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101516 mai 2014 – D’une façon très générale, dans une époque où l’“information officielle” n’a plus aucun crédit à cause de sa perte complète de légitimité et donc son absence complète de ce que nous nommerions son “autorité objective”, la production de l’armement dans l’empire budgétaire opérationnalisée en usine à gaz qu’est le Pentagone est considérée essentiellement comme une activité totalement corrompue du système du technologisme dans le but quasi-exclusif de la production de profit. On ne prend plus aucune peine pour tenter de masquer cette vérité de situation, et l’industrie de l’armement US accrédite totalement cette thèse par un comportement stratégique univoque qui a transmuté l’activité de sécurité nationale de production d’armement (qui prenait en compte les intérêts nationaux) en une activité capitalistique de production d’armement pour produire du profit.
Cette interprétation qui fut pendant longtemps considérée comme subversive et caricaturale est devenue aujourd’hui une sorte d’image d’Épinal postmoderniste. Elle est dite sans la moindre doute ni la moindre hésitation par des personnalités occupant ou ayant occupé des postes de responsabilité essentiels dans le Système. On cite par exemple le colonel Lawrence Wilkerson, qui fut le chef de cabinet et le confident du secrétaire d’État Colin Powell, de 2001 à 2005 (le 14 mai 2014, sur ZeroHedge.com) : «That's a good point. I would say – and I don't subscribe to conspiracy theories, normally – but I would say there were forces behind that shadow, if you will, who were doing quite well. Swiss, Germans, Americans and others who were more or less feeding off the conflict, and got very wealthy feeding off the conflict.
»Just as they did off of World War 1, even more predominately with respect to the United States, in particular. German reparations and so forth. We made a ton of money off of World War 1. And we really didn't contribute a whole lot, if you remember. We were really only there substantially for a very short period of time, roughly April 1917 until Armistice Day...»
Cette espèce d’ingénuité dans l’identification d’une telle situation subversive est partagée par ceux-là même qui, au contraire du colonel Wilkerson, sont rétribués par l’industrie d’armement pour faire la promotion de ses produits. Leur absence complète de dissimulation dans ce rôle les libère, d’une certaine façon, d’une espèce d’hypocrisie qui grevait auparavant leur discours de spécialiste dans les matières “nobles” affectées par l’armement, et fait de ces menteurs professionnels, par moments qu’il s’agit de saisir au vol, des diseurs de vérité par inadvertance et souci du travail bien fait. Ainsi en est-il de Loren B. Thompson, lobbyiste patenté de l’industrie d’armement US, mais aussi et ainsi commentateur intéressant de matières stratégiques. On a déjà lu, à deux reprises (le 14 mars 2014 et le 28 avril 2014), des commentaires de lui sur la crise ukrainienne qui mettaient en évidence combien cette crise était dangereuse, notamment du fait du risque d’un affrontement nucléaire au plus haut niveau, entre les USA et la Russie.
Plus récemment, Thompson signe un long commentaire dans sa chronique de Forbes, le 12 mai 2014 où l’on voit se marier avec bonheur, — cela est une façon de dire, certes, – ses talents de commentateur et ses talents de lobbyiste. Ainsi parvient-on à une vérité industrielle, stratégique et politique d’un certain intérêt. Cette vérité commence par un éloge sans nuances de la puissance russe, ou plus précisément de la puissance nucléaire stratégique russe ainsi restaurée. Thompson parle de cet exercice de simulation de la réaction de la direction russe à une première frappe stratégique nucléaire...
«As the well-sourced Bill Gertz of the “Washington Free Beacon” pointed out, the exercises included the first test of a Russian sea-launched ballistic missile in the Pacific theater in over a decade, and followed close on the heels of an April 14 test of a new land-based intercontinental missile that simulated the use of multiple warheads. Last week’s demonstrations of firepower were witnessed by representatives of four Russian allies — all of them former Soviet republics — at the Russian National Command Center.
