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1531Rien ni personne ne pourra infléchir la trajectoire implacable de notre hyper-Titanic. Le paquebot est trop lourd, trop grand, impossible à manœuvrer sur une courte distance et glisse trop vite sur l’arête d’un iceberg écologique qui déchire déjà son flanc. De surcroît, aveuglée par les prouesses du monstre qu’elle croit encore contrôler, sa capitainerie n’en finit plus de pousser les moteurs à fond en hurlant si fort «Progrès ! Progrès !», qu’elle parvient à couvrir le vacarme de l’eau s’engouffrant dans les brèches béantes. Seule une panne totale des moteurs pourrait encore éviter le naufrage.
C’est que la feuille de route choisie par les élites du Système est tragiquement simple. Postulat de base : il est hors de question de réduire la voilure d’un vaisseau conçu dans l’illusion d’une croissance infinie dans un monde pourtant fini. Solution : les nouvelles technologies sont la seule option pour réparer les dégâts provoqués par les précédentes.
Fameux pari s’il en est, où se joue la survie même de l’espèce. Non pas que les individus censés présider à nos destinées soient particulièrement fous, déviants ou mal-intentionnés mais, simplement, ils sont les premiers adeptes hallucinés d’une idéologie qui a réussi à berner tout le monde, à commencer par eux-mêmes, et qui a accouché d’un monstre aujourd’hui aussi autonome qu’indomptable.
Avertissement : Pour les lignes qui suivent, nous avons puisé nombre d'arguments chez divers auteurs auxquels nous rendons d’emblée hommage pour éviter de fréquentes références, méritées mais typographiquement pénibles. Il s’agit pour l’essentiel de La condition inhumaine d’Ollivier Dyens; du Paradoxe du Sapiens, de Jean-Paul Baquiast, de L’homme unidimentionnel, de Herbert Marcuse, ou encore de la Politique de l’oxymore, de Bertrand Méheust.
Le modèle proposé par la démocratie libérale prétend offrir à l’ensemble des peuples de notre petite planète le niveau de vie, et donc de consommation, du standard occidental d’aujourd’hui. Une simple mise en parallèle des besoins que nécessiterait la réalisation de cet objectif avec les ressources réellement disponibles suffit à le définir comme insensé, intenable.
C’est pourtant le principal mythe fondateur de notre Système, et son principal slogan à l’exportation.
La mécanique de la démocratie libérale repose en effet sur l’idéologie consumériste, qui place l’individu au cœur du système, avec pour fonction première de consommer et de consommer encore pour garantir cette croissance éternelle seule à même d’assurer la pérennité du modèle.
Ce faisant, ce système impose un déchaînement de la matière permanent, un pillage constant des ressources, une surenchère ininterrompue dans la production pour assurer le gavage de ses ouailles.
Ce n’est pas un hasard si aucune démocratie libérale ne peut se prévaloir d’une empreinte écologique avouable.
Concrètement, le Système fonctionne aujourd’hui sur le mode de la saturation, de l’hyper-stimulation pour susciter un désir permanent, obsessionnel de consommer. La passion de la possession n’est plus contenue, elle est encouragée à l’extrême. Elle est même devenue le sens premier de la vie pour beaucoup d’individus (parce-que je le vaux bien)…
Or en tant qu’acte fondamentalement dénué de sens, il en va de la possession des objets comme de la sexualité sur internet : elle ne peut que susciter des désirs, toujours davantage de désirs, sans jamais pouvoir les assouvir. C’est la multiplication sans fin du désir et de son impossibilité.
Le consommateur est donc maintenu en quelque sorte en état d’érotisation permanente face à un acte d’achat qui ne le satisfait jamais, condamné qu’il est dès lors à combler cette absence de sens, de véritable jouissance, par d’acquisition de nouvelles possessions (voir l’hystérie suscitée par l’arrivée de l’Iphone 5 à l’heure où nous écrivons ces lignes). C’est un peu le schéma de l’addiction aux drogues avec une phase d’excitation voire d'exaltation à l’approche de la prise (achat), qui procure un bref plateau de satisfaction (plaisir de la découverte du produit) immédiatement suivi d’une lente phase de dépression (habitude puis désintérêt, renaissance du désir).
