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1484Le 24 janvier 2013, M K Bhadrakumar met en ligne un texte court pour nous aviser que, de son point de vue, toute possibilité de rapprochement entre les USA de BHO-II et la Russie doit être écartée. «Russia is not a priority in Obama’s agenda. […] Simply put, call it ‘new cold war’ or whatever, the US feels no compulsion to accommodate Russia…»
Bhadrakumar fait essentiellement allusion, pour la documentation directe et ouverte qu’il cite, à des déclarations du ministre russe des affaires étrangères Lavrov, du 23 janvier 2013 (Novosti). D’une façon effectivement intéressante, cette dépêche comprend une première partie assez anodine sur les relations USA-Russie, et une seconde beaucoup plus précise et au ton beaucoup moins engageant. Ce qui nous paraît “intéressant”, c’est que cette seconde partie a été rajoutée, ou “complétée”, comme l’auteur Grigoriy Sysoev lui-même le signale («Updated with comments on the “reset,” missile defense and the possible Munich meeting with Vice President Joe Biden») ; on peut faire l’hypothèse que ce “complément” a été rajouté à partir d’indications précises données à l’auteur sur l’importance des propos, ce qui est une pratique courante dans les relations informelles entre un journaliste et ses sources. La partie en question dit ceci :
«Lavrov said the “reset” in relations between Russia and the United States, started by Washington, cannot last forever, otherwise it is just a “system error.” “If this is a computer term, everyone should realize that an ongoing ‘reset’ is a failure of the system and the system is frozen,” he added.
»The issue of missile defense remains the main stumbling block in Moscow’s relationship with Washington, Lavrov said, as the United States continues building its missile defense system without taking Russia’s stance into account. In addition, other disputes, such as the case of lawyer Sergey Magnitsky, which is still being investigated in Russia, have also appeared. But Russia remains open for dialogue, he said.
»Lavrov also said he plans to meet with US Vice President Joe Biden at the Munich Security Conference in February. “I hope to meet with the directors of the US delegation; the Vice President Joe Biden is so far planning to attend. We will make sure to speak about all the issues at hand and to see how we can develop our relationship,” he added.»
Bhadrakumar estime que cette intervention de Lavrov constitue une claire indication, sinon une “indication définitive” (“definitive indicator”), que la Russie n’attend plus désormais d’initiative importante de la part des USA pour une relance des relations entre les deux pays. La référence est faite à la venue du conseiller de sécurité nationale du président Obama, Tom Donilon, qui était espérée par Moscou pour permettre de discuter d’une telle relance, et qui semble bien hors de question dans l’état actuel des choses. La rencontre (possible mais non encore fixée) avec Biden à Munich, lors de la conférence de la Wehrkunde en février, n’est pas appréciée comme étant d’une importance “technique” équivalente, mais plutôt comme une démarche destinée à atténuer la déception russe. Bhadrakumar revient sur le discours d’inauguration d’Obama et l’impression peu ordinaire de repli sur les affaires intérieures qu’il a donné. (On notera cette précision intéressante, qui donne une mesure comptable de la chose : 2.000 mots sur la situation intérieure et les problèmes “sociétaux”, 150 mots sur la politique extérieure.)
«Interestingly, Lavrov’s remarks followed Obama’s inaugural speech on Monday where in a stirring address of some 2000 words devoted to domestic social and economic issues, he spoke about 150 words on foreign policy to breeze past three ideas: (a) primacy on resolving differences with other nations through engagement; (b) emphasis on alliances, coalitions and institutions for projecting US’ global leadership; and, (c) value-based approach to foreign affairs.
»Obama didn’t single out any country or any “hotspot”. He had no doctrine to unveil, nor any transformational ambitions. Noted writer Steve Coll couldn’t have put it better in a New Yorker Podcast when he said last week, “He [Obama] just wants to keep the world at bay, so that he can concentrate on the projects he has in mind in domestic policy.”
»We can expect a continuation of the trends that began with Obama’s first term. Period. Evidently, Russia is not a priority in Obama’s agenda. His priorities are: Afghanistan, Iran and the Middle East, China. Washington estimates that it can address these issues with or without Russia’s help. Simply put, call it ‘new cold war’ or whatever, the US feels no compulsion to accommodate Russia.»
