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120818 janvier 2011 — Comme d’habitude, nous prenons un peu de retard, que nous baptisons “distance” pour faire plus élégant et certainement plus sérieux, pour saluer le 50ème anniversaire du discours du président Eisenhower sur le complexe militaro-industriel, ou CMI, ou encore “Complexe” pour les amis respectueux (au premier degré) ou ironique (au second degré, celui du divan du psychanalyste). Comme on ne l’ignore pas ces temps-ci, ce discours a été prononcé le 17 janvier 1961.
“Comme on ne l’ignore pas”, en effet, car cet anniversaire du discours a été partout célébré et salué d’une façon remarquable, comme nous le signalions hier. Signe, fort inhabituel pour un discours, que la matière dont il nous parle est complètement d’actualité. Dans cette analyse, nous allons prendre cet événement par un biais extrêmement précis, pour tenter de mieux comprendre ce phénomène (le “Complexe”) à la lumière des événements courants et présents, – et même, à la lumière d’un événement très précis, une simple déclaration qui n’a rien à voir avec la célébration de l’anniversaire.
Nous revenons sur une conférence de presse du 12 janvier de l’amiral Mullen, président du comité des chefs d’état-major. Parmi les sujets abordés, la puissance militaire de la Chine, dont le fameux avion de combat J-20. Divers sources ont cité l’intervention de l’amiral…
WarEye le 14 janvier 2011 : «…Mullen said: “About J -20, which is indeed very important, it appears to be a major capacity, but somehow I am not surprised. I have said many times, China is on a very high capacity and high-tech investment.”
»Mullen said he was clearly behind China’s military strength is not a large portion of the United States, China, the challenges of internal development, but he can not understand is why the development of China’s military technology toward the United States seems to have come. U.S. Joint Chiefs of Staff Mike Mullen said: “I have not been able to understand is why some of these capabilities in China, whether it is J-20, anti-satellite missile or anti-ship missiles, many capacity seems, especially against the United States and to, which is very important to establish military relations reasons.”»
WantChinaTimes.com (Taïwan), le 14 janvier 2011 : «“What I just have not been able to crack is why some of these capabilities, whether it's anti-satellite, whether it's anti-ship, many of these capabilities seem to be focused very specifically on the United States,” Mullen said. Consequently, Mullen said, the United States values its military exchanges with China, including Defense Secretary Robert Gates' recent trip to China, as it helps improve understanding between the two countries even if they do not share the same opinion on some issues.»
On relève peu, sinon pas du tout, dans ces rapports, le caractère extraordinaire de ces interrogations de l’amiral Mullen (“Pourquoi les Chinois s'arment-ils et semblent-ils s'armer contre les forces US ?”). Depuis 1949, avec des variations diverses dues essentiellement à des alliances tactiques du pouvoir politique US (Nixon en Chine en 1971), la structure militaire US, le Complexe, a toujours considéré la Chine comme un ennemi potentiel. Aujourd’hui, le caractère “potentiel” est de moins en moins théorique. Toutes les forces US, notamment navales et aériennes et fort impressionnantes, déployées dans le Pacifique occidental, en Mer de Chine, etc., le sont en fonction principalement d’un affrontement avec la Chine. Les USA arment ses alliés (Taïwan, le Japon surtout), essentiellement “contre une menace chinoise”. Les USA poursuivent régulièrement, depuis des décennies, des incursions “agressives” de surveillance de la Chine (l’affaire de l’avion-espion EP-3 Orion obligé de se poser en Chine en mars 2001). Il est risible de songer un instant au centième du dixième du même dispositif militaire chinois déployé contre les USA, dans les mêmes conditions, qui pourrait justifier cette constante pression des USA contre la Chine ; il est apocalyptique de songer à ce que serait la réaction US si un ou deux groupes chinois de porte-avions d’attaque croisaient, comme c’est souvent le cas en Mer de Chine de la part de l'U.S. Navy, à six cents kilomètres des côtes de la Californie (deux groupes d’attaque autour des porte-avions CVNA [Carrier Vessel Nuclear Attack] Mao Tsé-toung et Chou En-laï, de 100.000 tonnes chacun, avec 90 avions d’attaques J-20N [pour “navalisés”] à bord).