Le déchaînement de la matière ainsi imposé par le consumérisme exerce donc une pression dite “de confort” de plus en plus insoutenable pour la biosphère, entraînant l’épuisement accéléré des ressources et le saccage du vivant.
Il faut créer de la richesse, croître, produire toujours davantage pour alimenter la mécanique du Système et gaver le conso-citoyen de choses en plastique à l’obsolescence programmée, d’objets technologiques rapidement démodés.
La voracité du Système a aujourd’hui bel et bien de quoi “épuiser l’univers”.
Et puis il faut aussi considérer les dégâts provoqués par les immenses masses de déjections générées par ce processus. Des ordures dont le Système organise un recyclage minimum pour son “image”, sa narrative, mais dont l’essentiel, l’incommensurable masse est silencieusement déversée dans les pays en voie de développement ou dans les abysses des océans, formant autant de bombes à retardement écologiques.
Enfin, il faut encore considérer la manipulation du vivant au vu de son appropriation. Pour le Système, la gratuité du vivant est en effet une aberration de la nature qu’il convient de corriger. Alors, abandonnant un principe de précaution anachronique, on fouille, on dissèque, on manipule les ADN de tout ce qui passe pour y coller un brevet et faire du profit, toujours du profit, avec des résultats (déjà) et des perspectives effrayantes pour l’écosystème.
En soixante ans, le capitalisme et son dernier avatar, le système néolibéral, ont donc ainsi orchestré un meurtre systématique de l’environnement (*) d’une telle ampleur que beaucoup de spécialistes doutent de la possibilité d’un retour en arrière.
Structurellement incapable de s’engager dans un processus de décroissance qui aurait, seul, une chance de faire légèrement dévier notre Hyper-Titanic, le Système s’emploie dès lors à calmer l’angoisse de ses conso-citoyens grâce à une armée de scientifiques grassement payés pour minimiser, voire à démentir l’état d’urgence auquel nous sommes parvenus écologiquement parlant.
Parallèlement, il s’est approprié les slogans écologiques pour se poser en sauveur du désastre dont il est la matrice et l’artisan appliqué, provoquant une confusion efficacement paralysante desdits conso-citoyens (Grenelle de l’environnement, Sommets sur le climat, campagne pédagogie à 2 balles en faveur de l’environnement sur Cartoon TV etc… etc…). Aujourd’hui, même les pubs de l’industrie pétrolière ressemblent à des campagnes de collecte de fonds de Greenpeace.
Prisonniers de leur quotidien, psychologiquement minés par le brouillage des messages, les conso-citoyens abdiquent alors devant cet apaisant mensonge qui leur murmure que le Système prend la question au sérieux, qu’il est le seul à pouvoir réparer les dégâts et qu’à la fin, on trouvera bien le moyen de s’en sortir, de colmater la brèche.
Les derniers pécheurs s’émeuvent bien de savoir que les poissons du Rhône sont désormais impropre à la consommation ; chacun s’inquiète de savoir qu’un tiers des terres émergées sont menacées de désertification ; que les calottes glaciaires fondent à un rythme effarant ; que les abeilles sont en train de mourir ; que plus du quart des espèces animales auront disparu à plus ou moins brève échéance.
Mais on ne s’inquiète plus que confusément.
Et puis, on s’inquiète surtout de savoir quand sortira la nouvelle version du dernier MacdoPhone.
Ce qui nous amène tout naturellement au deuxième constat.
On l’a bien compris, le Système ne peut envisager la décroissance des pays les plus riches – qui permettrait par exemple aux pays les plus pauvres d’approcher du standard sans augmentation exponentielle des dégâts sur l’environnement–, car ce serait tout simplement trahir sa principale promesse de campagne.
La panacée pour le Système, c’est donc toujours davantage de technologie, l’hyper-technologie, la fuite en avant vers la complexité (**).
Mais le progrès comme solution unique implique l’abdication du politique.
C’est un moyen supplémentaire de transférer les derniers résidus de pouvoir qui subsistent chez les politiques vers la machine-Système, vers le Marché, devenu le réel mais insaisissable centre de pouvoir de notre monde marchandisé.
Le degré de maîtrise formidable de l’outil technologique auquel est parvenu le Système nourrit en effet l’illusion d’une maîtrise des choses, d’une maîtrise des risques et d’une capacité d’infléchir le cours des évènements par toujours davantage de technologies.
