Pourquoi n’ont-ils pas écrit cet article en 2001? Ou bien en 1991?

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Les Américains, ou disons les citoyens américanistes, sont gens surprenants. Ils suscitent, poursuivent, accélèrent avec enthousiasme et sans le moindre frein ni scrupule une politique qu'ils savent pertinemment être déstabilisante, pour soudain s’apercevoir lorsqu’une réaction sérieuse et évidemment prévisible est déclenchée par elle, tout ce qu’ils ont à perdre avec elle. Cela fait donc huit ans, – non, mieux, ou pire, – cela fait 16 ou 17 ans qu’ils poursuivent la même politique de pression et d’investissement d’influence, de propagande et d’actions de subversion dont les “révolutions de couleur” sont les meilleurs exemples, contre la Russie. Et puis, aujourd’hui, ou plutôt hier dans cet article de l’International Herald Tribune, ils découvrent tout ce que ce brutal antagonisme avec la Russie va leur coûter. Mais qui t’a fait roi? Qui a conduit la politique, de bout en bout et de A jusqu’à Z, avec l’aide d’un clown alcoolique (Eltsine) au passage, et de l’habituelle servilité arrogante des Européens tout du long, jusqu’à aboutir à l’affaire géorgienne et la brusque tension avec la Russie? (Lisez Pfaff, cela suffit pour répondre.)

La perspective n’est pas des plus joyeuses. Partant de l’exemple servi tout chaud du président Assad Junior de Syrie en visite à Moscou ces deux derniers jours pour préparer quelques marchés d’armement, l’article poursuit:

«The list of ways a more hostile Russia could cause problems for the United States extends far beyond Syria and the mountains of Georgia. In addition to increased arms sales to other anti-American states like Iran and Venezuela, policymakers and specialists here envision a freeze in cooperation on counterterrorism and nuclear nonproliferation, manipulation of oil and natural gas supplies, pressure against U.S. military bases in Central Asia and the collapse of efforts to extend Cold War-era arms-control treaties.

»“It's Iran, it's the UN,” said Angela Stent, who served as the top Russia officer at the U.S. government's National Intelligence Council until 2006 and now directs Russian studies at Georgetown University. “It's all the counterterrorism and counternarcotics programs, Syria, Venezuela, Hamas – there are any number of issues over which they can be less cooperative than they've been. And of course, energy.”

»Michael McFaul, a Stanford University professor and the chief Russia adviser for Senator Barack Obama, the presumptive Democratic presidential nominee, said, “The potential is big because at the end of the day, they are the hegemon in that region and we are not and that's a fact.” McFaul said Russia appeared intent on trying to “disrupt the international order” and had the capacity to succeed.»

La liste avec tous les détails est absolument impressionnante, des domaines où les USA ont besoin de la Russie, où ils vont se trouver dans le plus grand embarras si la Russie fait obstruction. «…Washington's menu of options pales by comparison with Moscow’s. Masha Lipman, an analyst at the Carnegie Moscow Center, said, “There's a lot more” that the United States needs from Russia than the other way around, citing efforts to secure old Soviet nuclear arms, support the war effort in Afghanistan and force Iran and North Korea to give up nuclear programs. “Hence Russia has all the leverage,” she said.»

Nous avons donc, en guise de conclusion, cette remarque de la professeur Angela Stent, qui dirige les études sur la Russie à Georgetown University et qui fut jusqu’en 2006 au National Intelligence Council, organisme officiel d’évaluation qui rassemble des experts indépendants pour conseiller le gouvernement US: «Ironically, since the collapse of the Soviet Union, there's always been the concern about Russia becoming a spoiler, […] and now we could see the realization of that.»

Est-ce bien une “ironie”? Ne faudrait-il pas trouver un autre nom? Voilà enfin qu’on vous dit qu’on sait bien depuis le départ ce qu’on risque dans l’affaire, et que cet article de 2008 aurait pu être écrit en 1991 ou en 2001. Voilà qu’on vous dit que l’on sait bien depuis le départ que la Russie, si elle se rebiffe, peut devenir un sacré empêcheur de danser en rond, et l’on suit de bout en bout une politique dont il ne faut pas être grand clerc pour deviner qu’elle conduira la Russie, à un moment ou à un autre, à se rebiffer. Et tout cela pour quoi? Pour cette politique dont Pfaff dit justement et furieusement: «But who in Washington is promoting this strategy of hostile military and political encirclement of Russia? What conceivable interest of the West does this serve? It is a senseless policy, apparently meant to intimidate Russia, but why? For the sake of perpetuating international tension so as to strengthen the forces that with Cheney and Bush have been promoting constitutionally unaccountable executive rule in the United States?»

Il est bien difficile de résister à l’hypothèse du système que nous privilégions. La politique russe des USA est, depuis 1991, une politique systémique, conduite par la dynamique aveugle d’un système préoccupé par le seul empilement de la puissance, avec tous les avantages immédiats qui semblent en découler, sans la moindre préoccupation des effets évidents. Cette politique de système a été alimentée, exploitée, utilisée, favorisée, c’est selon, par les lobbies idéologiques, les financiers de Wall Street, l’industrie d’armement, les bureaucraties diverses et ainsi de suite. L’irresponsabilité est sa marque absolue, son aveuglement est à la mesure de son indifférence pour les réalités du monde. Cette politique fonce comme un buffle, tête baissée. Tout juste y a-t-il quelques commentateurs qui observent la chose, prennent des notes et ne songent surtout pas à en dire trop, pour pouvoir dire, lorsque le buffle percute un arbre qu’il n’avait évidemment pas vu: “Euh, vous savez, comme nous déboulions dans une forêt sans regarder, il était prévisible qu’un jour ou l’autre nous entrerions en collision avec un arbre”.


Mis en ligne le 22 août 2008 à 13H39