Pourquoi publier les Afghanistan Papers ?  

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Pourquoi publier les Afghanistan Papers ?  

Désormais, il semblerait normal de penser que tout le monde connaît les  Afghan (Afghanistan) Papers  révélés le 9 décembre par le Washington Post(WaPo), “fuite” énorme (et légale pour ce cas) qui est comme la petite sœur, bâtarde et curieusement invertie dans le chef des acteurs, des fameux  Pentagon Papers  de Daniel Ellsberg, de 1972. En effet, pour le contenu, il y a certainement équivalence en importance du point de vue de l’effet temporaire de la communication… Pour le reste, c’est le contraire : le WaPo d’aujourd’hui est certainement à peu près tout ce que Ellsberg détestait déjà en 1972 et déteste aujourd’hui plus que jamais, lui qui proteste contre le martyre d’Assange que le Post ignore avec cette impudence extraordinaire qui est la cractéristique fondamentale de la presseSystème...

Tout ce qui est dit dans ces articles extraits de rapports obtenus, après deux ans de bataille légale, en vertu du  Freedom of Information Act  (FIA) provient d’enquêtes internes réalisées par le service  SIGAR, ou Special Inspector General of Afghaistan Reconstruction, créé au sein du Pentagone, notamment sous la pression du Congrès. Les enquêtes viennent notamment d’interrogatoires serrées et détaillées de plus de 600 personnes, officiers généraux, hauts fonctionnaires, agents de renseignement, etc., impliqués à un titre ou à un autre dans la guerre en Afghanistan aujourd’hui vieille de 18 ans. Les documents réunis par le  WaPo  comptent plus de 2 000 pages.

On peut avoir toutes les informations sur ces documents, y compris sur leur contenu bien entendu, à diverses sources :
• voir l’article dans le Washington Post  lui-même ;
• voir la présentation qu’en fait  ZeroHedge.com ;
• voir le commentaire qu’en fait  WSWS.org ;
• voir l’article en français du  Figaro, etc. 

Les révélations qu’apporte cette compilation des masses de documents et d’informations rassemblée pour que l’un ou l’autre, au moins au Pentagone et à la Maison-Blanche, et peut-être au Congrès qui a demandé ce travail dès les années 2 000, y comprenne quelque chose, – aussi bien sur la situation en Afghanistan, aux effets et aux conséquences de cette guerre, aux causes et aux buts de cette guerre et ainsi de suite. Pour définir le document et les causes de sa manufacture avant qu’il ne tombe dans les mains voraces du Post et comme dans le cas des Pentagon Papers pour le Vietnam, il s’agit de tenter, dans le chef de ceux qui ont lancé et conduit cette guerre, d’essayer de connaître la  vérité-de-situation des actes qu’ils ont permis de se faire ou laissés permettre de se faire, des décisions qu’ils ont prises ou laissées prendre., – c’est-à-dire, si l’on veut, essayer de se comprendre soi-même et pourquoi l’on fait ce qu’on fait, surtout lorsque cela est profondément stupide, exceptionnellement contre-productif et d’une cruauté barbare sans bornes.

En attendant que l’on sache si effectivement quelqu’un, au Pentagone ou à la Maison-Blanche, ou au Congrès, a désormais compris quelque chose à la situation réelle de la guerre en Afghanistan, on fera quelques remarques à propos de ceux qui, dans le public, comme nous par exemple, découvrent avec intérêt le document :

• Il est remarquable que l’on retrouve dans ces documents un nombre innombrable de nouvelles, d’évaluations, d’analyses, de prévisions, etc., qui furent déjà diffusées dans la presse alternative (samizdat ou antiSystème), et la plupart du temps aussitôt dénoncées comme FakeNews absolument pyuantes, sinon comme tentatives traîtreuses de mésinformation, – au compte, par exemple, de la Russie.

• Tout ce qui s’est passé et continue à se passer est une reprise, avec le volume de dollars, de corruption, de destruction en plus important ou en beaucoup plus important, de conflits précédents ou parallèles conduits par les États-Unis d’Amérique. Ce qui s’est passé en Afghanistan s’est déjà passé au Vietnam, en Irak, et continue à se passer en Syrie, en Libye, etc. Dans tous les cas, les États-Unis se retrouvent toujours dans la même situation. La recette comprend une incompréhension totale des pays où ils combattent ; l’utilisation aveugle de masses énormes d’argent et d’armement ; l’utilisation indiscriminatoire de la corruption, des tactiques d’écrasement par les bombes ou de tout autre moyen de destruction avec des dégâts dits-“collatéraux” humains et matériels considérables ; l’utilisation systématique dans la communication de  narrative faites de créations fantaisistes et évidemment systématiquement mensongères aussi bien opérationnelles que statistiques, en toutes choses et pour toutes les audiences, que ce soit pour nombre d’officiels des administrations successives (y compris ceux qui conduisent et font cette guerre), les parlementaires du Congrès, le grand public lui-même.

