behalf will be over: the tail will no longer be wagging the dog. Once we defeat the Israeli-directed attempt to derail the deal in Congress we can safely go out into the streets declaiming: Free at last! Free at last! Thank God almighty, we’re free at last!»
Nous serions donc, comme on l’a vu, pour le temps présent assez de cet avis de Raimondo, qu’ils ne parviendront pas à une subversion corruptrice suffisante du Congrès pour vaincre le président et son veto, ceux du War Party et particulièrement l’AIPAC et l’extraordinairement-détesté Netanyahou (la détestation d’Obama pour Netanyahou, que Netanyahou lui rend bien, ce rapport psychologique étant l’un des très-grands faits de la politique extérieure US et des relations internationales en général). Par conséquent, la guerre est gagnée, Justin aurait eu raison, – mais pour lui, cela signifierait surtout : la guerre est finie. Nous croyons qu’il y a dans cette proclamation («Free at last! Free at last! Thank God almighty, we’re free at last!»), – c’est une hypothèse de conviction, – beaucoup de très-personnel. Raimondo a du interrompre plusieurs fois ses chroniques ces deux dernières années pour des traitements médicaux, et il ne nous étonnerait pas qu’il y ait derrière ces proclamations de victoire quelque tragédie personnelle en cours. Ainsi répétons-nous, le cœur un peu serré en espérant tout de même n’avoir pas raison pour la question personnelle, que c’est plus “la guerre est finie” que “la guerre est gagnée”.
Pour autant et pour notre compte, et parce que le commentaire politique exige d’aller au-delà de la prépondérance momentané d’un sentiment, nous considérerions cette analyse comme très-américaine, à une époque où la dissidence antiSystème US est entré dans une “zone de la guerre antiSystème” où elle tend à perdre la perception du caractère de globalité de la bataille antiSystème pour en rester à sa vision originelle marquée toute entière par la guerre contre l’Irak, le Moyen-Orient, et, comme ne cesse de le répéter Raimondo, l’emprisonnement extraordinaire de la politique US par l’AIPAC et toute cette bande. Cette dérive des antiSystème US s’est marquée, à notre sens, par le remarquable désintérêt d'Antiwar.com pour la crise ukrainienne d’une part, pour la crise des relations avec la Russie d’autre par et par conséquent. (On peut y ajouter un autre désintérêt, moins visible mais tout aussi significatif, pour la crise européenne et son épisode grec.) On dira que cela représente une vision américano-centrée de la situation du monde, mais ce n’est pourtant pas comme cela que nous voyons la chose, et nous dirions plutôt que ce l’est devenu : la concentration de l’intérêt d’Antiwar.com notamment pour les affaires du Moyen-Orient, jusque disons 2013 et le paroxysme de la crise syrienne d’août-septembre 2013 (avant que l’on passe à l’Ukraine en novembre 2013), faisait que ce site embrassait effectivement l’essentialité de la Grande Crise d’effondrement du Système.
Il faut d’ailleurs observer que cette tendance est celle d’une partie de l’establishment washingtonien, et dans ce cas d’Obama lui-même, qui se retrouve dans une position bien paradoxale. On a rarement lu chez Raimondo des lignes implicitement aussi élogieuses sur Obama, à propos du discours qu’a fait le président pour présenter son argumentation en faveur de l’accord nucléaire avec l'Iran. Décrivant ce discours, Raimondo accepte le parallèle que suggère Obama lui-même avec le plus grand discours de Kennedy, le 10 août 1963, lorsque le président d’alors présenta une vision entièrement nouvelle d’entente avec l’URSS pour supprimer le risque de guerre nucléaire, – leçon essentielle de la crise de Cuba d’octobre 1962, – et ouvrit une voie de grande coopération et de liquidation de la Guerre froide. (L’assassinat de Kennedy, – et ceci expliquant probablement cela, – interrompit cette nouvelle politique, complété par la liquidation, “en douceur” celle-là, de Krouchtchev d’octobre 1964. Certains pourraient craindre cette sorte de destin pour Obama, mais cela implique à notre sens le type d’organisation de l’opposition du War Party qui n’existe plus aujourd’hui, et le véritable obstacle déstabilisateur pour la direction des USA est plutôt, comme on l’a vu plus haut, à chercher du côté de l'hypothèse d’une défaite d’Obama au Congrès.)