Bhadrakumar cite encore un texte de Stephen Cohen, publié initialement dans The Nation (dans le numéro du 4 février 2013, mais mis en ligne le 21 janvier 2013), et largement repris par la presse russe, notamment par Russia Today le 22 janvier 2013 et par Moscow Times le 23 janvier 2013. (Nous citons épisodiquement Stephen Cohen, notamment, lors de la plus récente occasion, le 31 décembre 2012). Ce texte donne une vue très pessimiste de l’avenir des relations USA-Russie, observant qu’il existe à Washington un consensus de longue date (depuis la fin de l’URSS) sur une politique méfiante, sinon hostile vis-à-vis de la Russie. Cohen juge que ce consensus est plus fort que jamais, et qu’il continuera, plus que jamais, à caractériser la politique russe des USA...
«Indeed, Clinton initiated the three basic components of what has remained Washington's Russia policy ever since, from President George W. Bush to Obama: expanding NATO (now including missile defense installations) to Russia's borders; “selective cooperation,” which has meant concessions by Moscow without meaningful U.S. reciprocity; and interference in Russia's domestic politics that Washington tries to package as “democracy promotion.” For 20 years, this Cold War approach has had overwhelming bipartisan support among the U.S. political elite and mainstream media.»
Cohen rappelle qu’il y eut des périodes durant la Guerre froide où les relations entre les USA et l’URSS furent meilleures, mais qu’il est absolument vain d’espérer que de telles périodes se renouvellent. Nous nous trouvons donc dans la situation paradoxale où la situation de “néo-Guerre froide” actuelle est pire que la situation de la Guerre froide, pour les relations entre les USA et la Russie, et que cela est notamment du à l’orientation obsessionnelle du personnel politique à Washington et à l’extraordinaire servilité des médias US par rapport à la narrative-Système absolument antirusse (Cohen ne lésine pas pour faire porter l’essentiel de la responsabilité de cette situation aux USA). Sur ce dernier point de la responsabilité et de l’orientation-Système des médias US (la remarque vaut pour les médias du bloc BAO en général, bien entendu), Cohen rapporte notamment un point intéressant, qui concerne un puissant mouvement étudiant russe contestataire de décembre dernier, complètement ignoré par les médias occidentaux, qui présente la particularité d’être nationaliste et sans aucun lien avec l’influence-Système du bloc BAO, et éventuellement anti-Medvedev et pro-Poutine…
«The media's focus has also been selective. Coverage of last year's Moscow street demonstrations against Putin was exhaustive, but U.S. correspondents have ignored an extraordinary new kind of protest in the same capital. From Dec. 18 to 27, students and faculty of the Russian State University of Trade and Economics defied a ministerial takeover of their institution. Its head, Sergei Baburin, a prominent political figure, was ousted by the ministry after students occupied the university day and night, suspending their protest only for the Russian holidays and pending an appeal to Putin. If their protest spreads to other universities, Russia could experience its first large-scale student strike in many decades, with major political consequences.
»Why have the U.S. media failed to report this development? Is it because the university students and faculty, unlike several leading street protesters, do not have personal ties to the U.S. media and to Washington officials? Or because they, also unlike many of last year's street demonstrators, are not avowedly pro-Western but nationalist-oriented? Or because the university rebellion is directed not against Putin — on the contrary it urged Putin to step in and save the university — but against the government of Prime Minister Dmitry Medvedev, once a White House favorite? Or is such complexity simply too much for the orthodox media narrative of post-Communist Russia?»
Cet ensemble de développements retrouve bien entendu nombre de réflexions que nous développions dans notre F&C du 22 janvier 2013, mais aussi d’autres plus larges sur le phénomène du Système qui tient prisonnier, après avoir favorisé sa formation, le bloc BAO. Il permet de compléter ou de développer plusieurs observations. Il s'agit de tenir compte notamment de la rapidité des événements et des enseignements qui en sont nécessairement tirés, et des formes, des structures que mettent à jour ces événements. Dans ce cas, ces enseignements ne nous surprennent en aucune façon et nous confirment au contraire dans nos appréciations.
