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5481On a déjà lu un commentaire d’un article du Russe Artem Loukine, nouveau-venu parmi les collaborateurs de RT.com. (Voir le 21 juillet 2020 : « ... Artem Loukine, professeur associé en relations internationales à l’Université Fédérale d’Extrême-Orient, à Vladivostok, dans un univers russe plus proche de l’Asie que de l’Europe. ») Tenant compte de sa position et de sa collaboration à RT.com, donc destiné aux lecteurs US du réseau russe, on avancera l’hypothèse que ses interventions, qui portent essentiellement sur les USA et les rapports entre la Russie et les USA, constituent indirectement un ‘message’ que les Russes entendent passer vers les USA, les gens sérieux s’il y en a encore à Washington D.C., – notamment pour mettre sur la table, dans des termes dépourvus de toute concession au Politiquement-Correct (PC), certains dossiers sérieux qu’on a trop peu l’habitude de prendre au sérieux.
(Cette hypothèse peut-elle être renforcée par l’appréciation, si celle-ci est fondée, de PhG selon laquelle Loukine « apparaît comme plutôt amical pour les USA, – presqu’un ‘occidentaliste’ dans l’échiquier idéologique russe, – pourtant avec le constat extrêmement juste et audacieux à la fois qu’aujourd’hui l’hypothèse de l’effondrement des USA n’est plus une fantaisie ; il n’est pas vraiment de mon parti mais son honnêteté de l’esprit apparaît avérée... » On définirait alors Loukine comme un ‘occidentaliste critique’ [du comportement US actuel] dans l’échiquier russe, ce qui en ferait effectivement le vecteur idéal pour s’adresser à des lecteurs US, proches des milieux officiels ou de la communauté de la sécurité nationale.)
Ainsi serait-on conduit effectivement à considérer de la sorte, – un ‘message’ pour Washington D.C., – ce curieux ou étrange article sur la ‘nord-coréanisation’ de la Russie (le néologisme est employé dans le texte lui-même et constitue effectivement la démarche essentielle de l’article). Comme l’on comprend aussitôt, il s’agit d’une hypothèse sur la Russie devenant une sorte de Corée du Nord géante, par rapport à la Chine, et pour la plus profonde préoccupation des USA. L’hypothèse est à la fois inattendue et curieusement/étrangement pleine de contradictions qui suscitent des effets indirects, ou dans tous les cas cherchent à susciter des effets indirects eux-mêmes inattendus...
Pourquoi considérer comme ‘curieux’/’étrange’ cet article ? Il développe plusieurs points qui enchaînent sur une évolution de l’analyse effectivement inhabituelle.
• D’abord, Loukine constate l’évidence de l’affrontement US de la Chine, laquelle est du coup, de ce fait, élevée à la fonction d’hyperpuissance ; du coup également, la Russie est moins considérée comme une menace importante, – ce qui, nous assure Loukine, ne plaira pas à la Russie... « Le pivotement de l’Amérique vers la Chine comme principal adversaire signifie que la Russie est reléguée au rôle de croque-mitaine secondaire. Mais si la Russie est à la traîne par rapport aux prouesses économiques de la Chine, ses ambitions et ses moyens militaires signifient qu’elle ne se laissera pas ignorer pour autant... »
• Loukine fait alors une analogie avec la Corée du Nord : ce pays est une sorte de menace de convenance, soutenue par la Chine qui est satisfaite de voir ainsi un pays d’importance secondaire “occuper” les USA dont on connaît la propension à voir des ennemis partout et à les grossir démesurément selon les nécessités psychologiques, industrielles et autres. Selon l’analyse de Loukine, la Russie deviendrait selon l’évolution des USA une sorte de “super-Corée du Nord”, infiniment plus puissante que la Corée du Nord, mais occupant la même place dans la graduation des hantises US, – et par ailleurs encouragée en cela par la Chine...
• Loukine annonce que la Russie serait mécontente de se voir ainsi rétrogradée au rang de “menace secondaire”, sorte d’annexe de la puissance chinoise, parce qu’ainsi elle perdrait aux yeux du monde (?) le statut de superpuissance qu’elle partageait jusqu’alors avec les USA.
