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106426 juillet 2006 — Le pire étant possible, nous avons eu le pire. C’est aujourd’hui la rengaine de la marche des relations internationales. Ici, il s’agit de l’échec du Doha round, des négociations multilatérales pour la libéralisation des échanges. Le destin du Doha round confirme le déclin rapide, jusqu’à faire parler d’un effacement, à l’image du soi-disant “empire” soviétique en 1985-91, du processus de globalisation.
Le site WSWS.org nous donne aujourd’hui un bon rapport sur cet échec. Dans l’extrait ci-dessous, le rapport nous présente ce qui est finalement la mise à jour de l’absence d’un “esprit”. L’échec est moins l’effet des sujets de discorde eux-mêmes, que la conséquence de l’absence de cet “esprit multilatéraliste” qui est la condition sine qua non, la condition de substance si l’on veut, du succès. En d’autres mots, ne serait-ce pas ceci : plus personne ne croit à la globalisation… ?
« In an editorial on Tuesday, the Financial Times argued that the talks had broken down because no one was prepared to make the case for trade liberalisation as such, relying on what it called the “mercantilist fiction” that the “pleasure” of increased exports was balanced by the “pain” of increased imports. In other words, while freer trade would benefit the global capitalist economy as a whole, each of the participants in the negotiations argued from the standpoint of it own national interest.
» In an editorial published today, the Australian Financial Review described the Doha failure as a “costly setback”. Noting that the collapse of talks came after the call from the G8 for a new initiative, it wrote, this “confirms doubts about the value of the G8 as a forum capable of making any useful contribution ... to help guide the global economy to greater and wider prosperity.”
» “But the collapse and indefinite suspension of the Doha round is far more serious than that. The failure of negotiators to overcome increasingly powerful protectionist forces around the globe is one that could cost the world economy dearly. There should be no illusions about the potential dangers this poses.”
» It went on to warn that the collapse of the round would bring an “explosion of protectionism and survival-of-the-fittest trade outcomes” and called for pressure to restart and rejuvenate the negotiations as soon as possible. “Otherwise, the forces of protectionism will be invigorated and their handiwork then papered over by a network of bilateral deals. Failure of multilateral trade deregulation risks the world economy spinning off the path of prosperity, which it has so successfully managed to steer for so long.”
» But given the depth of the conflicts among the major participants, there is little likelihood of any resumption in the near future. Rather, there will be an acceleration of the turn to bilateral deals.
» Bill Thomas, the chairman of the Ways and Means Committee in the US House of Representatives said the EU had “made a mockery” of the Doha negotiations. “It is unfortunate that the EU decided to impede this critical advance, but the United States will continue to work with the tools at our disposal, such as the pursuit of bilateral agreements, that will open markets and enhance economic opportunity.”
» In fact, there have been indications for some time that the US is more interested in securing bilateral trade deals, where it is able to exercise greater pressure, to advance its interests, than all-embracing trade agreements.
» Back in January 2005, the decision by Bush to appoint US Trade Representative Robert Zoellick to the position of deputy secretary of state was widely seen as a sign that the Bush administration was losing interest in the Doha round. While he was credited with playing a significant role in jump starting the round, Zoellick had come under increasing criticism for focusing too much of his energy on concluding bilateral pacts with individual countries, including Morocco, Australia, Bahrain, Singapore and the Central American nations.
» Zoellick was followed in the position by Robert Portman. But he lasted barely a year in the job before being shifted to the post of director of the Office of Management and the Budget in April this year, just as negotiations were entering a critical phase.
» The turn to bilateral deals is viewed with concern because it violates one of the central guiding principles of the post-war economy arrangements—that in order not to repeat the experience of the 1930s, when the world economy broke up into antagonistic trade blocs, trade agreements must be multilateral. That principle is in the process of being junked along with many others that have guided international relations over the past six decades. »
L’extrait que nous avons choisi de vous présenter met en évidence la responsabilité américaine. Elle fut évidente durant ces dernières semaines et d’ores et déjà perçue comme telle. Elle correspondait par ailleurs à un état d’esprit typiquement américaniste, particulièrement exacerbé dans les circonstances présentes (depuis septembre 2001). Les derniers événements (la crise israélo-libanaise) ont encore accéléré la tendance sans pourtant jouer un rôle essentiel. Cette situation du refus américaniste, de l’absence d’“état d’esprit” que dénonce le Financial Times n’est ni contradictoire, ni exceptionnelle.