• L’orientation US qu’on peut effectivement qualifier d’“isolationniste”, qui ne l’est pas “stratégiquement” (si ce terme a encore un sens, ce dont nous doutons), qui l’est de plus en plus du point de vue de l’influence, qui l’est complètement du point de vue de la psychologie. C’est un phénomène somme toute assez logique d’une façon générale (en raison de la situation intérieure US), et finalement complètement chaotique dans la façon dont il s'exprime (garder un appareil militaire global que nous qualifierions de ”paléo-stratégique” plus que de “stratégique” et se désintéresser de plus en plus, et sélectivement, des affaires du monde, au travers de mesures de repli et d’initiatives d’une influence déclinante aboutissant à des situations catastrophiques, – voir l’attitude US applaudissant et soutenant le “printemps arabe” pour constater, comme le fait Clinton, que c’est une catastrophe pour les USA). C’est enfin un phénomène paradoxal, qui accrédite largement l’esprit de ce qu’est le bloc BAO (fin de l’hégémonie de l’influence active US sur ses alliés), puisque cet “isolationnisme” US se fait au moment où les conceptions US se répandent largement dans le bloc BAO. La dernière chose en date, pour ceux qui le goût de porter un jugement libre sur cette chose qu’on nomme la “diplomatie française”, étant le “néo-bushisme”, dernière extension du domaine psychologique du Système.
• … Évidemment, c’est ce dernier point qui éclaire le reste. L’extension de ce qu’on pourrait croire être une “américanisation” du bloc BAO au moment où les USA se replient, et qui rendrait cette extension paradoxale sinon contradictoire, est en vérité une extension-Système. Dans ce cas, l’“américanisation” n’a plus la signification qu’on lui prêtait, vide de sens à cet égard. Il s’agit de l’extension de la psychologie-Système, venue éventuellement, pour certains cas, des USA, mais n’agissant nullement dans l’intérêt des USA au sens classique de l’observation. Il s’agit bien d’une extension-Système, au profit du Système, quelle que soit l’orientation des USA (laquelle, l’isolationnisme, risque d’ailleurs de se heurter, très vite, au mécontentement du Système). Tout cela, faut-il le répéter encore et encore, et encore, pour pénétrer les esprits épais, est bien psychologique (comme l’est par exemple le “néo-bushisme” à la française, qui n’a rien, ni d’idéologique, ni de stratégique, et d'ailleurs notamment parce que même ces caractères, – l’idéologie et la stratégie, – ont totalement disparu du fonctionnement cérébral des sapiens-figurants concernés).
• De même, le commentaire de Cohen sur l’attitude des USA vis-à-vis de la Russie ne rend pas assez justice, selon nous, à la machinerie qui est en marche aux USA, et à plein régime, – le Système pour nous. La politique antirusse des USA, quelle que soit la part d’élaboration à l’origine, répond bien aux impulsions du Système. Il n’étonnera que ceux qui veulent bien l’être, ou ceux qui ignorent comment faire autrement que penser comme ils pensent, d’apprendre que quelques personnalités du plus haut niveau, y compris pour quelques très rares exemplaires dans la diplomatie française, conçoivent sans hésiter que les politique du bloc BAO ne sont pas humainement élaborées mais bien le fruit d’une dynamique machiniste dont personne ne peut saisir les modalités de fonctionnement, et donc que personne ne peut modifier ou arrêter. Ce jugement vaut pour la politique antirusse des USA (et du bloc BAO), mais aussi pour les divers engagements hystériques (Syrie) et expéditionnaires (Mali), au Moyen-Orient et en Afrique, disons respectivement. Ce qui est inquiétant, bien entendu, n’est pas le fait de l’engagement lui-même, s’il était discuté et développé d’une façon rationnelle et politiquement structuré, et essentiellement en conformité avec des principes structurants, mais qu’il soit d’une façon générale et au stade de la réflexion le fruit d’une dynamique mécaniste non-humaine, ici hystérique, là expéditionnaire.
• Conclusion à ce point et pour en revenir à notre sujet initial : la “perspective Poutine-BHO”, avec plus que jamais “l’Europe au milieu”, sera, – est d’ores et déjà extrêmement lugubre…
Mis en ligne le 25 janvier 2013 à 9H47
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