»The main reason these alarming developments didn’t get more coverage in Washington was that U.S. political elites do not fully grasp the challenge Putin is posing. Having been treated to a continuous stream of commentaries about how Russia’s annexation of Crimea reflects weakness rather than strength, they have failed to see that recovering the former territories of the Soviet Union is Putin’s solution to the specter of decline. If America and its allies cannot present a more convincing response to Moscow’s rediscovered expansionist impulses, then Putin will continue on the path that has already given him approval ratings above 80% with the Russian public.
»Which brings me back to that Russian nuclear arsenal. Without it, Russia really is no more than the faltering regional power that President Obama and Secretary of State Kerry have described. With it, though, Russia represents the one existential threat to the future of American democracy. It is a threat that far exceeds the potential dangers posed by terrorism, cyberattacks or even biological weapons, because it could literally destroy the foundations of democracy in a day.
»Putin correctly calculates that Washington will not do anything potentially risking nuclear use. Intelligence analysts can argue endlessly about what Putin might really do if he felt his power being undermined by U.S. military moves, but knowing what he could do is enough to deter America from decisive action. Even if he occupies Ukraine. So without some way to blunt the threat posed by Russia’s nuclear weapons, it’s hard to see what will deter Mr. Putin from gradually reassembling the Soviet Union that he misses so much...»
L’article que cite Thompson est effectivement de bonne source pour ce qui concerne la politique stratégique russe, mais d’une source orientée. Gertz, qui travaille au Washington Times, est bien informé dans les milieux stratégiques US, mais aussi dans les milieux idéologiques de type neocon et assimilés. Nous avons donc dans son texte des évaluations qui existent effectivement dans les milieux officiels et spécialisés (milieux techniques des questions stratégiques et nucléaires), ainsi qu’une tendance générale et idéologiques d’interprétation rassemblant aussi bien les milieux stratégiques techniques que les milieux idéologiques type-neocon, avec une corrélation entre les deux. Publié sur le site Washington Free Bacon le 8 mai 2014, cet article de Gertz précise notamment, après avoir décrit l’exercice russe de simulation (accompagné de tirs réels d’exercice de missiles stratégiques nucléaires russes SS-N-23, SS-25 et SS-27 alors en cours) et son importance :
«Former Pentagon official Mark Schneider said the exercises are unusual and appear aimed the West. “This type of exercise is normally held in the fall not the spring. Holding it now suggests to me that the intent was nuclear intimidation against NATO over the Ukraine,” he said. [...] The war games also followed the Obama administration’s recent rejection of a Russian proposal aimed at resolving U.S. and Russian differences over missile defenses. Moscow wanted an agreement with legal restrictions on European-based defenses and the administration rejected the plan and cut off further talks because of the Crimea annexation...»
L’extrait ci-dessus renvoie sans le moindre doute à une autre partie du texte de Thompson, auquel nous revenons. On pourrait dire que Getz a inspiré Thompson mais nous dirons plutôt qu’il suit une ligne générale qui inspire également Thompson, qui rassemble aussi bien deux éléments du complexe militaro-industriel qui sont objectivement alliés dans cette affaire, les services gérant la composante des antimissiles balistiques (BMD) aux USA, au sein du Pentagone et des planificateurs stratégiques, et les intérêts de l’industrie d’armement engagée dans ces programmes. Il s’agit d’une offensive de pression stratégique et de pression sans précédent.
Thompson, après avoir décrit l’arsenal russe et l’activité stratégique nucléaire russe comme on l’a vu, passe directement à ce qu’il juge être la conséquence nécessaire et urgente, déjà suggérée par Gertz. En ce sens, il prolonge, substantive, élève le propos de Gertz jusqu’à une affirmation qui constitue un véritable appel aux armes ...
«What that should mean is that missile defense becomes a much bigger part of America’s military posture than it is today. The United States currently spends only about 1% of its $600 billion military budget on defenses against missile attack, and much of that is for defense of allies and deployed military forces rather than the homeland. Washington largely gave up on funding active protection of the homeland after the Reagan years, judging the technical challenges to be too great and the collapse of the Soviet Union to be an opening for massive reductions in nuclear arsenals.
