Poutine et le Mistral: le vent fraîchit

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Poutine et le Mistral: le vent fraîchit

A Paris, les 26 et 27 novembre, Poutine n’a pas conclu l’accord avec la France sur l’achat du (des) porte-hélicoptère(s) Mistral. Il y a eu clairement un “rafraîchissement” de la situation des négociations ou, plutôt, une mise en perspective qui n’est pas inintéressante. En l’occurrence, alors que les Russes apparaissaient jusqu’alors en demandeurs empressés, donc dans une certaine position de faiblesse, ils sont passés à une position d’expectative, plus durcie. Deux dépêches de Novosti résument cette évolution russe.

• A Paris, lors de la conférence de presse commune Fillon-Poutine (dépêche du 27 novembre 2009), le Premier ministre russe s’est montré prudent, réservé, voire cassant lorsqu’une question a été posée sur de possibles restrictions d’emploi de tels navires en cas de vente… Poutine : «Nous n'avons encore rien décidé sur l'achat du Mistral. […] La Russie n'a pas encore pris la décision définitive d'acheter un porte-hélicoptère français Mistral, mais n'exclut pas une telle éventualité…»

»Interrogé sur une éventuelle garantie de la Russie de ne pas se servir de ce type de bâtiment contre la Géorgie, M.Poutine a répondu que c'était à la Russie de décider de l'endroit où il fallait se servir de ses armements achetés.»

• En Russie, pendant ce temps, et selon une simultanéité qui ne doit rien à la coïncidence, le vice-Premier ministre Setchine annonçait que la Russie pourrait très bien se passer du Mistral (dépêche Novosti, également du 27 novemnre 2009): «Au lieu d'acheter un porte-hélicoptères français de type Mistral, la Russie pourrait construire elle-même un bâtiment analogue, a déclaré aux journalistes le vice-premier ministre russe Igor Setchine. “Il s'agit en principe d'un navire de classe Ro-Ro [roulier]. Nous sommes en mesure de construire des bateaux de ce genre”, a-t-il affirmé, ajoutant qu'en cas de commande du ministère de la Défense, elle pourrait être confiée à la Compagnie unifiée de constructions navales.» Vrai ou pas, cette affirmation consiste à dire diplomatiquement à la France: nous ne dépendons pas de vous dans cette affaire.

Là, il va y avoir du sport… La question posée à Poutine, qui s’attire une réponse pincée sinon glacée, ne concerne rien de moins que le domaine de la souveraineté nationale. Moscou est, là-dessus, absolument intransigeant. Il achète un système, son usage ne dépend que de la décision souveraine de la Russie, point final. Comment un journaliste bien informé peut-il penser qu’il en soit autrement – mais il y a bien informée, et bien intentionné… Il ne fait guère de doute que c’est sur ce terrain que portera l’attaque des adversaires de la vente du Mistral, qui sont également les ennemis de la Russie, faits des divers composants et relais des réseaux établis durant les années 1996-2004 par un assemblage de néo-conservateurs, d’agents d’influence d’organisations privées, de souteneurs (dans le sens noble d’“une personne qui défend une idée”) venus du complexe militaro-industriel, etc. On en trouve d’autres échos dans les déclarations d’un des ministres d’un des trois pays baltes insistant pour que la France, si elle le décide, vende le Mistral sans équipements de “hautes technologies” (peut-être, aussi, sans moteurs ni hélices?).

Ce n’est pas un terrain facile pour les adversaires de la vente du Mistral, car il s’agit d’une dimension impérative des Etats ayant encore quelque substance, ce qui est le cas des deux pays impliqués (France et Russie). Au bout du compte, c’est peut-être plus le cas encore pour les Français que pour les Russes eux-mêmes. Les Français ont bâti toute la logique de leur politique d’exportation d’armement sur le respect de la souveraineté de l’acheteur et sur l’absence de restriction sur les technologies, exactement à l’inverse de la politique infiniment restrictive des USA. (Cela, la politique US, c’est évidemment la référence dans le sens de la vertu, ce qui n’étonnera pas, qu’ont à l’esprit tous les adversaires de la vente.) Les Français ne peuvent évidemment contrevenir au principe du respect de la souveraineté (dans ce cas, celle de l’acheteur) en attachant à une vente de cette importance des restrictions aussi grotesques que celles qui sont suggérées ici et là. Ce serait tout le fondement de la politique française qui serait mis en cause, un cas de jurisprudence dévastateur.

Par contre, si les adversaires de la vente continuent sur cette voie, comme dans d’autres domaines de cette affaire, ils risquent de susciter des débats d’une importance très intéressante. Un débat sur la souveraineté nationale en France et en Europe, par les temps qui courent qui sont autant ceux du JSF que ceux du Mistral, serait effectivement du plus grand intérêt. (Mais le “parti des salonards” français, qui mène la charge contre le Mistral connaît-il le JSF, qu’Alexandre Adler nommait JSK – pour “Joint Strauss-Kahn”, sans doute – dans une chronique accidentellement consacrée à cette affaire?) C’est l’avantage de cette sorte d’imbroglio, que de mettre au grand jour des questions délicates qu’on traite en général par le silence enrichi par l'inculture et par l'impolitesse, méthode aujourd’hui favorite pour résoudre les problèmes les plus délicats.

 

Mis en ligne le 30 novembre 2009 à 07H11