Sauf que, là encore, le Système ne fait qu’entretenir une illusion apaisante.
Car même une transition réussie vers des énergies non polluantes, par exemple, prendrait des décennies que nous n’avons plus, et ne résoudrait de toute façon en rien les ravages provoqués par l’hyper-consommation de notre vertueux modèle en termes d’épuisement des ressources et de saccage du vivant.
La technologie comme solution n’est qu’un slogan.
En revanche, insidieusement, l’invasion des technologies du quotidien détache de plus en plus les individus de la nature*, ce qui permet sans doute de leur faire accepter plus sereinement son recul progressif de nos vies.
On pourrait même dire que le monde technologique célébré par la démocratie libérale nous permet de faire peu à peu le deuil de l’ancien monde, le monde biologique. Et cela même si la disparition du monde biologique implique fatalement la nôtre. Ce n’est que l’une des contradictions du Système, contradiction facilement résolue par le déni.
Les productions de science-fiction hollywoodiennes sont à cet égard un miroir intéressant des utopies du Système avec, par exemple, la vision récurrente d’un monde hyper-technologique qui a totalement remplacé une nature confinée sous serres pour de simples besoins nutritionnels.
Dans les faits, la civilisation technologique est tout simplement en train d’absorber l’humanité en nous, de la pénétrer, de la modifier, de transformer la nature de ses perceptions, sa façon de «se» penser.
Elle crée une distance, un gouffre, entre l’humain et le réel.
«Je constate qu’il pleut, alors je prends mon parapluie.»
Cet exemple de décision volontaire est devenu impossible à un système complexe comme celui qui nous gouverne.
Les échecs qui ont ponctué absolument tous les Sommets organisés sur le climat en fournissent une preuve indiscutable.
Comment est-il possible, se dit-on naïvement, que la gravité de la crise climatique (il pleut), empêche les décideurs de prendre des mesures concrètes (un parapluie). C’est le Paradoxe du Sapiens.
C’est que tous les Systèmes complexes qui combinent humain et technologie sont mus par des forces qui échappent au contrôle des individus qui les composent, même de ceux qui les ont créés. Dans ces systèmes dits anthropotechniques, l’humain ne peut plus être distingué de l’outil. L’humain et l’outil forment une nouvelle entité avec sa propre détermination, ses logiques propres.
Autrement dit, un système complexe fonctionne de manière quasi autonome car, ayant été conçu pour performer, il est dès l’origine pensé et placé en compétition darwinienne permanente avec son environnement. Tout système complexe n’a ainsi qu’un seul objectif : survivre et prospérer. Dans ce super-organisme, la «nature» humaine est une composante parmi d’autres, et son pouvoir de décision devient très relatif.
Mettez José Bové à la tête de Monsanto et, à la fin de l’année, Bové aura été digéré ou rejeté comme un improbable greffon par le Conseil d’administration de la multinationale, et Monsanto aura multiplié ses profits.
On objectera qu’un tel système luttant pour sa survie devrait alors nécessairement éviter de poursuivre dans une voie qui le voue à sa perte à moyen-terme. Sauf que le moyen terme n’existe plus dans la «psychologie» du système.
Notre modernité, et à plus forte raison celle du Marché qui gouverne, ne se pense que dans l’immédiateté (cours de l’action à la cloche ; chiffres du mois ; bonus).
Le Système ne peut plus penser l’avenir..
L’iceberg qui déchire la coque de son flanc n’a pas encore touché son cœur, il a donc le temps de faire encore quelques profits pour devancer la concurrence. Dans une société figée dans le présent absolu et l’obsession de la satisfaction immédiate de ses envies, les quelques décennies qui nous séparent du naufrage sont une éternité qui suffit à faire du danger à venir une totale abstraction.
Quand l’eau sera montée jusqu’à recouvrir notre bouche, pensent nos chers CEO, on respirera par le nez et il sera toujours temps de prendre des mesures car la concurrence devra alors faire de même.
La machine néo-libérale est désormais insensible à la logique, aux faits, à l’argument, à l’argument «humain» en particulier. En ce sens, le fantasme de la domination de la machine sur l’homme, habituellement confiné aux récits de science-fiction, est bel et bien une réalité tangible, mesurable, monstrueuse de notre modernité.
