Pourquoi les USA ne veulent pas d’un Iran nucléaire

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Pourquoi les USA ne veulent pas d’un Iran nucléaire

L’excellent chroniqueur Glenn Greenwald, spécialisé dans l’enquête médiatique pour mettre à jour la réalité des comportements du bloc BAO, particulièrement des USA, s’attache au problème des causes de l’hostilité US à la perspective tout à fait hypothétique d’un Iran puissance nucléaire. Il met en évidence plusieurs déclarations et affirmations récentes, qui toutes convergent vers un seul argument : les élites de la direction politico-militaires US ne veulent pas d’un Iran qui puisse dissuader les USA de l’attaquer, ce qui serait le cas avec la possession d’une arme nucléaire. Greenwald cite des déclarations récentes du sénateur Lindsay Graham, l’un des membres du trio ultra-belliciste du Sénat (Graham, Lieberman, McCain). Il cite également un article de Richard Cohen, dans le Washington Post de ce 2 octobre 2012, citant lui-même avec l’accent d’une surprenante surprise le président iranien Ahmadinejad ridiculisant l’argument évidemment ridicule selon lequel l’Iran veut acquérir au moins une bombe nucléaire pour attaquer Israël (200-300 bombes nucléaires) et les USA (5.000 armes nucléaires). (Ahmadinejad : «Let's even imagine that we have an atomic weapon, a nuclear weapon. What would we do with it? What intelligent person would fight 5,000 American bombs with one bomb?»)

Voici le passage sur l’intervention de Graham, dans l’article de Greenwald du 2 octobre 2012. (Greenwald est récemment passé de Salon.com au Guardian, acquérant ainsi une audience internationale considérable. Tous ses articles témoignent d’une intense popularité de ses écrits, avec des commentaires de lecteurs se comptant par centaines et dépassant parfois le millier, pour chaque article.)

«…No rational person takes seriously the claim that Iran, even if it did obtain a nuclear weapon, would commit instant and guaranteed national suicide by using it to attack a nation that has a huge nuclear stockpile, which happens to include both the US and Israel. One can locate nothing in the actions of Iran's regime that even suggests irrationality on that level, let alone suicidal impulses.

»That Iran will use its nuclear weapons against the US and Israel is rather obviously the centerpiece of the fear-mongering campaign against Tehran, to build popular support for threats to launch an aggressive attack in order to prevent them from acquiring that weapon. So what, then, is the real reason that so many people in both the US and Israeli governments are so desperate to stop Iranian proliferation? Every now and then, they reveal the real reason: Iranian nuclear weapons would prevent the US from attacking Iran at will, and that is what is intolerable. The latest person to unwittingly reveal the real reason for viewing an Iranian nuclear capacity as unacceptable was GOP Senator Lindsey Graham, one of the US's most reliable and bloodthirsty warmongers.

»On Monday, Graham spoke in North Augusta, South Carolina, and was asked about the way in which sanctions were harming ordinary Iranians. Ayman Hossam Fadel was present and recorded the exchange. Answering that question, Graham praised President Obama for threatening Iran with war over nuclear weapons, decreed that “the Iranian people should be willing to suffer now for a better future,” and then – invoking the trite neocon script that is hauled out whenever new wars are being justified – analogized Iranian nukes to Hitler in the 1930s. But in the middle of his answer, he explained the real reason Iranian nuclear weapons should be feared:

»“They have two goals: one, regime survival. The best way for the regime surviving, in their mind, is having a nuclear weapon, because when you have a nuclear weapon, nobody attacks you.”

»Graham added that the second regime goal is “influence”, that “people listen to you” when you have a nuclear weapon. In other words, we cannot let Iran acquire nuclear weapons because if they get them, we can no longer attack them when we want to and can no longer bully them in their own region. Graham's answer is consistent with what various American policy elites have said over the years about America's enemies generally and Iran specifically: the true threat of nuclear proliferation is that it can deter American aggression…»

Greenwald continue avec d’autres citations, à commencer par certaines citations de Rumsfeld en 2002, qui vont toutes dans le même sens. Il s’agit évidemment d’empêcher l’Iran de disposer éventuellement d’une arme qui le mette à l’abri d’une attaque de la part de pays qui jugeraient justifiée une telle attaque, – c’est-à-dire, les USA en premier et quasi-exclusivement, eux seuls s’étant institués excellents juges de la nécessité éventuelle de punir ou non certains autres pays, de les réduire à une volonté extérieure pour influer sur leur politique, etc. Il y a d’ailleurs une certaine cohérence dans la filiation de la pensée stratégique et coercitive des USA, depuis la mise en place du traité de non-prolifération des armes nucléaires. Ce traité a immédiatement été considéré par divers pays voulant ou étant sur le point d’acquérir des armes nucléaires comme un moyen éventuel de les ralentir sur la voie du nucléaire, ou de leur barrer cette voie. Parmi les premiers signataires du traité, en 1968, on trouvait les USA, l’URSS et le Royaume-Uni (le Royaume-Uni comptant pour une force subsidiaire des USA), soit les puissances nucléaires qui tenaient à elles seules l’équilibre dissuasif de la guerre froide ; mais la France et la Chine, deux puissance nucléaires en devenir au moment de l’élaboration du traité, ne le signèrent qu’en 1992, après qu’il eut été acté d’une façon solennelle et indiscutable que ces deux pays avaient un statut nucléaire, en même temps que ces deux adhésions verrouillaient le statut des seules puissances nucléaires officiellement reconnues comme telles des cinq membres permanents du Conseil de Sécurité.