A cette lumière, l’étonnement de l’amiral Mullen est proprement stupéfiant. Mullen n’est pourtant pas le seul à exprimer de tels avis. Gates le fait aussi, comme Mullen sur un ton conciliant parce que les USA n’ont pas les moyens de faire autrement (voir le 11 janvier 2011). D’autres le font d’une manière beaucoup plus agressive, en dénonçant les projets d’hégémonie de la Chine, évidents pour eux dans le fait, pour la Chine, d’objecter contre la présence de la VIIème Flotte renforcée de la IIème au large des côtes chinoises. Un simple coup d’œil sur la géographie impliquée, les déploiements militaires comme on les a décrits, les budgets militaires respectifs, rendent également stupéfiantes de telles remarques.
L’explication qui vient à l’esprit de tout bon esprit anti-américaniste (et non pas “anti-américain”), c’est-à-dire de tout bon esprit d’“honnête homme” en ce début de siècle, c’est celui du cynisme, du mensonge, de la tromperie impudente, etc. Cela implique que l’on affirme que les USA savent parfaitement tout ce qui précède (qu’ils sont eux-mêmes les “agresseurs” potentiels, qu’ils font peser leur pression militaire sur la Chine, etc., mais le dissimulent par le mensonge cynique). Bien qu’“honnête homme” (espérons-le) et donc anti-américaniste, ce n’est en aucun cas notre explication. Nous préférons, et de beaucoup, l’explication de l’“inculpabilité” US ; en fait nous la tenons comme essentielle sinon exclusive.
Nous donnons ci-dessous un extrait de ce texte du 6 mai 2005, qui s’applique à notre avis à la situation USA-Chine et, surtout, à la déclaration de Mullen que nous tenons comme absolument sincère. (Comme on le lit ci-dessous, “sincérité” ne signifie pas “vérité”, mais parfaite bonne fois de celui qui est sincère.)
«L’essentiel à comprendre est qu’il ne s’agit pas, pour l’américanisme, d’écarter ou de discuter les critiques et les jugements selon lesquels un acte commis par une nation ou une communauté est mauvais, blâmable, condamnable, etc. (cela, c’est une recherche de relativisation d’une accusation historique: toutes les nations et communautés se livrent à cet exercice) ; il s’agit d’affirmer et de réaffirmer ad nauseam que l’Amérique est bien absolu et justice pure, et ne connaît par conséquent pas la notion de culpabilité. Il s’agit d’un caractère absolu puisqu’il s’agit d’une conformation formatrice d’une psychologie. Ce caractère conduit à interpréter de façon complètement différente, en noir et blanc, les mêmes actes selon qu’ils sont accomplis par l’Amérique ou par quelque chose qui n’est pas américain. Ce caractère est un “outil” pour fabriquer le jugement et nullement un moyen pour influencer le jugement. […]
»Cette fonction essentielle de la psychologie américaniste entraîne le reste, qui est par ailleurs conforté par une orientation religieuse taillée sur mesure : le jugement que la force américaine est nécessairement juste et représente nécessairement le droit ; le jugement que l’Amérique est, de par son inculpabilité, invulnérable et ne peut être vaincue par conséquent ; le jugement que l’Amérique est, complètement par nature (y compris par la géographie) et nullement par ambition, totalement différente du reste du monde. Ces jugements inhérents à la psychologie américaniste entraînent les travers fondamentaux du comportement américaniste : le désarroi profond et sans remède devant l’idée inconcevable de défaite (Vietnam, Irak aujourd’hui) ; l’incapacité également sans retour de s’adapter aux autres et de conduire victorieusement des conquêtes historiques ; l’incapacité évidente d’influencer les autres cultures (l’américanisation n’est pas une influence dans le sens historique, comme fut évidemment influente la culture romaine : c’est une tentative de destruction des autres cultures pour y mettre le fait américaniste à la place) ; et ainsi de suite. Les constats viennent naturellement, à la lumière de cette hypothèse.
