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78215 mai 2010 — Il a été considérablement question des “special relationships” depuis que le duo Cameron-Clegg s’est installé à la tête du Royaume-Uni, il y a trois jours. Obama a illico presto téléphoné au nouveau Premier ministre, le jeune Cameron, pour lui dire tout le bien qu’il pense de lui, tout le bien qu’il pense des “relations spéciales“ et pour l’inviter à faire visite à Washington en juillet. En attendant, le nouveau secrétaire au Foreign Office, William Hague, a été happé par Hillary Clinton et convoqué à Washington, où il se trouvait hier.
Divers textes ont été publiés par rapport à cette question, en même temps que se formait l’équipe Cameron-Clegg du nouveau gouvernement britannique.
• Le 12 mai 2010, le Guardian publiait un texte décrivant l’intervention enthousiaste de Barack Obama devant la formation du nouveau gouvernement. La bureaucratie américaniste, toujours originale, a resservi à cette occasion l’expression déjà employée pour le soi-disant “redémarrage” des relations entre les USA et la Russie. «Barack Obama took the opportunity of David Cameron's arrival in Downing Street to press the reset button on US-UK relations, praising the prime minister and talking up historic ties between the two countries. Cameron was barely through the door of No 10 on Tuesday when he received a call from Obama congratulating him and telling him the US has “no closer friend and ally than the United Kingdom”. The president reiterated this today at a White House press conference with the Afghan president, Hamid Karzai.» L’article signalait que les USA aimeraient entretenir la nouvelle équipe de quatre sujets principalement : l’engagement UK en Afghanistan, ce que Washington perçoit comme l’éventuel désengagement UK de certains programmes de défense US (on pense au JSF), l’ampleur de la dette du gouvernement britannique et l’hostilité supposée des conservateurs pour l’UE.
• La visite du secrétaire au Foreign Office David Hague à Washington s’est passée hier le mieux du monde, en apparence. Un commentaire de Kim Singupta, dans The Independent du 15 mai 2010, met en évidence surtout les incertitudes de ces “relations spéciales”. «William Hague's visit to Washington comes at a time when clarification is required from both sides on pressing international issues. The "special relationship" may still exist but it is not entirely clear what it means and the direction it will take.» Sengupta souligne combien, notamment, l’évolution de la situation en Afghanistan pourrait conduire à des désaccords entre les deux alliés.
• Plusieurs textes mettent en évidence combien les “relations spéciales” entre USA et UK se sont détériorées ces dernières années, on dirait “objectivement”, par la simple mécanique des choses. Le Washington Post, par exemple, publie un tel texte le 12 mai 2010, où la sensation US est ainsi résumée : «But on this side of the Atlantic in particular, there is a growing belief that with Cameron as prime minister Britain must find its own way in the world – not exactly apart from the United States, but not always joined at the hip in what many complained became a junior partnership during the past decade.» AP, repris par Antiwar.com le même 12 mai 2010, aborde le même sujet, avec en plus l’actualité des positions de Cameron et de Clegg sur la question, qui est certainement d’un réel intérêt pour notre propos : «Solid, but not slavish. That's how Britain's new government sees the special relationship with the United States.»… Avec ceci comme résumé de ces positions : «The Conservatives and Liberal Democrats disagree deeply on their attitudes toward Europe and nuclear weapons, but they agree on one thing: they want to avoid the fate of former Prime Minister Tony Blair, who was labeled “Bush's poodle” after joining the unpopular war in Iraq. […] “David Cameron and I have always said we want a solid but not slavish relationship with the United States,” said new Foreign Secretary William Hague, adding that ties with Washington were of “huge importance”.»
Pour autant, l’analyse de départ est qu’il n’y a pas de changement spectaculaire à attendre, avec tout de même la réserve de la position des LibDems vis-à-vis d’Israël : »It's unlikely, however, that this will mean any significant loosening of ties or concrete policy shifts such as pulling out of Afghanistan in the near future. The Middle East peace process may lead to coalition frictions, with Clegg's party sharply critical of Israel.»
