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7594Dans son discours annuel devant les parlementaires de la Douma, hier, le président russe Poutine a dit plusieurs choses intéressantes qui concernent l'équilibre stratégique entre la Russie et les USA dans la situation de l’abandon du traité FNI par les deux signataires, d’abord les USA comme ils l’ont annoncé en octobre, ensuite la Russie. (Cette sortie des deux n’est pas automatique, une fois que l’un a annoncé sa décision : la Russie pourrait continuer à respecter seule les limitations imposées par le traité. Bien entendu, elle ne le fait pas, et tout le monde le comprend et ne peut lui en faire grief sur ce point particulier. Mais ce n’est pas une simple question de pure forme, comme on va le voir...)
• La première annonce de Poutine est que la Russie suivra “symétriquement” le comportement des USA, mais éventuellement par des moyens “asymétriques”. C’est-à-dire que si les USA déploient des missiles terrestres à portée intermédiaire en Europe, les Russes déploieront à leur tour une capacité de riposte (symétrie), mais par des moyens différents (asymétrie), c’est-à-dire des missiles de croisière hypersoniques pouvant être tirés sur le territoire US à partir de sous-marins ou de navires russes au large des côtes des USA. L’essentiel est de pouvoir toucher le territoire des USA avec le même type d’engins, interdits depuis décembre 1987 et le traité FNI, que les USA utiliseraient contre le territoire russe.
• La seconde est une nouvelle expression de satisfaction de Poutine pour la nouvelle génération de missiles hypersoniques développée par la Russie. Poutine a donné des nouvelles très satisfaisantes des divers programmes en cours de développement, commentant que cette percée générale d’une nouvelle catégorie de missiles était une “percée technologique” (c’est-à-dire une percée dans l’utilisation opérationnelles de technologies données, ces technologies fussent-elles déjà anciennes mais jusqu’ici non exploitées, – comme l’hypersonique), et dans ces termes un événement au moins aussi important que le lancement de Spoutnik-I à l’automne 1957 : « Il semblait jusqu’à récemment que l’on jugeait la Russie incapable de percées technologiques. Eh bien, nous l’avons fait. »
• Parmi les missiles dont nous avons des nouvelles par Poutine, le Zircon, missile de croisière pouvant évoluer jusqu’à Mach 10, sera embarqué sur des navires de guerre et des sous-marins. On en conclut évidemment que c’est notamment cet engin qui jouera le rôle de menace de “riposte asymétrique” découlant de la mort du traité FNI. La rapidité d’intervention du missile équilibre la distance plus grande de la frontière US d’où il serait tiré par rapport au Mk41 notamment, situé quasiment sur la frontière de la Russie.
Là-dessus, nous enchaînons avec une partie de l’analyse de WSWS.org à l’occasion du discours de Poutine, qui nous permet d’aborder un aspect important, politique ou politico-opérationnel, de cette question.
« Les plans américains pour déployer des missiles en violation du traité INF sont déjà bien avancés. Dans son discours, Poutine a affirmé que les systèmes de défense antimissile américains installés en Pologne et en Roumanie étaient parfaitement capables de lancer des missiles Tomahawk à moyenne portée armés d'une charge nucléaire. Alors que les affirmations de Washington selon lesquelles la Russie agit en violation du traité INF restent largement non étayées, le Bulletin of the Atomic Scientists a soutenu l’affirmation de Poutine, déclarant que “les informations accessibles au public montrent clairement que les systèmes américains Aegis basés en Europe de l’Est, dotés de missiles de croisière, violerait en effet le traiuté FNI. ”
» Il ajoute: “Si les systèmes basés Aegis basés en Europe de l’Est étaient dotés de missiles de croisière américains, qu’il s’agisse du Tomahawk existant ou d’un nouveau missile développé par la Russie, les États-Unis détiendraient de redoutables forces offensives, organisées aux frontières de Russie. Et il serait peu probable que la Russie ait la moindre certitude du fait de savoir dans telle ou telle circonstance si les systèmes Aegis vont tirer des missiles antimissiles ou de missiles de croisière offensifs à têtes nucléaires.”
» Tentant de clore la polémique pour déterminer si les sites américains de “défense antimissile” peuvent tirer sans signe annonciateur des missiles de croisière nucléaires offensifs, le Pentagone a répondu par la négative, déclarant que le logiciel de ces installations les empêchait de le faire. Le Bulletin of the Atomic Scientists a également qualifié cette intervention de “fausse affirmation incompatible avec la conception technique du système”. En d’autres termes, modifier ces plates-formes pour le tir de missiles de croisière offensifs ne nécessiterait guère plus que la mise à jour du logiciel.
» Une réponse “proportionnelle” de la Russie à l’abrogation du traité FNI avec le déploiement de missiles offensifs US impliquerait de déployer des missiles basés à terre à quelques centaines de kilomètres de la frontière américaine : un projet pratiquement irréalisable. Poutine a clairement indiqué qu’en réponse à toute tentative de déploiement en Europe de missiles offensifs US, la Russie serait prête à mettre en œuvre une réponse “asymétrique” : placer des missiles hypersoniques sur des navires et des sous-marins à quelques centaines de kilomètres de la frontière américaine. “Avec les vitesses [de nos missiles hypersoniques], nous pouvons placer nos navires loin des eaux territoriales ou même de la zone économique exclusive d’un pays donné. Ils peuvent être dans des eaux neutres, loin dans l'océan”, a déclaré Poutine. “Personne ne peut interdire aux navires de guerre et aux sous-marins d'être là.”