• Au contraire de ce que croient les USA selon Loukine, c’est à ce moment où l’on minorerait son rang en la laissant tranquille et la prenant pour menace négligeable, que la Russie deviendrait vraiment menaçante ; et là aussi et encore, avec les encouragements de la Chine...
« Avec l’ours, la tâche semble relativement facile : il suffit de tenir la Russie à distance par une combinaison de dissuasion militaire et de sanctions économiques. Mais cette logique peut s’avérer sérieusement défaillante. Et si l'ours refuse de se morfondre tranquillement dans sa tanière ? La décision de Washington de déclasser la menace russe ne sera guère appréciée à Moscou. Elle pourrait plutôt pousser Moscou à adopter une position plus agressive. Pourquoi ? Parce que Moscou continuera à réclamer l’attention de l’Occident pour obtenir la reconnaissance de son statut de grande puissance et la satisfaction de ses intérêts sécuritaires et économiques fondamentaux. Et le Kremlin peut être infiniment créatif dans la conception de moyens pour rendre la vie, eh bien, intéressante pour les pays de l'OTAN. Si elle prend la résolution de le faire, la Russie, – même en état de déclin, – peut tenir l’Europe, et éventuellement certaines parties du Moyen-Orient, en danger permanent, en les gardant en alerte et en forçant les États-Unis à maintenir des engagements militaires substantiels sur les théâtres européen et moyen-oriental. »
• Dans sa conclusion, Loukine développe une thèse radicale : la Russie n’accepterait certainement pas d’être ‘rétrogradée’ dans la hiérarchie des puissances/des menaces. Au contraire, cette perspective accentuerait clairement son agressivité, avec des moyens considérables pour le faire. Le seul moyen pour les USA d’éviter une telle évolution serait de reconnaître les intérêts de sécurité de la Russie, notamment en Europe et au Moyen-Orient, d’abandonner toutes les pressions contre ce pays (notamment les sanctions) et de laisser s’établir des relations normales avec lui. Comme l’on voit, l’enjeu est placé très haut...
« Pyongyang agit comme un tampon stratégique pour la Chine en Asie du Nord-Est. Il constitue également une sérieuse distraction pour les États-Unis dans la région Asie-Pacifique, empêchant le Pentagone de se concentrer entièrement sur la puissance chinoise. C’est l’une des raisons pour lesquelles Pékin soutient la dynastie des Kim, en lui fournissant une bouée de sauvetage économique. La Russie est bien placée pour jouer un rôle similaire pour la Chine et, bien sûr, elle a le potentiel pour jouer ce rôle d’une sorte de “divulgâcheur” à une échelle beaucoup plus grande.
» La décision de Washington de ne plus considérer la Russie comme la menace stratégique majeure ne contribuerait guère à réduire la position de puissance de la Russie. Elle n’envisagerait certainement pas de s’effacer discrètement de la scène. Au contraire, une telle situation pourrait même pousser la Russie à agir de manière plus audacieuse et plus agressive, très probablement en étroite coordination avec la Chine.
» La seule façon pour les États-Unis d’éviter le scénario ci-dessus serait de trouver un arrangement avec la Russie, y compris la levée des sanctions et la reconnaissance des lignes rouges de Moscou en Europe. Cela semble être un lourd tribut à payer, surtout si l'on considère les hystériques inévitables qui viendraient de Pologne, des pays baltes et de quelques autres Européens. L’humeur actuelle à Washington est que les États-Unis sont capables de faire face à la fois au dragon et à l’ours. Il ne semble donc pas nécessaire de faire des compromis difficiles entre le Pacifique et l’Europe. C’est peut-être vrai, pour l'instant. Mais, comme la Chine continue d’accumuler de la puissance, Washington pourrait être contraint de reconsidérer sa position. Il suffit d’attendre. »
La Russie a-t-elle besoin de l’assentiment des USA, – par ailleurs au bord de la désintégration, comme l’observait le même Loukine le 21 juillet 2020, – pour se considérer comme une ‘puissance’ qu’on traite comme telle, avec respect et considération ? Il est difficile de donner une réponse, tant la politique du bloc-BAO (dont les USA, certes) vis-à-vis de la Russie est littéralement indescriptible, basée sur une avalanche de simulacres et de mensonges divers, de fantasmes dictés aussi bien par le PC en cours que par les affrontements internes dans tous les pays du bloc (et ô combien aux USA !) ; il est encore plus difficile de donner une réponse, tant la politique russe vis-à-vis du bloc-BAO et des USA est elle-même rendue, en toute logique, extrêmement complexe par la politique des pays du bloc...