Bien entendu, on comprend combien cette logique, qui pouvait être jugée comme acceptable et même équitable pour maintenir l’“équilibre de la terreur” au moment de la guerre froide, est aujourd’hui complètement déséquilibrée et déstructurée. Les USA ont montré à plusieurs reprises que rien ne les empêchait d’attaquer unilatéralement et soi-disant préventivement n’importe quel pays, s’ils jugeaient de leur intérêt de le faire, et eux-mêmes considérant que leurs intérêts coïncident en réalité avec l'intérêt de la vertu générale de la “communauté internationale”. Aucune puissance nucléaire ne s’est interposée, ou n’a pesé réellement, dans ce domaine de la dissuasion, contre ces intentions et ces actes. L’URSS devenue Russie s’est totalement défaussée de ce rôle qu’elle tenait peu ou prou durant la guerre froide, de fournir de facto une certaine garantie de dissuasion nucléaire à d’autres pays (comme les USA le faisaient et le font toujours de leur côté, pour leurs divers “États-vassaux”). Ni la France, ni le Royaume-Uni, ni la Chine n’ont tenu réellement ce rôle de protecteur d’autres pays par l'idée implicite de la dissuasion élargie.

Cette seule situation du système de la guerre froide, où la non-prolifération pouvant être largement justifiée, passée à la situation post-guerre froide où la non-prolifération devient beaucoup plus suspecte, notamment à cause de la politique agressive des USA, explique la position théorique de l’Iran telle qu’elle est interprétée par certains, et les intentions que certains prêtent à l’Iran de développer une arme nucléaire. On sait que cette position et ces intentions ne sont d’ailleurs nullement confirmées par l’Iran, l’argument théologique contre l’arme nucléaire pesant très fortement, sinon exclusivement d’un certain point de vue, sur la position de la direction iranienne, fortement religieuse, vis-à-vis du nucléaire militaire. Le paradoxe de la politique US, telle qu’elle se découvre épisodiquement, et telle que Greenwald la met en évidence dans son analyse, est qu’elle pourrait finalement convaincre l’Iran de choisir la voie du nucléaire militaire, et qu’elle pourrait d’autant plus convaincre l’Iran que les pressions agressives (embargo, sanctions, etc.) exercées contre ce pays sont fortes. En effet, plus les USA renforcent leur politique de sanctions et de “punition préventive”, plus ils mettent en évidence leur volonté d’empêcher l’Iran d’acquérir du nucléaire militaire et plus ils renforcent le soupçon qu’ils veulent ainsi se réserver la possibilité d’attaquer l’Iran ou de faire pression sur lui sans trop de risques… Une politique maximaliste de sanctions et d’embargo devient ainsi une incitation maximaliste à l’égard des Iraniens dans le sens de l’acquisition d’une arme nucléaire. Tout cela n’est pas nouveau dans le cadre de la politique d’agression et de pression systématique des USA depuis 9/11, mais l’intensité devient considérable aujourd’hui alors que les moyens et le statut des USA ne cessent de se dégrader. Le déséquilibre ainsi créé et régulièrement accentué devient de plus en plus dramatique, et il met d’autant plus en évidence, non pas tant le danger qu’un Iran devienne nucléaire, mais le danger que représentent les USA nucléaires face aux pays représentant une certaine puissance et qui ne sont pas nucléaires.

D’autre part, et pour clore cette démarche où la rationalité de la dissuasion et de la non-prolifération nucléaires rencontre diverses situations d’irrationalité, voire d’irresponsabilité complète (ou d’“infraresponsabilité”, certes), on observera que l’idée même de la dissuasion est mise en cause par les USA eux-mêmes, lorsqu’ils lancent des attaques déstabilisatrices, pour l’instant cantonnées à des domaines encore marginaux, contre la Russie qui est la puissance nucléaire qu'on sait. Les diverses interventions selon le concept d’“agression douce” sont une autre façon de mettre en question ce qui reste d’équilibre de la dissuasion nucléaire. De tous les côtés qu’on se tourne, c’est pour découvrir qu’il n’existe aujourd’hui qu’une seule puissance dont la politique est entièrement déstabilisatrice, et, par conséquent, déstructurante et dissolvante, et que ce sont les USA. C’est aussi la première puissance nucléaire du monde.


Mis en ligne le 3 octobre 2012 à 13H02