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839La visite de Poutine à Téhéran, pour une réunion des pays de la Caspienne, a montré combien la Russie domine aujourd’hui la crise iranienne (voir notre F&C du 19 septembre). Poutine maîtrise parfaitement “le jeu de la Russie”. Cette expression est employée ici comme une analogie de l’expression “le jeu de la France” employée par Philippe de Saint-Robert pour décrire la diplomatie gaulliste; elle montre combien c’est la Russie qui a aujourd’hui une diplomatie gaullienne, pas la France qui préfère l’inspiration nourrie aux cocktails de Saint-Germain-des-Près de son ministre des affaires étrangères.
Poutine a déclaré nettement qu’une opération militaire contre l’Iran était inacceptable. L’avertissement s’adresse aussi bien aux USA qu’à l’Azerbaidjan (un des pays présent à la réunion), consulté par les USA pour une éventuelle aide logistique en cas d’attaque. De plus, Poutine invite Ahmadinejab à Moscou. Selon le Guardian d’aujourd’hui:
«Russia's president, Vladimir Putin, gave Iran's leaders a public morale boost in their nuclear dispute with the west yesterday by issuing a veiled warning to the US not to resort to military strikes over the issue.
»Mr Putin used a historic visit to Tehran - the first by a Kremlin leader since Stalin in 1943 — to amplify his opposition to an American attack against Iran. “We should not even think of making use of force in this region,” he told a five-nation summit meeting of Caspian Sea nations.
»In a coup for Tehran's leadership, he invited the Iranian president, Mahmoud Ahmadinejad, to Moscow for talks. Mr Putin called on the five countries — Azerbaijan, Kazakhstan, Turkmenistan, Russia and Iran — not to allow an outside power to use their territories to launch an attack on another member of the group.
»“We are saying that no Caspian nation should offer its territory to third powers for use of force or military aggression against any Caspian state,” Mr Putin said.
«His comments — backed up by a post-summit communique — appeared to be aimed at Azerbaijan, a former Soviet republic which has a partnership deal with Nato. It has been touted as a potential launching pad for US strikes against Iran after American military commanders inspected its airfields.»
Pour autant, Poutine ne “s’aligne” pas sur Téhéran, évidemment non. Il y a les intérêts de la Russie et l’attention portée à l’équilibre des situations. Poutine ne soutient certainement pas l’intention supposée, et jusqu’ici non prouvée, de l’Iran de devenir un pays militairement nucléaire. Un commentaire de Simon Tisdall dans le même Guardian d’aujourd’hui met en évidence la diversité des relations russo-iraniennes et, à cette lumière, l’habileté du “jeu de la Russie” conduit par Poutine. La comparaison que Tisdall fait entre Poutine et Disraeli vaut, de la part d’un Britannique, son pesant d’admiration dissimulée. Cela nous change un peu des sempiternelles références à Staline des hystériques occidentaux lorsqu’il s’agit du Russe.
«Mr Putin's approach to Iran, underpinned as ever by Russia's greater strength, is more canny. He insisted recently that there was no evidence that Iran was developing an atomic weapon. He has cast himself as a Disraeli-style “honest broker” in the nuclear dispute with the US. He gave another warning yesterday of the unacceptability of military action. And he knows his Tehran sojourn again demonstrates Russia's reviving central role in global affairs.
»All the same, Mr Putin is hardly falling over himself to help Iran become a nuclear-armed state, if that is what Tehran is trying to do. Completion of the Bushehr project has been repeatedly put back. Nuclear fuel deliveries from Russia have been withheld. Moscow has infuriated Tehran by claiming not to have been paid.
»In short, Russia is playing both sides off against the middle, using current tensions with the west to advance its own national interest. Mr Putin's pragmatism should not be mistaken for friendship. After all, Russia's power games in Iran are hardly new. Just look at the history.»
Pour suivre, on constatera, comme fait le Times quelque peu marri aujourd’hui, que Poutine a quasiment pulvérisé toute tentative de nouvelles sanctions de l’ONU pour l’instant. Le Times confirme combien la diplomatie russe est devenue complètement indépendante et représente désormais une réelle alternative à la politique belliciste et déstructurante des USA.
«[The Putin’s] discussions about co-operation over Caspian Sea energy resources, and likely talks about the completion of a Russian-made nuclear power plant at Bushehr, signal that meaningful sanctions are no longer realistic. The only option left would be unilateral sanctions of the type already imposed by America against Tehran with little effect.
(…)
»The biggest casualty from the rapprochement is Iran’s old adversary, America. In the wake of the attacks on September 11, 2001, President Bush relied on Russia’s support in its war on terror. But the Kremlin broke with Washington in the run-up to the invasion of Iraq and has since aggressively pursued its own interests.»
Le Times observe sans grand enthousiasme que l’effet de l’action de Poutine peut être le contraire de ce qu’il espère, en poussant les USA vers une attaque. Le Times fait bon marché au passage de la vérité, — vieux truc de la presse Murdoch, — parce qu’on ne voit pas en quoi l’actuelle situation implique plus qu'une autre, notamment celle des sanctions accentuées, “l’échec de la communauté internationale de traiter pacifiquement le problème de l’effort nucléaire de l’Iran”. («With the failure of the international communtiy to deal peacefully with the problem of Iran’s nuclear efforts, a military solution could be more likely than ever.»)
S’il y a un échec aujourd’hui, c’est celui d’une diplomatie occidentale d’inspiration américaniste qui, plus encore que par la brutalité, doit être définie par un mot bien plus apaisé: bêtise (bêtise au front de taureau si l’on veut car l’image est bienvenue). Que les Français soient aujourd’hui au cœur de cette entreprise est assez attristant. La France devra attendre pour voir revenir son “jeu”. En attendant, elle s’isole, notamment en Europe, où, hier, les pays de l’UE ont refusé de suivre la proposition française de sanctions UE contre l’Iran. On vit donc le brave ministre si pro-européen, le Kouchner en question, proclamer que puisqu’il en était ainsi, la France appliquerait seule ses sanctions. Non seulement la France est isolée mais elle devient isolationniste en Europe, cher ministre évidemment partisan du “oui” au référendum; et ce n’est pas de l’isolationnisme français, c’est de l’isolationnisme parisien, tendance Rive Gauche. Mais moralement, la diplomatie kouchnérienne est kleenex selon les normes US. La France tient, avec les USA, le “moral high ground”, comme disait Condoleeza Rice lors d'une rencontre à Moscou avec des opposants russes qui l’accusèrent de n’en pas faire assez contre Poutine. Les USA ne sont pas si unilatéralistes que cela puisque nous voyons qu'ils acceptent de partager le front de taureau, dont ils ont indiscutablement le copyright. Puisqu'on est actuellement dans cette sorte d'activité, Sarko devrait commencer à envisager de divorcer de ce front-là sinon il y perdra ses plumes.
Mis en ligne le 17 octobre 2007 à 07H30
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