• Comme on l’a vu, l’expression favorite de l’équipe Cameron-Clegg, c’est que les relations USA-UK doivent être “solid, but not slavish”. Le terme empruntant à l’idée d’un Royaume-Uni qui serait lié comme un esclave aux USA fait frémir les partisans d’une restauration des “special relationships” vers la grande forme. C’est le cas de Nile Gardiner, du Daily Telegraph et grand’prêtre de la chose, qui recommande que cette tournure de phrase disparaisse du langage des nouveaux dirigeants britanniques. Elle déplaît à Washington, où l’on n’aime guère les observations qui porteraient quelque ombre sur la vertu inaltérable dont est recouverte le système de l’américanisme… Deux textes de Gardiner, les 12 mai 2010 et 13 mai 2010 dans le Daily Telegraph sont à consulter pour y retrouver l’habituelle argumentation de type thatchérien, avec ce qu’il faut d’hystérie et cette espèce d’affirmation presque orgueilleuse, presque comme une affirmation de puissance qu’il y aurait dans le fait de l’alignement complet et inconditionnel du Royaume-Uni sur les USA. Signalons tout de même une restriction : Gardiner conseille à la nouvelle équipe d’exiger le “retrait inconditionnel” du soutien des USA à l’Argentine dans l’affaire des Malouines.
@PAYANT Cette intense activité des Britanniques pro-US, notamment visible dans la grande activité de plume de Gardiner, montre que la question des relations UK-USA est à un point important, un tournant, un passage vital, etc. Il y a toute une construction de communication qui est faite autour des “mauvaises” relations entre US et UK ces dernières années, – ce qui est une analyse extrêmement contestable si l’on s’en tient aux faits. Les Britanniques ont accepté toutes les directives, les caprices, les incohérences et les sottises US depuis 9/11, de même que l’indifférence US depuis l’arrivée d’Obama, comme ils acceptent cette sorte de choses avec un peu plus de distance, depuis deux tiers de siècle. Simplement, la monumentale catastrophe que fut l’Irak, impliquant Blair directement, suivie de l’incohérence afghane qui va dans le même sens, puis de l’indifférence d’Obama, n’ont pas rendu les Britanniques particulièrement heureux.
Pour exalter un “renouveau” avec Cameron-Clegg (surtout Cameron), on construit donc une inimitié Obama-Brown, qui ne repose sur rien sinon que Brown est Brown et n’a jamais emporté l’enthousiasme des foules, et que Obama est également lui-même, c’est-à-dire assez indifférent à l’Europe. Pour le reste, Londres n’a jamais refusé un seul soldat aux USA et a toujours confirmé officiellement qu’il commandait le JSF, – pour s’attarder à quelques cas fameux. (On peut même rappeler que, si les relations entre Obama et Brown étaient inexistantes, celles d’Hillary Clinton et du secrétaire au Foreign Office travailliste Millibrand étaient si bonnes qu’elles frisaient la romance diplomatique et personnelle, alors que leurs domaines communs portaient justement sur l’essentiel de ce qui fait ces fameuses “special relationships”. Cela n’empêche donc pas de dresser un constat de coma avancé de ces relations pour la période Brown, et l’on comprend le sérieux qu’il faut accorder à ces diverses appréciations.)
D’une façon assez symbolique, et montrant par là combien nous ne dépendons que du système de la communication avec ses vibrations symboliques et vides de sens par rapport à la réalité des choses, une commission des Communes a déclaré que les “special relationships” étaient mortes. Gardiner s’en émeut et n’est pas loin de proposer qu’on brûle les hérétiques qui ont osé contresigner le document. Il faut bien s’agiter pour affirmer hautement que le cadavre respire encore.
