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402Les Russes, ou, dans tous les cas, les experts et analystes russes, semblent avoir été marqués par l’interview au Wall Street Journal du vice-président US Joe Biden, selon ce qu’écrit Ellen Barry, du New York Times, de Moscou ce 2 août 2009. Leur réaction indique une mise en cause des éventuelles perspectives de détente que la présidence Obama leur avait laissé entrevoir.
Il y a d’abord la description des réactions officieuses du monde politique russe qui ont suivi l’interview de Biden au Wall Street Journal. Elles montrent l’installation, ou la réinstallation d’une extrême méfiance.
«After Vice President Joseph R. Biden Jr. gave an interview to The Wall Street Journal portraying Russia as a limping and humbled nation, many in Washington responded last week with a helpless shrug: There’s crazy Joe, they said, the guy who once told a wheelchair-bound state senator to stand up for a round of applause.
»But in Russia, they weren’t shrugging. Within hours, a top Kremlin aide had released a barbed statement comparing Mr. Biden to Dick Cheney. Commentators announced Mr. Biden’s emergence as Washington’s new “gray cardinal” — the figure who, from the shadows, makes all the decisions that matter. Others said Washington’s mask had been torn off, revealing Mr. Obama’s “reset” as at best insubstantial and at worst duplicitous.
»American officials spent several days trying to convince their Russian counterparts that Mr. Biden’s words were, for lack of a better label, a gaffe. Russia’s highest officials have kept silent on the matter, but their initial responses were skeptical. “Biden has said this in such a way that the whole world heard it,” said Alexei K. Pushkov, who is the anchor of the current events show “Post-Scriptum.” “And then there are secret, furtive calls in the night, dragging Russian officials from their supper. They want to say this is not true. But somehow everybody still thinks it is.”»
La conséquence de ces divers constats et rumeurs est le développement de théories à propos de la situation à l'intérieur du pouvoir aux USA, avec une thèse générale qui oppose le parti habituel US issu de la Guerre froide, hostile aux Russes, et un président Obama qui commence à être considéré comme une personnalité faible, incapable d’imposer sa volonté à l’establishment. Une autre hypothèse considérée est effectivement celle qui est mentionnée plus haut d’une duplication de la situation Bush-Cheney, avec Biden jouant le rôle de l’“éminence grise” anti-russe. Dans ce cas, Obama est plutôt considéré comme une “marionnette”.
«Mr. Biden has now supplied evidence for two plotlines — a deep rift within the administration, or a “sophisticated game,” said Andrei V. Ryabov, a political analyst at Moscow’s Carnegie Center. This ambiguity, he said, plays into the conviction of Mr. Putin and his team that real events take place far from view, among a handful of powerful individuals, and that public politics are “no more than puppetry, decoration in the theater.”
»“Nothing accidental can happen in this system,” Mr. Ryabov said. “Everything has a hidden meaning.” Even accidental words from officials are likely to be read closely; as a Russian proverb has it, “What a sober man has on his mind, a drunk puts on his tongue.”
»Mr. Pushkov was among those who put little credence in Mr. Obama’s overtures, and to him, Mr. Biden’s words offer a far more honest assessment of American policy. He says he reads in them a split in Washington between cold war heavyweights and a president too weak to bring them to heel.»
La conclusion de l’article est laissée à Dmitri K. Simes, du Nixon Center, un spécialiste des questions russes considéré en général comme plus réaliste vis-à-vis de la Russie que la fraction “guerre Froide” de l’establishment: «“At this point these were just words – unfortunate words, reckless words, but still, it was just words, not of the president but of the vice president,” said Dimitri K. Simes, the president of the Nixon Center. “The question is what is going to happen next.”»
Il est incontestable que l’intervention de Biden a créé une situation sérieuse au niveau de la perception entre Russes et Américains, et certainement à propos de ce qui est beaucoup plus un incident annexe qu’une démarche fondamentale. La tournée de Biden en Ukraine et Géorgie, dont les éléments cités dans l’article sont soigneusement sélectionnés dans le sens du durcissement US, ont montré au contraire des signes d'accommodement et de prudence du côté US. Cela est passé sous silence.
Si l’on tient cette interview comme une expression fondamentale de la politique US, – c’est-à-dire manœuvrer une Russie faible pour en obtenir le maximum de concessions, – certaines phrases de Biden sont d’une rare stupidité puisqu’il dévoile lui-même cette tactique en disant d’une part “les Russes sont faibles, nous allons profiter d’eux”, et d’autre part, “quand un pays est faible, il ne faut pas le lui faire savoir pour obtenir de lui le maximum en douceur”. (C’est ce qu’exprime Daniel Larison dans The American Conservative, lorsqu’il écrit le 25 juillet 2009: «Biden actually says in the same interview, “It is never smart to embarrass an individual or a country when they’re dealing with significant loss of face.” So at least Biden acknowledges that he is behaving stupidly, since he has made clear that he and this administration have every intention of embarrassing Russia on a regular basis.») Si Biden parle aussi stupidement, alors la théorie de l’interview arrosé et de la gaffe, dont il est par ailleurs extrêmement coutumier, est particulièrement crédible. (Que Biden pense vraiment cela et que la “gaffe” ait consisté à montrer ce qu’il pense vraiment, – ce qui est en général la définition d’une gaffe, – n’importe pas vraiment. On sait parfaitement ce que pense Biden, qui a toujours affiché ses opinions de “démocrate faucon” dans ce domaine. La seule chose qui compte est de savoir ce qu’est la politique US en la matière, où l’opinion d’Obama compte bien plus que celle de Biden, – et alors, quelle est l’opinion d’Obama.)
Qu’importe, la chose est faite et actée, le phénomène de la communication a fait son œuvre, le climat dégradé est installé. Comme dit Simes, on en jugera sur les événements à venir. On pourrait juger qu’un accrochage impliquant la Russie, ou une situation de crise temporaire, pas nécessairement avec les USA mais avec un “adversaire” proche des USA, serait peut-être une bonne chose. Elle éclaircirait les intentions et les positions des uns et des autres. Elle forcerait Obama à sortir de ce qui fut une réserve officieusement mal perçue à Moscou durant l’incident Biden; elle montrerait ses intentions d’établir une nouvelle politique avec la Russie ou bien elle montrerait son alignement sur les faucons, sa faiblesse supposée, et ainsi de suite; les Russes seraient alors conduits à tirer leurs conclusions. Il ne nous paraît pas impossible qu’effectivement un incident ou une crise annexe se déclare sur le front européen, avec l’un ou l’autre pays européen ami des USA, ou avec les USA par dossier interposé, dans les deux ou trois prochains mois. Déjà, le premier anniversaire de la crise/guerre de Géorgie, le 7 août, serait un signe de cela si l’un ou l’autre incident avait lieu; ou bien, l’absence d’incident, alors que les Russes disent en craindre effectivement, pourrait être également vue comme un signe.
Mis en ligne le 3 août 2009 à 08H11
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