»Both judgments were correct a quarter-century ago, but things have changed. There have been huge advances in technologies relevant to missile defense, while Russia has recovered its footing and begun exhibiting some of the expansionist tendencies that so worried Western leaders in the bad old days. So continued reliance on a nuclear posture that offers no real defense against nuclear attacks – accidental or deliberate, authorized or unauthorized – looks increasingly foolish. Enough time has passed since the ideological debates of the late Cold War period to consider the possibility that even imperfect defenses might strengthen deterrence by making Russian leaders doubt the success of their nuclear plans in wartime. [...]
»In order to field a defense capable of significantly degrading this very potent arsenal, the U.S. would above all require two things. First, it would need a layered defensive network that is highly reliable and resilient, since leakage of even a few warheads through the perimeter would cause damage without precedent in U.S. history. Second, it would need defensive technologies offering a favorable cost-exchange ratio in defeating attackers — meaning systems that cost less to defeat each incoming warhead than it would cost for the Russians to add another warhead to their arsenal, so they cannot overcome the defense by simply expanding their offensive forces.
»The prevailing view among U.S. elites for two generations now — basically since the advent of the ICBM — has been that this was just too hard to do. The thinking was that there were too many ways of circumventing or negating strategic defenses to make the required expenditure of resources worthwhile. Unfortunately, that meant that U.S. survival would depend for the foreseeable future on the hope that nuclear-armed adversaries were (1) sane, (2) not accident prone, (3) always in complete control of their nuclear forces, and (4) not inclined to take big risks in pursuit of political goals. Over the long run, one or more of these assumptions is likely to prove unrealistic. Vladimir Putin’s recent actions may be concrete evidence thereof...
Thompson a donc mis en place son plan d’argumentation, passant complètement de l’analyste stratégique qui tente de maintenir une position nuancée, à l’argument du stratège lobbyiste qui a comme but de faire la promotion de systèmes dont il démontre par ailleurs la nécessité stratégique. Ainsi propose-t-il une complète révision de l’effort de développement des systèmes BMD (en Europe et ailleurs, même si spécialement en Europe par connexion avec la crise ukrainienne). Il ne propose rien de moins qu’une augmentation des crédits pour les programmes BMD de 1% à 10% du budget entier du Pentagone. L’énormité de la proposition d’augmentation est en soi une indication de l’ampleur, de l’ambition, et des conditions jugées favorables à son déploiement, de l’offensive pour favoriser un effort maximum pour les systèmes BMD. Au reste, Thompson ne prend plus aucun gants ; il délaisse une certaine mesure qu’il montre en tant qu’analyste stratégique laissant de côté ses consignes de lobbyistes, et épouse au contraire toutes ses consignes en modifiant radicalement sa vision de la politique de Poutine, perçue dans ce cas comme une politique expansionniste, conquérante, agressive, mettant en danger décisivement et “apocalyptiquement” si l'on veut, les USA, conformément aux canons de type-neocons du genre ; bref il en fait un véritable “Hitler nucléaire” : «I’m guessing that we could do a lot more than was feasible in the Reagan years – maybe enough to make Mr. Putin rethink his goals.»
Il ne fait guère de doute pour nous que ces arguments, constructions, etc., ont une très forte signification. Ils témoignent de l’alliance renouvelée, mise à jour et puissamment renforcée par la tension entre les USA et la Russie, entre la “communauté BMD” du Pentagone et les extrémistes idéologiques type-neocons. Ils indiquent un changement de tactique de plus de cette alliance, essentiellement dans le chef de la narrative extrémiste qui est ainsi mise à jour, ou “au goût du jour” : 1) Poutine et la Russie n’ont pu être mis à la raison pour l’“agression douce” ; 2) l’attaque plus brutale contre l’Ukraine, le “coup“, etc., ne parviennent pas à bloquer son expansion offensive (parce qu’il ne peut être question que d’expansion offensive dans cette interprétation) ; 3) nous en sommes donc à une marche offensive et hégémonique type “Hitler nucléaire”, potentiellement le plus grave danger qui ait jamais menacé l’Amérique. Du coup, bien entendu, la réapparition pour une poussée extrêmement puissante pour le système BMD “global”, qui devient évidemment antirusse.