»Tous ces caractères et ces jugements ont évidemment leur origine dans la formation du pays, qui est un artefact historique et non pas une nécessité historique ; qui se réfère à des principes (ceux des Lumières revus “à la lumière” particulière de cet artefact) perçus comme absolument vertueux et eux-mêmes marqués, selon l’interprétation américaniste, d’un caractère d’inculpabilité. Les circonstances historiques et géographiques (isolationnisme, puissance naturelle, etc.) n’ont fait que renforcer, peut-être décisivement, ce trait psychologique. La puissance virtualiste nourrie par la communication et par le conformisme (voir le phénomène de Group Think [virtualisme aussi]) constitue aujourd’hui un ciment d’une très grande force et fait penser que l’inculpabilité américaniste ne pourra que se renforcer. Attendre un changement aujourd’hui de l’Amérique, notamment sous des arguments aussi éculés que la globalisation et le développement des communications, est d’une niaiserie complète. C’est le contraire qui ne cesse de se renforcer.
»Il y a, aujourd’hui également, à cause des événements politiques que nous connaissons, des effets contraires très déstabilisants pour le système américaniste et une crise de la psychologie qui ne cesse de s’aggraver. Il y a, dans la confrontation de la fiction de l’inculpabilité avec la réalité, une tension inconsciente permanente entre l’inculpabilité et les accusations qui sont en permanence jetées à l’Amérique à cause de l’anti-américanisme que suscite sa politique. Il y a enfin, toujours à cause des circonstances politiques qui font croire aux américanistes à l’opportunité ultime, une allure de “lutte finale” entre la psychologie américaniste et la réalité historique du monde. Nous sommes arrivés à la phase paroxystique finale. Comme on dit, “ça passe ou ça casse”.
»Bien entendu, ce trait psychologique n’est pas également réparti ni, surtout, absolument imposé (au contraire de ce qu’il prétend être du point de vue du jugement qu’il avance). La matière humaine résiste ou rechigne. Il existe des “dissidents” en Amérique ; et l’on doit employer ce mot et non pas celui d’“opposants” parce qu’il s’agit d’individus ayant nécessairement rompu avec le système d’une manière radicale, par leur psychologie rétive qui fait qu’ils ont échappé à la conformation générale. Il est à la fois juste et nécessaire de nommer ceux qui appartiennent complètement au système des “Américanistes”, pour les différencier des “Américains” (terme plus général et historique qui englobe le tout et qui n’implique pas d’appréciation idéologique). Il est également juste et nécessaire d’observer que tout individu victime de l’américanisme peut, en théorie, en sortir s’il se révolte contre lui. Il ne nous semble pas qu’il y ait, à cet égard, d’emprisonnement sans retour.
»Il ressort de tout ce qui précède que les “Américains” en général sont d’abord des victimes d’un mécanisme dont la responsabilité reste à établir, et qui dépasse une nationalité, une circonstance particulière, pour se fixer sur ce qui s’avère être une force collective qui met en question le concept de la civilisation qu’elle prétend être. (Ce projet de civilisation n’est-il pas l’ultime ambition de la barbarie déguisée? Des textes, venus d’auteurs d’une qualité assez moyenne mais bien représentatifs du système, nous le font penser. Nous faisons précisément allusion à ce texte du colonel Ralph Peters qu’on trouve sur ce site, mis en ligne en 2002 et remis en ligne en 2003, Peters que nous avions rebaptisé “le Barbare jubilant”.)