Le Système, en tant que machine, commande son évolution.
Une preuve de ce mécanisme a été fournie lors de la crise des subprimes de 2008. Le Système a opéré un véritable hold-up sur les contribuables, avec la complicité unanime de tout l’appareil politique qui lui est soumis, sans rien chercher à régler des problèmes structurels qui l’avait conduit au bord de l’abîme. Se promettant donc à lui-même de nouveaux éclatement toujours plus spectaculaires, mais plus tard.
Dans l’immédiateté du raisonnement que lui impose sa nature, le contrat était donc rempli puisque la menace d’effondrement était écartée de l’instant présent.
En résumé, même face à la perspective de sa ruine totale, le système néolibéral n’est pas en mesure de se réformer, prisonnier qu’il est de ses déterminismes.
L’affirmation peut paraître excessive, elle ne l’est pas.
Selon Francis Fukuyama, la démocratie libérale doit ainsi marquer la fin de l’Histoire, chacun étant occupé à faire des affaires plutôt que la guerre. Ambition d’apparence inoffensive, voire vertueuse, mais qui renferme pourtant une réalité effrayante en pronostiquant l’avènement d’un Système unique qui a dévoré tous les autres, réduit toute opposition, annihilé toute alternative. Une «grande société unique» ayant incorporé, digéré toutes les autres ; un hyper-monde en somme, gouverné par un Système unique, une idéologie unique, une pensée unique.
Ce qui correspond en tout point à la définition du totalitarisme.
Et c’est uniquement le jugement de valeur implicitement contenu dans le pronostic de Fukuyama – à savoir que la démocratie libérale serait bonne et vertueuse pour l’humanité – qui annihile l’effroi que l’avènement de ce totalitarisme devrait naturellement susciter en nous.
Or ce jugement de valeur est faux.
La démocratie libérale, aujourd’hui irrémédiablement placée sous la dictature des marchés, est un Système violent, qui soutient son expansion par la violence, qui réduit ses opposants par la violence, et dont l’essence totalitaire ne peut, au fur et à mesure que grandira sa domination, que conduire à une forme élaborée de dictature. L’avènement de la société libérale interdit en effet l’alternative. Les divergences de pures formes, qui opposent ce que l’on nomme les «sensibilités politiques», se discutent à l’intérieur du statuquo qu’elle impose. C’est à cela que se réduit l’opposition. Dans une société qui prétend pourvoir de manière satisfaisante aux besoins du plus grand nombre, l’opposition n’a en effet plus aucune raison d’être, elle est même une menace pour la collectivité.
Les plus grands auteurs d’anticipation, d’Orwell à Philipp K. Dick surtout (ce génie), ont été les premiers à avoir eu l’intuition que la part sombre, la part cachée et inavouable du projet capitaliste (***) (devenu néolibéral) finirait par dominer le monde de demain, une fois l’effort de séduction rendu inutile par la victoire globale.
Or les signes de ce grand retournement à venir sont déjà là.
A l’extérieur de ses frontières, on constate ainsi que la démocratie libérale n’hésite jamais à porter le fer dans les régimes et les ensembles territoriaux ou idéologiques qui lui résistent. Passons sur une guerre froide durant laquelle la défense du projet capitaliste a nécessité le déploiement d’une violence inouïe. Nous pourrions cyniquement accepter que c’était «de bonne guerre».
Sauf qu’après la chute de l’URSS, le sang n’a jamais cessé de couler «pour la bonne cause».
La tentative d’incorporation du Moyen-Orient, entamé avec la première guerre du Golfe, puis relancée sous couvert de guerre contre le terrorisme, a ainsi impliqué le meurtre de plus d’un million et demi de personnes déjà, et la dévastation totale de plusieurs pays.
Actuellement, la guerre sous-traitée en Syrie par le Bloc occidental est le dernier exemple en date de la poursuite d’une expansion du Système par le fer et le feu, expansion exercée au demeurant avec le soutien uniforme de médias de masse désormais totalement incorporés, digérés par le Système.