Ce dernier point introduit subrepticement mais d’une façon très significative qui ne va pas manquer de faire sentir ses effets un retournement complet de l’argument central (de la narrative, là aussi) de la partie européenne des BMD (disons, BMDE). L’argument initial d’une BMDE destinée à contrer des missiles iraniens ou nord-coréens se dissout à une vitesse supersonique, d’autant plus vite qu’à cet égard si le ridicule ne tue plus il aide tout de même parfois à une liquidation sommaire de l’argument. Les neocons et autres vont être évidemment infiniment plus à l’aise avec l’argument d’une BMDE antirusse. Bien entendu, d’autres effets sont à attendre, par exemple lorsque tous les pays de l’OTAN (et de l’UE associés, puisque les deux, – OTAN et UE, – vont si bien ensemble, nous dit-on) commenceront à réaliser que la BMDE est effectivement développée et déployée contre la Russie. Nous n’en sommes pas encore là mais nous pourrions y arriver bien vite, et il sera temps alors de goûter les diverses facettes de cette situation nouvelle...
Par contre, les Russes, eux, ne seront pas lents à réaliser ce “passage à l’acte” de ce qu’ils affirment depuis le premier jour concernant la BMDE, qu’il s’agit d’une composante stratégique développée pour réduire l’efficacité de leur arsenal nucléaire. De ce point de vue et dans le climat de confrontation actuel, ce tombé du masque est capital, en emportant les dernières hésitations, en faisant de la communication, soudain, un facteur fondamental du débat stratégique. Un tel développement apparaît alors comme un acte de rupture de l’équilibre nucléaire stratégique en faveur de la recherche par un moyen indirect d’une première frappe nucléaire stratégique victorieuse (contre la Russie) qui, dans le contexte, peut s’apparenter en valeur et en gravité stratégiques à ce que les USA perçurent en 1961-1962 du déploiement de missiles nucléaires russes à portée moyenne à Cuba, – jusqu’à la “crise des fusées” de Cuba d’octobre 1962. “Dans le climat actuel”, justement, et comme en 1962, et peut-être plus qu’en 1962, ce développement peut justement être apprécié comme un acte d’agression dans le domaine suprême de la stratégie, – la capacité nucléaire stratégique. Ainsi, la combinaison des deux compères (complexe militaro-industriel et extrémistes politiques) conduit à une rupture qui implique directement une menace d’affrontement nucléaire.
A ce point, et pour bien comprendre la substance et la signification profonde du processus décrit, nous revenons comme approche de notre explication à ce membre de phrase du début de notre texte : “...la production de l’armement dans l’empire budgétaire [...] qu’est le Pentagone est considérée essentiellement comme une activité totalement corrompue du système du technologisme dans le but quasi-exclusif de la production de profit”. En considérant les conséquences possibles considérables du phénomène, cela apparaît comme une interprétation bien plate, une interprétation de lobbyiste, une interprétation “humaine, trop humaine”, quand l’humain est tombé au plus bas qu’il est possible dans cette époque décisive où l’empire du Système domine tout.