Tout cela n’est que… – comment disent-ils ? Peanuts ? Bullshits ? La réalité est que les “special relationships” n’ont pas bougé, toujours caractérisées par l’alignement britannique et l’indifférence US, particulièrement Obama, – mais elles n’ont pas bougé, exactement comme rien de fondamental n’a bougé dans ce qu’on pourrait désigner comme la “politique générale” occidentaliste-américaniste durant les quatre ou cinq dernières années, – cette “politique générale“ comme frappée d’une complète paralysie, selon le principe “TINA” (“There Is No Alternative”). Une autre réalité est que tout le monde attend les réductions budgétaires inévitables du gouvernement britannique, qui peuvent effectivement affecter l’une ou l’autre entreprise US où les Britanniques sont engagés. (On pense au JSF, dont le sort est lié à celui des deux futurs porte-avions UK, dont le sort est incertain.) D’autre part, les situations budgétaires du Royaume-Uni et celle des USA, toutes les deux exécrables, n’ont pas rapproché les deux pays, car dans cette sorte de situation c’est plutôt du “chacun pour soi” ; pire, le langage sans ambages du président de la Banque d’Angleterre, affirmant que les USA (et d’autres) ne valent pas mieux que la Grèce ne sont pas faites pour attendrir les “special relationships”. Quant aux diverses politiques (Iran, Afghanistan), on a droit à quelques déclarations de solidarité qui n’engagent personne, tant nous vivons à ce rythme. Toutes ces politiques sont pour l’instant marquées par la paralysie la plus affligeante, celle qui est la marque de tous les pays du système occidentalistes-américanistes.
Autrement dit, la relance actuelle est de pure communication, avec un Obama touchant d’ingénuité, découvrant que l’Angleterre existe et que Cameron est un type absolument formidable. Pour l’instant, une seule chose compte pour les Américains : le maintien ferme des Britanniques en Afghanistan, où la situation continue à se dégrader, où l’offensive McChrystal se débat dans des querelles de clocher sans fin, où les talibans ont partout l’initiative. Tout le reste le cède, à Washington, à cette affaire afghane lorsqu’il s’agit des relations avec les Britanniques, et la crainte des USA est considérable qu’un changement de gouvernement et l’entrée des Libéraux Démocrates, hostile aux engagements extérieurs, dans ce gouvernement, déclenchent une mécanique de désengagement. C’est à cela que se résume, pour l’essentiel, l’offensive de communication de l’administration Obama.
Et maintenant, la réalité, – notamment britannique, car c’est des Britanniques que tout va dépendre, – mais pas seulement la réalité britannique, après tout. Lord Heseltine, ancien vice-Premier ministre conservateur, déclarait jeudi à propos du gouvernement Cameron-Clegg : « the inevitable public spending cuts would cause terrible strains between the two coalition parties and within them. We are living in a false dawn. The sun is shining. Let's enjoy it. It is not going to last very long... There is a rocky road ahead.» D’une certaine façon, la même chose pourrait être dite des relations entre les USA et le Royaume-Uni et la rencontre précipitée Hague-Clinton, qui relève de la pure tradition des relations USA-UK (surtout pour le retour au pouvoir d’un parti conservateur qui l’a quitté en 1997), n’est en rien une indication à ce propos et peut être également caractérisée par le commentaire d’Heseltine.
Dès hier, les premières contestations se faisaient entendre au sein de la coalition, chez des députés conservateurs, particulièrement sur la question européenne, mais également sur les questions institutionnelles où les LibDems veulent des modifications importantes. Quelles que soient les bonnes volontés entre eux deux de Cameron et de Clegg, voire leur éventuelle estime réciproque, les problèmes ne vont pas manquer entre ces deux familles politiques qui divergent traditionnellement sur nombre de sujets. Dans ce cas, l’arithmétique parlementaire est une faible indication du rapport des forces entre les deux. Les conservateurs sont engagés avec les libéraux démocrates selon une formule qui accorde beaucoup de poids aux seconds, cela mis en évidence par la position proche de l’alter ego de Cameron, de Nick Clegg. Ils savent que, dans une rupture de la coalition, les libéraux démocrates ont plus de solutions de rechange qu’eux-mêmes ; personne ne domine personne dans ce “hung Parliament” et, dans ce cas, la force d’appoint que sont les LibDems constitue la clef de toutes les combinaisons. (L’alternative de nouvelles élections anticipées est une plongée dans l’inconnu, chose dont les directions politiques impuissantes ont horreur par le temps qui courent.) En d’autres termes, l’équipe Cameron-Clegg est un véritable gouvernement de coalition, où tous les problèmes concerneront les deux formations, sans “domaine réservé”.