Bien entendu, la grande différence avec Kennedy-1963, qui ne peut que séduire l’isolationniste Raimondo, se trouve dans l’orientation qu’ouvre le discours dans l’hypothèse de l’échec du Congrès, qui n’est rien moins que l’entérinement du retrait des USA de sa position dominante, ou de ce qu’il en reste, au Moyen-Orient. Kennedy n’envisageait pas un retrait US pour cette grande coopération avec l’URSS parce que les USA étaient au zénith de leur puissance, Obama l’envisage parce que les USA sont en déclin accéléré. Le résultat est qu’alors que Kennedy proposait un “condominium à deux” ‘avec l’URSS pour installer la paix dans le monde et liquider la Guerre froide, Obama envisage plutôt de passer la main à l’Iran pour rétablir la situation de désordre exceptionnel qui caractérise la région du Moyen-Orient aujourd’hui.
La chose est parfaitement explicitée par l’experte Sharmine Narwani, anciennement analyste et professeur au St Antony College de l’université d’Oxford et diplômée de haut grande en relations internationales de l’Université Columbia. Dans RT, le 5 août 2015, elle explique “pourquoi l’Empire a ‘cané’” (lors des négociations avec l’Iran).
«...The deal also frees up Iran to pursue its regional plans with less inhibitions. “What the president (Obama) and his aides do not talk about these days — for fear of further antagonizing lawmakers on Capitol Hill who have cast Iran as the ultimate enemy of the United States — are their grander ambitions for a deal they hope could open up relations with Tehran and be part of a transformation in the Middle East,” reads a post-Vienna article in the New York Times. US Secretary of State John Kerry, commenting after the deal, said: “I know that a Middle East that is on fire is going to be more manageable with this deal and opens more potential for us to be able to deal with those fires, whether it is Houthi in Yemen or ISIL in Syria and Iraq than no deal and the potential of another confrontation with Iran at the same time.”
»“The Iran agreement is a disaster for ISIS,” blares the headline from a post-agreement op-ed by EU foreign affairs chief Frederica Mogherini. She explains: “ISIS is spreading its vicious and apocalyptic ideology in the Middle East and beyond…An alliance of civilizations can be our most powerful weapon in the fight against terror…We need to restart political processes to end wars. We need to get all regional powers back to the negotiating table and stop the carnage. Cooperation between Iran, its neighbors and the whole international community could open unprecedented possibilities of peace for the region, starting from Syria, Yemen and Iraq.”
»Clearly, for Western leaders Iran is an essential component in any fight against ISIS and other like-minded terror groups. Just as clearly, they have realized that excluding Iran from the resolution of various regional conflicts is a non-starter. That is some significant back-tracking from earlier Western positions explicitly excluding Iran from a seat at the table on Mideast matters. And stay tuned for further policy revisions - once this train gets underway, it will indeed be "transformative."
»As for the Iran nuclear deal…except for some hotheads in Congress and the US media, most of the rest of the world has already moved on. As chief US negotiator and undersecretary for political affairs, Wendy Sherman said recently: “If we walk away, quite frankly we walk away alone.” The balance of power has shifted decisively in the Middle East. Washington wants out of the mess it helped create, and it can’t exit the region without Iran’s help. The agreement in Vienna was reached to facilitate this possibility. Iran is not inclined to reward the US for bad behavior, but will also likely not resist efforts to broker regional political settlements that make sense.
»It was not a weak Iran that came to the final negotiations in Vienna and it was not a crippled Iran that left that table. As New York Times columnist Thomas Friedman (for once) aptly observed: “It is stunning to me how well the Iranians, sitting alone on their side of the table, have played a weak hand against the United States, Russia, China, France, Germany and Britain on their side of the table. When the time comes, I’m hiring (Iran’s Supreme Leader) Ali Khamenei to sell my house.”
»Iran just exited UNSC Chapter 7 sanctions via diplomacy rather than war, and it's now focusing its skill-sets on unwinding conflict in the Middle East. If you're planning to challenge Empire anytime soon, make sure to get a copy of Iran's playbook. Nobody plays the long game better - and with more patience.»