»Bien entendu, l’hypothèse que nous avançons doit continuer à être explorée. Elle contient d’immenses questions, dont la principale, qui est au cœur de toute appréciation sur la psychologie, est le rapport entre l’organique, la matière, et l’artefact immatériel de la communication, voire l’aspect spirituel. Il s’agit de la question de savoir si l’action générale de ce qui doit être identifié comme un système socio-politique (cette notion d’inculpabilité), et qui est d’essence psychologique finalement, laisse une trace au niveau organique chez les individus. L’extraordinaire puissance de la cohésion américaine observée jusqu’ici suscite de telles questions. Aujourd’hui, cette extraordinaire puissance devient une extraordinaire faiblesse, à mesure des revers que connaît le système dans son imprudente confrontation avec le monde et avec l’Histoire par conséquent. Cela explique que la plus grande chance de “victoire” contre lui est dans l’exploitation contre lui-même de sa propre action, devenue auto-destructrice.»
Depuis qu’auteurs, commentateurs, “moralistes” à la noix, etc., nous rebattent les oreilles avec cette crainte-panique de la “fin de l’innocence” américaine, heureusement sauvée de la chute dans le précipice des abysses infernaux par l’American Dream !... (Depuis les sorcières de Salem, depuis la Boston Tea Party, depuis la marche de Sherman en Géorgie en 1864, depuis le krach de Wall Street, depuis Autant en emporte le vent, depuis Pearl Harbor, depuis Hiroshima, depuis la mort suspecte de Marilyn, depuis l’assassinat de(s) Kennedy, depuis My-Laï et le Vietnam, depuis le Watergate, depuis 9/11, depuis, depuis…) Cette “fin de l’innocence” n’a pas eu lieu, elle n’aura jamais lieu sinon par la mort définitive par implosion des USA, parce que l’“innocence américaine” n’est pas “négociable”, – parce que l’“innocence américaine” constitue le fait psychologique le plus épouvantable et le plus pervers de l’histoire de la fin de notre civilisation. Les Américains américanistes auront beau faire tout ce qu’ils feront et voudront, ils resteront innocents ; de cette même façon et pour les mêmes raisons, jusqu’à faire penser qu’il s’agit de la même chose, le Progrès de la modernité aura beau engendrer tout ce qu’il engendre d’horreurs, de monstruosités, de sacrilèges du monde, de la Tradition et de l’âme bafouée, il restera le Progrès de la modernité dans son inaltérable vertu aussi forte que l’“innocence” comme au premier jour. Ainsi soit-il…
Pour nous, la discussion sur la stratégie de la chose est close ; l’affaire est entendue et la bataille en cours est celle de l’anéantissement (de l’“innocence américaine”, de l’American Dream, de la modernité). Nous laissons les nuances aux BHL du domaine.
Maintenant, mesurons nos propos, moderato cantabile, pour avancer dans notre analyse après en avoir indiqué le cadre impératif. Lorsque nous publiâmes ce texte sur l’“inculpabilité” américaine, ou plutôt l’“inculpabilité” américaniste, nous songions nécessairement à une psychologie humaine. Implicitement, nous suggérions que la psychologie américaniste était différente en soi, du reste des psychologies humaines, d’une façon fondamentale… D’un côté, il y aurait eu la psychologie américaniste avec cette “inculpabilité” (et aussi l’indéfectibilité, de la même famille, sorte de sous-produit ou de produit annexe disons) ; de l’autre, il y aurait la psychologie du reste, avec des nuances diverses et parfois significatives, mais rien qui ressemblât à ce changement de nature qu’implique l’absence a priori de culpabilité et de défaillance caractérisant l’américanisme. Notre conclusion était plutôt implicite qu’explicite et, surtout, elle n’était en aucune façon conçue comme absolument définie. En quelque sorte, l’hypothèse restait à devoir être développée et complétée, et si la pente semblait aller vers le seul aspect humain, elle n’était nullement achevée ni assurée.