A l’intérieur de sa sphère d’influence, on a également pu constater la brutalité du Système vis-à-vis des manifestants du mouvement des Indignés en Espagne par exemple, ou les méthodes quasi staliniennes déployées vis-à-vis d’un Julian Assange dès l’instant où il est apparu comme une menace pour la stabilité du Système.
Une police de la pensée s’installe parallèlement de manière toujours plus invasive dans nos démocraties libérales, imposant la doxa du Système grâce au contrôle exercé par le plus formidable ensemble d’outils de propagande de tous les temps.
Des instruments de contrôle d’internet sont en train d’être mis en place (p.ex. lois Acta, Sopa, Pipa, et consorts…), non pas pour en éjecter les déjections culturelles qui y pullulent (comme par exemple la pornographie la plus extrême que le Système tolère voire encourage puisqu’elle fait partie de ces «libertés» destinées à distraire le conso-citoyens), mais bien en tant qu’instrument de contrôle de la Toile.
Comme n’importe quel Etat, comme n’importe quel Système, la démocratie libérale est un monstre froid qui écrase pour se propager, qui finira par écraser même ses adeptes pour persévérer dans son être.
Tous les Systèmes complexes ont en effet une tendance naturelle à l’emballement, à aller au bout de leur logique. Et une fois les oppositions annihilées, une fois le triomphe global réalisé, une fois l’en-dehors incorporé, l’agressivité du Système ne pourra que se retourner contre son espace intérieur. Il s’agira en effet pour lui de prévenir la perversion de son «être» et l’éclatement, qui représenteront alors l’ultime menace à réduire.
A terme, la liberté humaine sera donc contrainte d’abdiquer à l’échelle individuelle face à la toute-puissance du Système, comme elle l’a déjà fait à l’échelle politique.
Si l’on fait l’impasse sur les meurtres de masse qui lui ont permis de prospérer et sur son essence totalitaire, il est incontestable que grâce à son insouciance criminelle, à son inculpabilité, le Système capitaliste, devenu néolibéral, a réussi à créer une bulle de justice et de prospérité inégalée dans l’histoire de l’humanité. Il serait également stupide d’en nier les conquêtes et les acquis remarquables aux niveaux social ou médical notamment. Même un banlieusard français peut se prévaloir aujourd’hui d’un confort dont n’aurait jamais osé rêver Louis XIV.
Mais en même temps, la construction de cette bulle a provoqué le saccage de la biosphère et de tout l’éco-système de notre planète en quelques décennies, au point de menacer l’humanité d’une ruine totale.
Ce Système a fait de nous de vulgaires traders du monde vivant, capables de dévaster jusqu’aux abysses des océans pour s’assurer des bonus confortables, pour pouvoir aller en avion grignoter des tapas à Barcelone pour le prix d’une place de ciné.
La dette ainsi léguée aux générations futures est si énorme, si gigantesque qu’il faudra sans doute des siècles pour la rembourser, si tant est qu’elle puisse l’être un jour.
A l’heure où nous écrivons ces lignes, la machine-Système est plus que jamais emballée sur elle-même, plus que jamais en phase d’expansion de son modèle mortifère, et rien ne semble pouvoir l’arrêter.
A moyen terme, de nouvelles grandes guerres vont sans aucun doute opposer les acteurs de cette triste farce pour capter les dernières ressources disponibles, tirant ainsi définitivement la chasse sur l’utopie ridicule de Fukuyama.
Mais à la fin, rien n’empêchera notre paquebot de s’écraser définitivement contre l’iceberg écologique et de couler corps et biens.
Sauf si…
Sauf si, comme nous le disions en préambule, une panne totale des moteurs vient stopper la course folle de notre Hyper-Titanic.
Les lecteurs d’entrefilets le savent bien, nous sommes persuadés que, face à l’hyper-puissance d’un Système que personne n’est en mesure de combattre, seul l’effondrement intérieur dudit Système, par indigestion de lui-même, offre une perspective de salut.
Or nous avons atteint des seuils limites où l’utopie d’une richesse illimitée partagée par tous se fracasse désormais contre les réalités d’un modèle économique qui craque de toutes parts. Les Etats-Unis, matrice du Système, sont au bord de la faillite. Plus de 15% de la population y survit déjà grâce à des bons d’alimentation. L’American dream, vitrine du projet néolibéral, a du plomb dans l’aile. La zone euro part de son côté en lambeaux sous les coups de boutoir d’une crise de la dette, mère de toutes les crises, qui devrait bientôt entrer dans sa phase explosive (dettes US et mondiale, ici seulement la dette publique).