Deux questions essentielles, qui sont autant de crises et qu’on signalées plus haut dans leur aspect de communication essentiellement, vont devoir être traitées par ce gouvernement :
• La crise budgétaire et l’endettement du gouvernement, où le Royaume-Uni est dans une position catastrophique, équivalente à celle de la Grèce pour le moins. Cela signifie des réductions significatives des dépenses publiques, notamment dans le domaine de la défense. On sait que les tentations de “réalignement” britanniques sont grandes dans ce domaine, parce qu’il y a la recherche d’un partage des capacités, et que cette recherche se fait essentiellement vers la France. Les mêmes conditions budgétaires vont mettre à l’épreuve des engagements britanniques dans des projets US, – JSF en tête, – où l’on sait que le côté américaniste, lui-même en crise d’ailleurs, n’a guère dans ses habitudes de “partager”. Une tentative de rapprochement avec la France impliquerait nécessairement une crise des relations britanniques avec les USA, notamment à cause des liens existants dans ce domaine, alors que la poursuite des relations de sécurité actuelle avec les USA dans l’état actuel des choses est impossible en raison de la crise dans ce domaine chez les deux partenaires et la position habituelle des USA dans ce jeu, – supportable en temps “normal”, de plus en plus insupportable en temps de crise.
• Les engagements extérieurs, particulièrement en Afghanistan, naviguent entre la pression des capacités budgétaires en crise et l’impopularité considérables de ces engagements dans le public. Les dirigeants politiques sont d’autant plus sensibles à cette impopularité que leurs positions politiques sont peu assurées, – cela, très officiellement depuis les élections du 6 mai. Là encore, les engagements britanniques sont faits en fonction des engagements des USA, lesquels ne “partagent” pas plus leur stratégie que leurs programmes militaires de soi-disant coopération, et qui la “partagent” d’autant moins qu’ils sont eux-mêmes en crise.
L’équipe Cameron-Clegg n’est pas la solution à la crise fondamentale du Royaume-Uni, c’est l’entrée quasiment officielle du pouvoir politique britannique dans cette crise. Par “crise fondamentale”, nous entendons bien une crise systémique : d’une part la crise financière et ses conséquences, ou crise du système lui-même ; d’autre part, la crise née des années Blair et des engagements britanniques dans la politique aventuriste de l’administration Bush, crise britannique spécifique. Tout cela est à considérer dans une situation où la crise générale ne fait elle-même que s’aggraver, aussi bien en Europe qu’aux USA, et dans des domaines divers, y compris structurels. (La crise européenne, celle de l’euro, met en question la cohésion européenne, mais les tensions de cohésion interne des USA sont bien aussi fortes à cet égard.)
Ce à quoi nous assistons dans les “special relationships” avec cette prise de contact du nouveau gouvernement, est à cette image. Ce n’est pas la fin d’une “crise” qui n’a existé que dans l’imagination des équipes de communication mais l’entrée dans le vif du sujet, qui est une crise latente de ces relations depuis les folies blairistes et tout le désordre qui a suivi. Par ailleurs, il est impossible de séparer cette question, bien entendu, de la crise générale qui affecte tout le système occidentaliste-américaniste. Dans ce cadre, les réactions sont sans grande originalité : le repli sur soi, la défense prioritaire de ses intérêts propres, etc. Dans le cas des deux partenaires, on ne peut dire que cette situation et son évolution possible fassent augurer du meilleur pour les “special relationships”.
Dans le cas du nouveau gouvernement britannique, dans tous les cas de leurs deux dirigeants, la perspective est assez similaire. Un changement, une évolution dans les “special relationships” est peut-être, paradoxalement parce que par défaut, le seul point d’accord profond entre Cameron et Clegg. Dans des situations de tension où les directions politiques ne contrôlent plus grand’chose, ce constat porte de grands risques de soumettre ces relations à des tensions extrêmes puisqu’une attitude commune de fermeté des deux hommes constituerait un point de raccommodage d’une coalition menacée. Cela n’implique aucun plan, aucun dessein particulier, mais le simple constat de la dérive d’une crise qui dispose depuis longtemps de notre destin, et ne prend guère en considération ce que proposent les équipes politiques soi-disant détentrices du pouvoir. On dit simplement que ces fameuses “special relationships” sont finalement un terrain rêvé où, à un moment ou l’autre, l’insaisissable crise générale pourrait juger bon de s’exprimer. C’est vraiment le cas : les hommes politiques proposent de moins en moins, la crise dispose à sa guise de l’essentiel de notre destin.
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