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25 février 2005 — On disait déjà que le plus remarquable dans le discours de GW, le 21 à Bruxelles, avait été l’attaque contre la Russie. Ce durcissement, évidemment fleuri de l’inévitable rhétorique démocratique qui est aujourd’hui le bagage intellectuel essentiel de la politique US, se confirma largement hier, lors de la rencontre avec Poutine, lorsque ce dernier dut subir une ennuyeuse leçon de démocratie. (Comme on le comprend, le climat en fut nettement rafraîchi et les mines devinrent plutôt sombres.)
Pourquoi ce durcissement vis-à-vis des Russes, dès le 21 alors que GW rencontrait Poutine le 24, durcissement confirmé le 24, alors que GW aurait eu au contraire intérêt à s’entendre avec Poutine pour différentes raisons, ne serait-ce que contribuer à la tentative de contrecarrer une toujours possible recherche d’une entente entre la Russie et l’UE, ou pour freiner une aide russe à la Syrie et à l’Iran? Plutôt qu’une réponse appropriée, sophistiquée, compliquée et qui ne répond à rien, nous devrions méditer ce mot du sénateur Biden, démocrate du Delaware et spécialiste des affaires étrangères, lancé à Condoleeza Rice lors d’une émission télévisée le 13 février: « I don't understand our policy. I'm not being facetious. I don't understand the policy »
Confidence pour confidence: ne craignez rien, sénateur Biden, il n’y a rien, rigoureusement rien à comprendre à la politique de l’administration GW. C’est une bouillie de chat au goût enivrant, qui enchante ceux qui conçoivent la politique comme un exercice pratique mêlant les contradictions vaniteuses de l’utopie élevées en vertus politiques et le mépris jusqu’à l’exécration inconsciente de la responsabilité et de la logique dans la politique. C’est une application du fameux “a fire in the mind” que son speechwriter a été chercher chez Dostoïevski (« Nous avons allumé un incendie dans les esprits des hommes. L'incendie est dans les esprits non sur les toits des maisons ») pour le mettre dans
(Assez curieusement, et même malicieusement quand on sait l’estime où les durs de l’équipe GW tiennent l’ancien président démocrate, la politique GW apparaît de plus en plus, notamment à la lumière de la rencontre avec Poutine, comme un recyclage pour notre époque, en beaucoup plus militariste et agressif, de la politique humanitariste de Jimmy Carter. En 1977, dans un des actes majeurs de cette politique, Carter recevait le dissident Soljenitsyne, — au grand dam de son conseiller à la sécurité nationale Zbigniew Brzezinski — pour faire indirectement la leçon à son partenaire en négociations stratégiques Leonid Brejnev, enfermé dans son Kremlin sans espoir, perclus d’angoisses devant l’activisme libérateur de la Maison-Blanche. Dans le même registre, Carter soutenait le Shah d’Iran tout en faisant des discours où il lui reprochait avec véhémence son peu d’empressement pour le respect des droits de l’homme (on connaît la suite). Dans tous les cas, la seule référence qu’évoquait Carter était la vertu américaniste, l’image grandiose de l’Amérique. Cela lui valut une sorte de brouille avec Soljenitsyne lorsque, venu écouter le “discours d’Harvard” du grand écrivain russe, le 8 juin 1978, Carter eut la douloureuse surprise d’entendre, à côté de la dénonciation normale du communisme, un impitoyable procès de l’illusion et de l’inhumanité du système libéral capitaliste.)
La politique US n’a plus (comme au temps de Carter) la prudence nécessaire face à la puissance apocalyptique de l’URSS que l’Amérique avait elle-même fardée en menace agressive contre elle-même parce qu’il lui faut toujours un ennemi (aujourd’hui, c’est le terrorisme, image obtenue selon les mêmes moyens). Elle est devenue cette bouillie de chat où chacun met son petit ingrédient qui est une incitation à une agression de plus. GW recycle tout cela sans le moindre frein, sans y rien comprendre pour l’existence réelle et l’effet sur le réel, comme il a maintenant l’habitude de faire. Pour GW, l’essentiel de sa politique est et reste d’enluminer chaque jour l’“image” de la puissance vertueuse qui sert de réalité virtualiste à l’empire américain. Un jour on attaque l’Iran. Le lendemain, c’est la Syrie. In illo tempore, on laissait entendre bien des horreurs à propos des Français mais cette fois on embrasse Chirac. Deux jours après, Poutine en prend pour son grade après avoir été célébré. Pendant ce temps, la démocratie est proclamée triomphante partout et l’on nomme ministre de la Justice l’homme qui a codifié l’emploi systématique de la torture, de Guantanamo à l’Irak. Peut-être quelqu’un se dit-il que cet étrange ballet doit dérouter partenaires et adversaires. C’est le cas mais c’est par inadvertance bien plus que par maladresse et c’est le signe du désordre bien plus que d’un machiavélisme rendu maladroit par le besoin de vertu. L’essentiel est d’appliquer le programme du 20 janvier, qui est vraiment le fondement de la pensée-GW, l’idée maîtresse qui paraît être au président le moyen d’accéder à sa place dans l’Histoire, pour rester dans la mémoire des hommes, — tout cela pendant que Biden se lamente parce qu’il n’y comprend rien.
L’étrange mélange de simili-réalisme virtualiste et de vertu morale belliciste qui constitue les ingrédients de cette politique américaine que le sénateur Biden ne comprend pas, et qui existe finalement pour éviter justement de faire une politique réelle, ce mélange est là pour durer tout au long du mandat. Nous aurons GW le missionnaire-guerrier jusqu’en 2009. L’effet de sa politique se traduira par l’incapacité pour l’Amérique de trouver des alliés utiles, sinon loyaux, et par l’aliénation poursuivie et aggravée du reste du monde, y compris des trois grands blocs de puissance plus ou moins alternatifs actuels : l’Europe, la Russie et la Chine. Quant à la puissance américaniste elle-même, elle sera servie à mesure par cet activisme : elle continuera de s’abîmer dans le virtualisme d’une image de puissance, correspondant parfaitement à sa structure fondamentale d’“empire de la communication”, et risquant de ce fait des accidents de rupture extrêmement graves, accélérant décisivement le déclin américain.
(On lira avec profit ces observations du site
xymphora.com, en date du 20 février, montrant que cette idée d’“empire de la communication”, de virtualisme, etc., commence à se répandre: « The American empire is the first empire not to be built on military strength — the United States loses all the wars it fights — or on economic strength — its staggering economy is entirely dependent on the continued goodwill of its lenders — but on advertising its identity as an empire in the media. Since it is only an empire because people believe it to be an empire, its fall from power will be as sudden as the world realizing what a pile of bullshit the American empire really is. »)