Aujourd’hui, près de six ans plus tard, cette “inculpabilité” si parfaitement illustrée par le propos de l’amiral Mullen nous semble beaucoup moins d’origine humaine que d’origine systémique. Cette évolution correspond bien entendu à notre propre évolution concernant l’appréciation structurelle du phénomène de l’américanisme et, au-delà, du phénomène de la modernité, tel que le révèle la crise terminale que nous sommes en train de vivre. Nous pensons que la puissance des divers systèmes (en général anthropotechniques, et le plus souvent de la catégorie anthropotechnocratique) qui se sont organisés au sein du “Système-en-soi”, essentiellement aux USA, sont devenus d’une puissance telle que l’hypothèse de leur influence sur la psychologie humaine par leur propre psychologie est devenue particulièrement cohérente, particulièrement insistante, particulièrement entêtante, – sinon impérative au bout du compte... Nous ne voulons pas dire par là qu’il y a eu évolution, que cette influence s’est imposée ces dernières années alors qu’elle n’aurait pas existé auparavant ; nous voulons dire par là que ces dernières années, particulièrement depuis 2005-2006, ont montré effectivement que l’“inculpabilité”, comme la psychologie américaniste en général, était issue de l’organisation systémique (en système), bien plus que d’être une particularité humaine spécifique et avoir été cela, d’une façon organisée et cohérente, à son origine.
Dans ce cas hypothétique, le Pentagone occupe une place évidemment centrale dans le domaine exploré. C’est la raison pour laquelle nous parlons des années 2005-2006 comme période de la “révélation” que c’est l’influence systémique qui détermine l’“inculpabilité” de la psychologie américaniste, et non une source ou une évolution humaine originelle. C’est à partir de ces années que les revers de la machine militaire US, donc du Pentagone et du Complexe, ont pris une allure particulièrement catastrophique, – et cela, autant du point de vue opérationnel (Irak, Afghanistan) que de point de vue de la gestion budgétaire, technologique et bureaucratique (JSF et le reste). Pourtant, rien dans le fonctionnement du Système n’a changé, malgré les inquiétudes de plus en plus affirmées de nombreuses voix et de divers jugements d’experts, y compris parmi les plus acquis au Système, et les plus corrompus par lui, tel un Loren B. Thompson. Au reste, l’exemple le plus remarquable à cet égard est celui d’un homme du Système, comme fut Donald Rumsfeld, avec son discours fameux du 10 septembre 2001, débouchant le lendemain sur le piège de l’engagement dans la guerre contre la Terreur, avec sa propre responsabilité ou sa complicité de comploteur éventuel, qui marqua simplement la fin de tout espoir de la réforme qu’il affirmait essentielle pour sauver le Système…
Ces hypothèses posent plus que jamais la question de la véritable nature des grands systèmes accouchés par la modernité et, d’une façon plus précise, par ce que nous désignons comme le “déchaînement de la matière” (voir la thèse de l’essai La grâce de l’Histoire). Le Complexe, et le Pentagone en son cœur, est l’un des cas les plus fascinants de cette énigme générale de l’organisation de la dynamique de déstructuration de la civilisation à l’œuvre au cœur de notre grande crise eschatologique terminale. La dimension d’“inculpabilité” que ces systèmes instillent dans cette partie de la psychologie humaine qu’ils tiennent à leur service et à leur merci implique effectivement un déchaînement de cette dynamique de déstructuration en toute impunité, sans le frein souvent décisifs des jugements moraux et de la mesure critique des dévastations causées qu’impliquerait une psychologie non asservie.
On sait qu’un auteur comme James Carroll a évoqué d’une façon imprécise mais puissante des hypothèses radicales sur la nature du Pentagone. (Voir notamment son livre The House of War, que nous évoquons et dont il parle le 20 juillet 2007.) L’intérêt de Carroll est qu’il réunit dans sa carrière et dans ses réflexions par conséquent des orientations non seulement différentes mais qui semblent n’avoir aucun rapport direct entre elles, alors qu’on ne peut comprendre l’énigme du Pentagone (du Complexe, c’est-à-dire de la modernité, du système du technologisme, etc.) si on ne fait pas appel à ces différentes approches… (Carroll, fils d’un général de l’USAF qui fut le fondateur de la DIA [service de renseignement du Pentagone], activiste pacifiste lui-même, historien et spécialiste des questions stratégiques, commentateur des questions militaires, théologien ayant fait des études de séminariste avant de renoncer à la prêtrise.)