• A part cela, d’ailleurs, on vous dira (voir plus loin) que tout le monde “était au courant” de ce qui se passait et de ce qui continue à se passer.

Il n’y a donc aucune surpris dans les documents publiés qui confirment tous ce que l’on écrit dans les milieux antiSystème, ce que l’on y pense, et ce que nous disent le simple bon sens et la mémoire des quelques décennies précédentes, du  modus operandi  et de l’évolution de la politique belliciste et nihiliste des USA (la  politiqueSystème). Les USA ne cessent de prouver qu’ils ont à la fois l’armée la plus coûteuse, la plus pléthorique, la plus inefficace, la plus contrainte à ne vivre que dans le mensonge de sa  narrative  “de toute l’histoire”.

On observera que les observations et commentaires des experts les plus reconnus et intégrés dans le Système, les experts les plus “politiquement corrects” si l’on veut, rejoignent dans ces moments-là (lorsque la simple et évidente vérité-de-situation est publiée et sanctionnée par un organe d’information faisant partie du haut clergé du Système), les commentaires et observations des diverses plumes et sources antiSystème travaillant sur le sujet. On donnera comme exemple la dernière partie du  texte de RFI  sur l’affaire des Afghanistan Papers, consacrée à l’interview d’un professeur américain de l’Université Américaine de Paris, le professeur Philip Golub… Nous savons tout cela, comme nous connaissons les moteurs de ces comportements faussaires, créant continuellement des simulacres, depuis l’origine des USA où ce pays aux dimension impériales est déjà l’“empire de la communication”, – ces moteurs psychologiques qui se nomment inculpabilité (certitude de l’impossibilité américaniste d’être coupable) et l’indéfectibilité (certitude de l’impossibilité américaniste d’être vaincu), créant ainsi  une psychologie si spécifique : 

« “Le mensonge est concentré autour de l’idée que les États-Unis après 19 ans d’intervention ont réussi en partie dans leur effort de construction d’un nouvel État, dans une nouvelle société afghane sans qu’aucune de ces affirmations ait été étayée sur le terrain”, résume le professeur en relations internationales à l'Université américaine de Paris, Philip Golub.
» Les acteurs sur le terrain, les chercheurs, les agences gouvernementales et internationales savaient que les discours officiels ne correspondaient pas à la réalité. Mais en revanche, la population américaine l'ignorait, souligne Philip Golub. Et ces révélations devraient, selon lui, “contribuer à accentuer la tendance au sein de la population américaine d’exiger un retrait des États-Unis des zones de conflit”, pour des interventions qui “n’aboutissent pas et qui, au lieu de manifester de la puissance de la démocratie américaine, font exactement le contraire”.
» Le professeur de relations internationales explique les raisons de ces mensonges dans la difficulté, – voire l'impossibilité, – pour la première puissance du monde à “admettre la défaite”. “C’est l’apparence de la puissance qui est et a été la préoccupation principale, précise Philip Golub. Une apparence de puissance contradictoire puisque les interventions successives démontrent les limites de la puissance militaire”. Une “illusion de l’omnipotence des États-Unis” que les présidents successifs, démocrates ou républicains, “plus ou moins éclairés”, n'ont jamais remis en question. »

A côté du contenu lui-même, plusieurs questions se posent quant à l’événement lui-même. La première qui vient sous la plume est sous la forme d’un paradoxe : pourquoi le WaPo a-t-il lancé ce brûlot qui constitue un argument formidable contre la politiqueSystème que ce journal typiquement neocon soutient avec véhémence ? Plus précisément, pourquoi l’a-t-il fait en ne pouvant pas ignorer l’aide indirecte apportée à la position de Trump qui demande sans succès à ses généraux de mettre au point au plus vite un programme de désengagement d’Afghanistan ?