Le sentiment que nous avons recueilli à la Commission européenne sur l’échec de Doha montre, là aussi, un état d’esprit qui ne peut pas être apparenté à celui du pessimisme noir né d’une croyance (dans le multilatéralisme et dans la globalisation) bafouée par l’événement. «D’une façon générale, nous dit une source, on se dit qu’on pourra faire aussi bien en passant par la formule du bilatéralisme. Il y a une certaine attitude d’acceptation de l’échec sans réelle préoccupation. Les gens se sont habitués à la perspective et se disent que le bilatéralisme de substitution fera l’affaire, qu’il fera l’affaire certainement mieux que du multilatéralisme dont on a pu mesurer l’impopularité, que personne ne veut appliquer, qui est la source de tant de conflits épuisants.»
C’est un curieux son de cloche, qui se démarque de l’habituel dogmatisme hyper-libéral des bureaucrates européens. C’est un son de cloche de survivance (de la bureaucratie) : “puisqu’il en est ainsi…” (et surtout : puisque notre modèle vénéré américaniste a l’attitude qu’on lui voit…). Les coups de boutoir divers, allant du vote du 29 mai 2005 aux initiatives type “patriotisme économique”, et à l’attitude des USA justement, commencent désormais à faire sentir tous leurs effets.
Le Financial Times, tel que signalé dans le commentaire de WSWS.org, enfonce pompeusement une porte ouverte lorsqu’il nous signale que tout le monde suit des réflexes nationalistes et qu’il est ainsi impossible d’attendre un état d’esprit multilatéraliste. (« In other words, while freer trade would benefit the global capitalist economy as a whole, each of the participants in the negotiations argued from the standpoint of it own national interest. »)
Ce constat, — car c’en est un, sans aucun doute il s’agit d’un état de faits, — résume parfaitement l’état actuel de la globalisation. Le terme et le projet qui va avec se sont réfugiés dans le domaine du virtualisme (il ne restait que cela, comme abri ultime) et font partie des références obligées des discours et communiqués officiels. Dans la réalité, l’échec de Doha vient d’officialiser ou d’accélérer les funérailles de la globalisation, en cours depuis un certain temps.
Dans cette occurrence, on doit nécessairement limiter les critiques contre la partie US. Les Américains n’ont fait qu’exposer hautement ce que tout le monde commence, non seulement à constater et à accepter, mais à faire chacun pour sa part.
Un autre point d’importance, une autre conséquence, c’est que ce comportement américaniste doit accélérer une évolution déjà en cours depuis plusieurs années : la “dé-légitimation” et, plus encore, la désacralisation du multilatéralisme et de son habillage doctrinal qu’est la globalisation. C’est une situation qu’on a déjà remarquée. L’unilatéralisme et le nationalisme américanistes particulièrement virulents depuis septembre 2001 ne cessent d’affaiblir le multilatéralisme et la globalisation. Ils leur ôtent parallèlement la légitimité, voire le caractère sacré que le soutien US avait donné à ces conceptions. Ils détruisent le système complexe, habile et vertueux de domination indirecte que les USA avaient mis en place. Si l’on veut, Washington a tué le “Washington consensus”.
(“Washington consensus” : cette expression désigna dans les années 1990 l’accord général des puissances et des grandes institutions pour le multilatéralisme et la globalisation. Il ne s’agissait donc que d’un faux-nez multilatéraliste et globalisant pour perpétuer la domination américaniste établie durant la Guerre froide. En donnant aux divers vassaux, porteurs d’eau et autres analystes de la City de quoi garder la bonne conscience d’une apparence d’égalité formelle, il permettait de perpétuer des accords généraux sur lesquels les USA avaient la haute main. Ce n’était pas si mal trouvé.)
De ce point de vue, l’échec de Doha confirme l’incapacité des USA à jouer le rôle impérial qu’ils prétendent mériter et remplir à merveille. Les Américains sont dans l’incapacité d’occuper cette position arbitrale et d’une certaine “ferme bienveillance”, qui est celle du centre de l’Empire ; cette position implique notamment la capacité de moins soigner ses intérêts immédiats pour conserver la cohésion générale et assurer ses intérêts fondamentaux à long terme.
La globalisation est une ambition d’Empire. Le fait est qu’il n’y a pas d’Empire, puisqu’il n’y a aucune conscience historique (dans le chef des américanistes). « Il n’y a pas d’Empire au numéro que vous demandez, il n’y a que des boutiquiers qui comptent leurs dollars », remarquait sarcastiquement un fonctionnaire de l’OMC dimanche, en marge des négociations de Genève. Nous assistons donc à la poursuite des longues funérailles de la globalisation, avec l’étape importante de l’échec du Doha round. L'histoire continue son chemin.
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