» En réaction aux plans américains visant à faire de l'Europe un champ de tir pour les missiles nucléaires, la Russie menace de transformer le littoral oriental américain en une ligne d'affrontement à enjeux élevés, dans laquelle des sous-marins, des navires et des avions armés de missiles nucléaires se bousculent à cent milles d'une des côtes les plus densément peuplées du monde. Et ce ne sera qu’un des théâtres de la dystopie nucléaire multipolaire imaginée par la Maison Blanche de Trump, avec une confrontation similaire chaque jour dans les mers au large des côtes chinoises.
» Pour aggraver les choses, tout cela ne se jouera pas avec les armes balistiques actuelles, mais avec des missiles hypersoniques volant [à des vitesses de 10 à 25 fois supérieure à celle du son], avec une “fenêtre de décision” de seulement deux ou trois minutes pour déterminer si un lancement de missile détecté est un essai, une fausse alerte ou une véritable attaque thermonucléaire, augmentant massivement les chances d'une erreur de calcul mortelle mettant en jeu des milliards de vies. »
Cette question d’une sortie du traité FNI a créé un nouvel échelon de crise dans les marches de la dissuasion nucléaire entre les USA et la Russie, du fait de la rapidité d’intervention des missiles à moyenne portée (par rapport aux missiles balistiques intercontinentaux), à cause de la proximité de leur déploiement des frontières de l’adversaire. La question se pose d’une façon très différente de la période des années 1980, lorsque fut négocié le traité et lorsqu’existaient des forces intermédiaires très disparates, du fait de l’évolution psychologique qui a réduit à néant l’esprit de coopération de la dissuasion qui existait dans les années de la Guerre froide, avec la doctrine MAD (Mutual Assured Destruction), lorsque les deux grands adversaires coopéraient en même temps qu’ils s’affrontaient pour faire perdurer leurs capacités de frappe et éviter que cette capacité ne s’exprime dans un véritable conflit aux dimensions évidemment catastrophiques. Le climat est aujourd’hui complètement différent, avec une psychologie hors de tout contrôle et une tendance, essentiellement à “D.C.-la-folle”, de concevoir comme tout à fait possible soit une guerre nucléaire limitée, soit une guerre nucléaire “au plus haut niveau” gagnable sans confronter le monde à sa propre extinction ( théorie de la first strike, ou“première frappe stratégique”).
D’une certaine façon, et notamment avec l’éclairage de l’assurance de plus en plus forte, avec la caution d’une revue aussi prestigieuse que The Bulletin of the Atomic Scientists, que les USA disposent avec les batteries AEGIS (Ashore) Mk41 (Mark-41) d’un lanceur capable notamment de tirer des missiles de croisière offensifs, le retrait US du traité FNI représente une “chance”, pour la sécurité de la Russie elle-même, et du point de vue de la politique intérieure pour Poutine vis-à-vis des groupes de sécurité nationale du pouvoir en Russie. Les Russes signalent depuis plusieurs années que les batteries Mk41 sont une violation du traité FNI, et s’avèrent une menace stratégique très grave contre la Russie. Mais ces interventions politiques n’ont jamais été ni catégoriques, ni conduites jusqu’à un paroxysme d’exigence de respect du traité, sans doute de crainte de déclencher une crise de plus avec les USA. Cette attitude semble avoir été reprochée à Poutine, par les militaires notamment, et elle entre dans un cadre général de critique d’un président russe (Poutine) qui se montrerait trop laxiste par rapport aux agissements US, dans l’espoir d’améliorer les relations entre la Russie et les USA. La décision US de retrait du traité tranche en partie cette question.
Maintenant, il faut que les USA déploient effectivement de nouveaux missiles à moyenne portée en Europe, pour provoquer la riposte “asymétrique” promise qui rééquilibrerait les forces à cet échelon de la dissuasion nucléaire. En attendant, les Russes sont, selon leur propre point de vue, sous la menace des capacités des Mk41 qu’ils ont fait l’erreur de ne pas assez dénoncer ces dernières années (situation sans changement par rapport à la situation sous les conditions du traité FNI). Mais ils ont, – à nouveau, – la “chance” d’avoir en face d’eux un pouvoir US incontrôlable, qui ne réfléchit guère et manque singulièrement de subtilité, qui n’est guidé que par l’attrait de la brute force et les exigences de dépenses et de bénéfices du complexe militaro-industriel. C’est-à-dire qu’il nous paraît fort improbable que les USA sortent du traité FNI pour ne rien faire de cette sortie, du point de vue de la catégorie de missiles interdites. C’est-à-dire qu’il nous paraît très probable par conséquent que les USA déploieront de nouveaux missiles, donnant alors l’argument de la légitimité aux Russes pour déployer une présence navale proche capable d’assurer la menace de “riposte asymétrique”.
Mis en ligne le 21 février 2019 à 11H45
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