En un sens, on, comprend bien comment, fondamentalement, les USA ont traité cette question du nucléaire iranien dans sa dernière phase, dans les 3-4 dernières années, – d’abord comme un problème intérieur aux USA, ou comment effectuer réellement un désengagement du Moyen-Orient. De ce point de vue, on comprend parfaitement l’image employée pour caractériser la position de l’isolationniste Raimondo, – beaucoup plus “la guerre est finie” que “la guerre est gagnée”, – et, au-delà, “la guerre ce n’est plus notre affaire”, position typique des isolationnistes ... A propos de cette position, on fera deux remarques essentiellement.
• La première est que, bien entendu, “la guerre n’est pas finie du tout”, y compris et surtout au Moyen-Orient, et il nous étonnerait bien que les Iraniens, à eux seuls, puissent y faire grand’chose. Il suffit pour comprendre cela, de décompter les fous qui restent en pleine activité, que ce soit Netanyahou, Erdogan, les Saoudiens, les divers conglomérats, corporate, PME, etc., qui pratiquent, pignons sur rue, l’activité lucrative du terrorisme en forme de tourbillon, ce qui garantit qu’on n’en voit jamais le terme. Même des gens comme les Français, complètement transformés en pseudo-résidents du Mordor local malgré leurs airs de notaires et de banquiers, semblent participer de façon très active à cette entreprise générale de déstabilisation. On lira avec l’ironie amère qui convient, comme une hypothèse descriptive des causes de la situation s’insérant parfaitement dans le schéma de la psychologie paroxystique qu’on observe, la dernière description de Thierry Meyssan de la situation de la zone, ou «Une folle ambition qui tourne à la guerre civile» (sur Voltaire.net, le 3 août 2015) où l’on trouve une explication, – il y en a sans doute d’autres, mais pourquoi pas celle-là ? – de l’incroyable évolution d’Alain Juppé qui a stupéfait même ses proches, et qui le met au même rang d’incontrôlabilité et d’hystérie paroxystique quoique dissimulée qu’un Erdogan : «[...C]ondamné pour corruption en France, il [Juppé] s’était exilé en Amérique en 2005 et avait donné des cours au Québec tout en suivant un stage au Pentagone. Converti au néo-conservatisme, il était revenu en France et avait été choisi par Nicolas Sarkozy comme ministre de la Défense, puis des Affaires étrangères.
»Rétrospectivement, le plan Juppé révèle les intentions françaises : il y est question de créer un Kurdistan en Irak et en Syrie selon la carte qui sera publiée deux ans plus tard par Robin Wright dans le New York Times et mise en œuvre conjointement par l’Émirat islamique, le Gouvernement régional du Kurdistan irakien et d’anciens collaborateurs de Saddam Hussein liés aux Frères musulmans. Le document, cosigné par Alain Juppé et son homologue turc Ahmet Davutoglu, ne laisse aucun doute : la France entendait se reconstituer un empire colonial en Syrie. En outre, elle avait des connexions au sein des mouvements terroristes islamistes et prévoyait la création de Daesh.»
• La seconde, dominant la première parce qu’elle constitue “la mère de toutes les explications”, est que, bien entendu, un retrait et une sorte de neo-isolationnisme des USA, si une telle évolution était effectivement possible et permise, ne réduiraient rien, n’empêcheraient en rien la Grande Crise de se poursuivre, et les USA seraient aussi vite rattrapés et touchés de plein fouet par elle, par telle voie (la question de l’émigration mexicaine par exemple, par exemple) ou telle autre (la guerre culturelle qui se développe et tend à briser les rares fils qui tiennent encore la fédération à peu près unie). Il existe effectivement dans une parie importante des antiSystème US, surtout des libertariens, une tendance à un repli qui correspond parfaitement à leurs vues doctrinales et qui peut tendre à affaiblir effectivement le front antiSystème. Mais cette volonté de repli ne peut rien contre l’extension de la crise... Malgré leur extraordinaire activisme, de Antiwar.com à Ron Paul, les libertariens n’ont pas encore compris la véritable dimension de la crise (de la grande Crise d’effondrement du Système). Peut-être est-il vrai que “la guerre est finie”, – celle-là ou une autre, qu’importe il n’en manque pas, – mais la crise non, certainement pas. Et elle est ainsi faite que nul ne peut échapper à son emprise.
Mis en ligne le 8 août 2015 à 15H27
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