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2 février 2005 — Les élections (on parle de l’Irak) ont eu lieu et tant de choses sont dites à leur propos, choses définitives, choses habiles et choses incongrues. Depuis trois jours, nous parcourons la presse, nous écoutons des avis, parfois nous donnons le nôtre. Il nous semble que nul, jusqu’ici, n’a mieux saisi l’essence de cet événement, — c’est-à-dire le replaçant dans son contexte et lui donnant ses vraies dimensions humaines et politiques (dans le sens le plus large et le plus digne de ces deux mots, qui n’est pas celui dont on use habituellement) — que cet Américain qui a une tribune de commentaire au Boston Globe. C’est l’éditorialiste et chroniqueur John Carroll.
Son texte est aisément accessible puisqu’il est repris aujourd’hui dans l’International Herald Tribune. Voici une partie de ce texte que nous estimons très significative de l’esprit de ce jugement de bon sens et de compassion qui le caractérise si profondément.
« Iraq is a train wreck. The man who caused it is not in trouble. On Wednesday night [2 February] he will give his State of the Union speech, and the Washington establishment will applaud him. Tens of thousands of Iraqis are dead. More than 1,400 Americans are dead. An Arab nation is humiliated. Islamic hatred of the West is ignited. The American military is emasculated. Lies define the foreign policy of the United States. On all sides of Operation Iraqi Freedom, there is wreckage. In the center, there are the dead, the maimed, the displaced — those who will be the ghosts of this war for the rest of their days. All for what?
» Like a boy in a bubble, George W. Bush will tell the world it was for “freedom.” He will claim the Iraqi election as a stamp of legitimacy for his policy, and many people will affirm it as such. Even critics of the war will mute their objections in response to the image of millions of Iraqis going to polling places, as if that act undoes the Bush catastrophe.
» There is only one way in which Washington's grand claims for the weekend voting will be true — if the elections empower an Iraqi government that moves quickly to repudiate Washington. The only meaning “freedom” can have in Iraq right now is freedom from the U.S. occupation, which is the ground of disorder. But such an outcome of the elections is not likely. »
Gardez précieusement quelques mots et l’une et l’autre phrases de cet extrait et sachez que tout est dit. Mettez ces mots et ces phrases à la place de ce raz-de-marée, ce tsunami, cette diarrhée nauséabonde de phrases déclamatoires et pompeuses sur “une leçon de démocratie”, sur “des millions d’Irakiens ont bravé par les urnes la menace terroriste” (certains devineront que nous citons), — toutes ces conneries écrites par ces gens de plume qui ont fait de la servilité l’essence de leur conception de la dignité, et de l’aveuglement la source intellectuelle de la lumière qui nous éclaire.
Ces mots de John Carroll sont:
• « All for what? »: oui, “tout ça pour quoi?”, — ce carnage, ces souffrances, ces destructions, ces mensonges et ces détournements de la vérité, cette agression du corps et cette corruption de l’esprit, — oui, tout ça pour quoi? Nul n’est capable de répondre droitement, hors les vaticinations entendues sur le pétrole, sur les armes de destruction massives et bidon, sur le grand mêchant loup terroriste, sur la démocratie du monde et toutes ces sornettes. Il n’y a pas de réponse de bon sens, ce qui se passe en Irak depuis le printemps 2003 est pur phénomène de chaos et de barbarie, sans explication…
• Ah si, peut-être, sans doute, certainement: GW, « [l]ike a boy in a bubble ». Effectivement, si le besoin de raison de l’esprit veut une réponse à la question (“tout ça pour quoi?”), ce sera celle-là: lui, qui livre aujourd’hui au monde extasié son discours sur l’état de l’Union, lui “comme un gosse dans sa bulle” et rien d’autre. Voilà la réponse. Voilà où en est ce monde de sérieux, de puissance et d’ambition, si dur aux miséreux, si insolent dans ses affirmations de vertu, si vaniteux avec ses tirades sur la démocratie, si confit comme une dame patronnesse dans ses certitudes civilisatrices. Nous sommes, dans nos commentaires mensongers et injustes à la gloire de cette démocratie que nous déshonorons chaque jour, également comme des enfants, comme si … « if that act [the election] undoes the Bush catastrophe »
• Alors, ces élections, la démocratie, notre satisfaction, notre (à peine) discret acte d’allégeance à Bush qui a “gagné son pari” (à nouveau citation), et toutes ces salades douteuses? Tout revient aux “fondamentaux” comme on dit, et il n’y en a qu’un: « The only meaning “freedom” can have in Iraq right now is freedom from the U.S. occupation, which is the ground of disorder. » Tout est dit.
• Ainsi terminerons-nous ce jeu des citations par ce dernier emprunt à Carroll, qui est sa propre conclusion, qui est, comme l’auteur, notre façon de saluer le 43ème président des Etats-Unis faisant ce soir son discours sur l’état de l’Union: « Bush is like the man who caused the wreck, and like the man who was protected from it. Deranged. Detached. Alive and well in the bubble he calls “freedom,” receiving applause. »
Notre post-scriptum sera pour dire notre bonheur, pour l’équité des choses et marquer combien notre combat n’est pas fondé sur une vindicte passionnelle et une haine pathologique, mais un combat marqué par le sens que nous avons de l’humanité — pour dire notre bonheur que l’homme qui a écrit tout cela soit un Américain, un citoyen de la Grande République.