Dans son livre, effectivement, Carroll tend à faire du Pentagone, dont la création est entouré de symboles extraordinaires (le premier coup de pioche de la construction qui allait devenir le Pentagone fut donné le 11 septembre 1941, 60 ans avant, heure pour heure…), une entité vivante et quasiment autonome dont les hommes sont dépendants bien plus qu’ils ne l’organisent et ne l’orientent, et voient par conséquent leur responsabilité réduite à mesure. On ressent bien cela lorsque Carroll se trouve dans les foules pacifistes des années 1960 qui marchent vers le Pentagone en demandant, d’une façon en apparence logique, qu’on pende tous les généraux, et lui-même songeant que son père est là, dans le bâtiment, un de ces généraux qu’on veut pendre, et ne lui trouvant aucune responsabilité ni vice irrémédiable qui justifient la pendaison.
Nous avons déjà évoqué les fondations du Complexe et ses diverses dimensions mystiques, idéologiques et autres. On sait qu’il s’agit d’une entreprise fondée sur le système du technologisme, sur le “déchaînement de la matière”, avec une forte assise mystique et mythique, – selon les conceptions américanistes, cela va sans dire, aussi bien fondées sur l’“idéal de puissance”, sur le suprématisme anglo-saxon (éventuellement “aryen”), sur la mystique de l’aéronautique (le Wild Blue Yonder). La dimension militaire n’est venue que par surcroît, pour donner le moyen quantitatif décisif à l’entreprise, et installer des liens de vassalité entre le gouvernement fédéral et le Complexe devenu le Pentagone en tant qu’entité (vassalité du gouvernement par rapport au Complexe). Cette entreprise purement américaniste a intégré l’aspect religieux originel de l’américanisme, sa pureté rigide et son innocence persécutée dans l’Europe corrompue, dans une entreprise de puissance fondée sur le technologisme. Notre hypothèse est qu’une psychologie spécifique s’est ainsi organisée, qui existait déjà d’une façon fractionnée selon les entreprises et les lieux, et qui est devenue la marque de la puissance américaniste. Effectivement, cette psychologie est marquée par l’inculpabilité, et cette notion est imposée dans ce cas de la politique de puissance des USA (dite “politique de sécurité nationale”) par l’entité que constitue le Pentagone/le Complexe aux sapiens qui le servent puis, d’une façon plus générale, à tous les aspects de cette politique de puissance américaniste.
Ainsi, toutes les entreprises de puissance de l’américanisme sont effectivement marquées du sceau de l’“innocence” que la matière elle-même impose aux âmes, même dans ses entreprises les plus délirantes et les plus meurtrières. Le Pentagone n’est pas une “machine à tuer” selon l’expression classique mais “une machine à tuer innocemment”, – et encore préférions-nous la définition d’“une machine à déstructurer innocemment” tant l’acte décrit est ainsi mieux situé dans sa dimension maléfique et catastrophique extraordinaire. C’est l’entreprise moderniste par excellence, où la matière a pris le dessus sur l’âme en investissant la psychologie jusqu’à créer la sienne propre, la mystification par excellence… La seule bonne nouvelle, – Happy Birthday, – c’est bien que la chose paraît un peu à bout de souffle, et avoir des difficultés à trouver son second souffle, jusqu’à ne plus se trouver très loin d’un “coming crash” (du Pentagone). Elle n’a pas réussi à transformer ses artefacts mythiques et mystiques fondateurs en une métaphysique acceptable, et les âmes des pauvres sapiens, de plus en plus en position conflictuelle avec leurs raisons perverties, peinent d’une façon de plus en plus significative.
Bon anniversaire, Moby Dick…
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