Ces questions sont d’autant plus concevables qu’il semble bien que le Postait bataillé longuement, d’une façon qui n’est sans doute pas passé inaperçue puisqu’il s’agit d’une demande de documents au nom du FIA, donc qui suit un canal légal. Il ne s’agit pas d’un “coup” journalistique irréfléchi mais bien d’une intention stratégique sur le long terme à visage découvert. Il est difficile de répondre en invoquant la sainteté de la presseSystème et en rappelant le précédent du Watergate. Si ce précédent est en partie hautement suspect, il n’en reste pas moins que le WaPo d’alors n’avait,  en matière de capacités et d’éthique oprofessionnelles, rien à voir avec ce qu’est devenu le Post, le plus radicalement neocon des grands quotidiens de la presseSystème, surtout depuis que Bezos l’a racheté en 2013 pour $250 millions au moment où la CIA passait pour $600 millions de contrats secrets avec Amazon. On a coutume, depuis, d’en faire le “quotidien de la CIA”, et le Post n’a rien fait, depuis, pour démentir cette étiquette.

(Pour rappel, du 18 août 2019 : « Il est assez coutumier de résumer la chose en disant que le Washington Post (WaPo) est “a CIA asset”, dans la mesure certaine où son actuel propriétaire, Jeff Bezos, l’hyper-milliardaire de Amazon, a acquis le quotidien grâce à un contrat de $600 millions avec la CIA, payé cash par l’agence. Plusieurs journalistes du WaPo sont considérés comme de véritables relais de la CIA. C’est avec cela à l’esprit, suggérant l’analyse et la préoccupation des services de renseignement, qu’il faut lire l’article  du 17 août  (16 août au soir à Washington) sur les relations entre Israël et les USA à la suite  de l’incident opposant les parlementaires démocrates Ilhan Omar et Rashida Tlaib au gouvernement Netanyahou. »)

... Ou bien, faut-il rappeler les deux ou trois articles du Postau mois d’août prenant des positions inattendues, qu’on pouvait interpréter directement ou indirectement comme hostile à Israël (voir le  18 août 2019 déjà cité et le  24 août 2019 pour l’affaire du “suicide” d’Epstein) selon l’hypothèse complotiste de l’hostilité de la CIA vis-à-vis d’Israël. Dans le cas des Afghan Papers, un esprit “complotiste” pourrait imaginer une certaine hostilité de la CIA vis-à-vis du Pentagone par simple affirmation corporatiste des “intérêts particuliers” qui composent la mosaïque du pouvoir à “D.C.-la-folle” et sa principale activité. La CIA s’est enorgueillie d’avoir réussi dans les années 1979-1988 d’avoir manipulé avec succès des opérations militaires en Afghanistan (contre l’URSS), et elle a depuis 2001 développé une appréciation critique de la façon dont le Pentagone, maître d’œuvre de la guerre dans ce pays, s’y prenait pour transmuter une intervention assez simple au départ en une guerre interminable, catastrophique, ridicule, et même critiquée par Hollywood (War Machine) ; que les camps choisis selon les  narrative officielles entre ces deux épisodes soient opposés (la CIA soutenant les islamistes parmi lesquels les futurs talibans, le Pentagone s’opposant à eux) n’a qu’une importance anecdotique pour les batailles bureaucratiques internes à Washington D.C. Bref, il n’est pas assuré que la CIA ne soit pas secrètement satisfaite que soient publiquement étalés le désordre phénoménal et l’inefficacité à mesure de cette entreprise du Pentagone.

Mais on peut aussi laisser cela aux esprits “complotistes”, – c’est la sagesse même, – et constater simplement qu’une fois de plus se vérifie l’équation surpuissance-autodestruction. Le quotidien réputée le plus radicalement pro-Système de la presseSystème étalant aux yeux du monde entier l’extraordinaire incurie de l’hyper-impuissance que sont devenus les USA sans que quiconque parmi nos zombieSystème si prompts à la dénonciation ne puisse lancer l’accusation de FakeNewsisme, voilà un cas d’école, une sorte d’archétype de l’équation en question. Que nous importe, finalement, de savoir qui et pourquoi ; il suffit de laisser là où il est l’esprit du “complotisme” et de mesurer une fois de plus la puissance des forces supérieures attachées à transformer la surpuissance du Système en autodestruction.

Cela dit en toute innocence, il nous semble que les révélations du Washington Post feraient un bon sujet pour l’exercice de révision des stratégies de l’OTAN que réclame le président français Macron. Après tout, l’OTAN aussi, fidèle au poste comme supplétif zélé du Pentagone, participe à cette grandiose démonstration de cruelle stupidité et de grandiose puissance-impuissante.

 

Mis en ligne le 11 décembre 2019 à 07H45