Même dans sa zone d’influence, d’abondance, le Système n’est donc plus en mesure de résoudre ses contractions, de gaver tout le monde. Chômage, paupérisation, marginalisation : un pourcentage sans cesse grandissant des populations occidentales rejoignent peu à peu les laissés-pour-compte du Système. Autant d’Indignés en puissance.
La supercherie d’un projet néolibéral définitivement insensé et intenable, est devenue impossible à cacher.
Mais comme tous les systèmes, le Système néo-libéral cherchera donc à persévérer dans son être. Tant que ses moteurs ne seront pas totalement à l’arrêt, la violence va aller grandissant à l’intérieur de sa zone d’influence et les hordes de laissés-pour-compte qui vont vouloir affronter sa machine de répression seront criminalisées et combattues.
Ce sera une étape difficile, dangereuse, car l’hyper-puissance technologique du Système est capable de permettre à une très petite minorité de se maintenir au pouvoir par la violence.
Il suffit d’observer le modèle israélien et sa capacité de contenir, militairement, une insurrection quasi permanente à l’intérieur même de son périmètre (d’aucuns pensent d’ailleurs qu’Israël est un champ d’expériences dans le domaine particulier des techniques de répression des insurrections massives).
Mais des alternatives sont possibles pour un autre monde, si tant est que la panne totale des moteurs du vaisseau ne tarde pas trop.
Un monde qui saura certainement préserver les acquis valables de l’ancien, tout en se délestant de sa toxicité et de ses logiques mortifères.
Des projets, il y en a plein les cartons des Indignés.
La décroissance raisonnée, la dissolution des Marchés, la primauté du pouvoir politique sur le pouvoir économique et, enfin, l’élaboration d’une Déclaration universelle des DROITS DE LA VIE apparaissent toutefois comme les conditions premières et minimales d’une renaissance.
Pierre Vaudan
(*) Dans une lettre datée de mai 68, l’écrivain et poète suisse Maurice Chappaz écrivait : «J’ai localisé le pouvoir réel, brutal dans l’économie et vu les velléités, les complicités, les mensonges, le blanc qui devient noir dans les partis politiques, tous les partis. Et le social a comporté pour moi un élément de dégoût que tu ne peux imaginer : le nazisme. Le commercial totalitaire le resuce en lui : cette tuerie d’arbres, de phoques, cet empoisonnement de l’air, des eaux, ces massacres divers et cette propagande, cette réclame pour l’englobant industriel, le «progrès» carrément détachés de l’humain. Les vrais parasites modernes ne sont pas les clochards, les beatniks, mais justement les activistes de la construction inutile, du gaspillage des sources et des ressources, spéculateurs, menteurs en tous produits et appétits. Nous connaissons aussi ces volontés de puissance à l’œil parfois très intelligent de Surmorts, qui délèguent aux fonctions publiques les bureaucrates, des types, des espèces de chauves graisseux moins costaux qu’eux-mêmes. Les Surmorts ont besoin d’otages, de médiocres qui limitent toujours un pays aux affaires.»
(**) Dans The Singularity is near, Ray Kurzweil relève que «selon la loi du retour accéléré, la croissance est maintenant telle que nous parviendrons bientôt à un état de transformations si profondes, si rapides, si denses que toute l’existence humaine basculera. Les cent années du XXème siècle, par exemple, équivalent à vingt ans d’innovations à la vitesse des transformations des années 2000. A ce rythme, les cent années du XXIème siècle seront l’équivalent de ving mille ans de progrès au rythme d’aujourd’hui.»
(***) Dans La politique de l'oxymore, Bertrant Méheust relève combien il est étrange de constater que le Système néolibéral a recyclé avec zèle l’héritage nazi : autoroutes, fusées, avions à réaction, voiture pour tous, propagande de masse, politique spectacle, guerre spectacle, grand’messe sportive, voyages organisés, exaltation narcissique du corps… D’où la question : le nazisme comme préfiguration paroxystique du triomphe néolibéral ?
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