L’étrangeté du texte observé ici se trouve dans ceci que l’auteur, Russe lui-même, professeur, publié par RT.com, écrit sur la Russie comme si la Russie était en cours de décadence, sinon d’effondrement. L’ours est “maigre et affamé”, tandis que le dragon chinois est dans une forme tonitruante. C’est pourquoi les USA, convaincus eux-mêmes de cette analyse, “méprisent” la menace russe pour se concentrer sur celle de la Chine, comme s’ils étaient encore les maîtres du monde. Loukine écrit ainsi comme s’il respectait le jugement US, voire à certains moments le partageait ; comme si vraiment la Russie formait sa politique en fonction de ce que pensent d’elle les États-Unis, et selon l’importance de la “menace” qu’elle (la Russie) représente. On ne sait s’il se fait l’avocat du diable ou s’il croit vraiment que tout cela correspond à une réalité ; et cette ambiguïté, évidemment, participe largement au sentiment qu’on a de l’étrangeté du texte par rapport au contexte qu’on a décrit.
On admettra que “tout cela” est effectivement à mille lieues de ce qu’on l’on sait et voit de l’action du gouvernement russe, et également de tout ce qui est perçu de la Russie dans d’autres pays, par exemple au Moyen-Orient où cette puissance est fortement respectée tandis que les États-Unis sont plutôt méprisés. Pourtant, il est possible que le texte de Loukine réponde à une analyse des sphères gouvernementales russes, voire qu’il constitue véritablement un ‘message’ que la Russie adresse à la communauté de la sécurité nationale de Washington D.C., qui est aussi “D.C.-la-folle”. Il s’agirait alors d’avertir cette communauté que sa sous-estimation systématique des capacités russes pourrait conduire la Russie à chercher à se réaffirmer pour protéger et renforcer son statut. Il s’agirait également, pour les Russes qui sont les premiers informés sinon convaincus de l’effrayant état de la psychologie collective de l’américanisme, de tenter de percer ce mur de folie qui enserre Washington par des hypothèses menaçantes concernant le comportement russe.
…Il pourrait enfin s’agir d’une véritable résolution de la Russie, de faire sentir aux esprits fermés et enflammés de “D.C.-la-folle” qu’ils risquent gros en pratiquant une politique russe sans nuance ni souci de la réalité. Sachant là encore que les Russes et Poutine sont parfaitement conscients de la dangerosité de la situation américaniste, et aussi et surtout de cette singulière situation psychologique, on peut faire l’hypothèse que la Russie est éventuellement prête à se départir de sa prudence proverbiale pour se dresser contre les errements et le désordre américanistes.
La question devient en effet : Poutine, qui sait bien l’immense crise où nous sommes plongés, finirait-il par se convaincre qu’on ne peut plus rien faire de mesuré avec et vis-à-vis des USA, quel que soit l’élu du 3 novembre, s’il y en a un, et qu’alors il est préférable de s’affirmer avec le plus de force possible ? Il y a des limites qui marquent combien il devient impossible de continuer à tenter de dialoguer.
C’est certes faire beaucoup dire à un texte, et un seul texte dans ce sens, à partir de données incertaines. Mais il est vrai que nous sommes dans une époque incertaine, où les moyens de communiquer sont mis à rude épreuve malgré qu’ils soient nombreux et incroyablement puissants. Par conséquent, rien n’empêche d’explorer des hypothèses en apparence audacieuses et souvent, au contraire, certains faits y invitent.
Alors, dans cette veine, et puisque le terme est à la mode et choque le politiquement-correct, employons-le : Poutine s’est-il convaincu de l’ensauvagement des USA, et par conséquent de l’ensauvagement du monde ? Et alors convaincu que, pour durer, il faut paraître au moins aussi ‘sauvage’ que ceux qui suscitent cette tendance ?
Mis en ligne le 4 août 2020 à 16H50