En effet, il existe une autre interprétation, qui serait que le système du technologisme, composant du Système, a lui-même son objectif en tant qu’entité autonome, et que cet objectif n’a rien à voir avec le profit, et tout avec la poussée de surpuissance inhérente à ce système, qui constitueraient avec un habillage adéquat l’accomplissement décisif des desseins idéologiques (notamment des neocons) renvoyant à l’idéal de puissance. Dans ce cas, le manipulateur change de camp : ce n’est plus le sapiens qui manipule le système du technologisme pour “produire plus de profit” comme le colonel Wilkerson le dit de la production d’armement, mais le système du technologisme qui manipule le sapiens avide de “produire du profit” de façon à le mettre à son service, pour contribuer à en faire un exécutant et un animateur de ses propres capacités d’extrême de surpuissance. (Dans ce cas, l’idéal de puissance apparaît alors, considéré du point de vue du Système, comme le faux-nez humain, la
Des deux termes de l’alternative d’explication exposée ici, nous choisissons le second, tant la faiblesse du sapiens “tombé au plus bas qu’il est possible” le met complètement sous l’empire du Système. Il n’est pas besoin d’atteindre le stade de la robotisation où les robots vont remplacer sapiens pour constater que c’est, d’une certaine façon, en train de se faire entre le Système d’une part, le sapiens-Système d’autre part, et qu’ainsi le sapiens-Système peut sans la moindre difficulté faire office de robot, sans l’embarras des boulons, des fils électriques et des technologies plus avancées.
Mais reprenons le problème selon un autre point de vue, en nous référant à notre image dans le sous-titre, – “cela ramène la pensée extrémiste US en 1983”, – année où Reagan parlait de “The Empire of Evil” (l’“Empire du Mal”), le 9 mars 1983, en se référant selon la pensée hollywoodienne de ce président, à la Stars War de George Lukacs qui triomphait alors (Stars War, effectivement, le surnom donnée à la défense antimissile, la SDI qui était la BMD d’alors...). A cette époque déjà, il était question de lancer un effort décisif qui donnerait ses effets quatre ou cinq ans plus tard. Un quart de siècle et plus de $200 milliards plus tard, on n’a pas notablement avancé, – et, à notre sens, beaucoup moins à cause des limites technologiques et des limites budgétaires, – tout cela, fausses excuses et explications bancales, – que de la gestion catastrophiquement abyssale de l’usine à gaz pentagonesque. Ainsi, lancer un effort contre l’“Hitler nucléaire” qu’on sait revient à revenir à d’autres considérations, à d’autres travers du Système, c’est-à-dire à l’embourbement inévitable que cette sorte d’option bureaucratique et technique implique. L’urgence du programme tel qu’il est présenté par les forces qui en font la promotion signifie simplement son contraire : l’engagement dans une structuration bureaucratique et budgétaire de très longue haleine qui est le contraire de l’urgence. (Le budget BMD passant de 1% à 10% du budget du DoD selon la suggestion désintéressée de Loren B., signifie que la mise au point du programme BMD qui ne fonctionne pas plus ni mieux qu’en 1983 va accentuer sa paralysie sous le poids de l’amoncellement des $milliards, – selon un processus désormais classique qu’a démontré notamment Winslow Wheeler à propos du JSF. Le surcroît de budget est devenu aujourd’hui absolument contre-productif et fauteur de catastrophes de développement sans nombre en encourageant les innovations technologiques paralysantes, la bureaucratisation des systèmes, la parcellisation de la programmation, etc.)
Ce qui reste alors ou plutôt ce qui s’établit avant même la mise en place du développement des projets de réorientation stratégique, c’est une structuration du système de communication entérinant l’antagonisme entre les USA et la Russie au plus haut niveau des capacités, les positions étant fixées dans des symbolismes tels que l’“Hitler nucléaire” pour les Russes par leurs adversaires, et la perception par les Russes que le Système et les USA sont irrémédiablement engagés dans un effort de liquidation total, d’holocauste de la Russie. Effectivement, pour les Russes, cette orientation stratégique des USA entérinant l’officialisation de la fonction antagoniste du nucléaire stratégique russe des programmes BMD reviendrait à fixer dans le développement structurel de la politique stratégique des USA (sans préjuger dans ce cas de celle des autres pays du bloc BAO), c’est-à-dire dans la politique-Système, l’idée non plus seulement de l’antagonisme avec la Russie mais de la liquidation de la Russie. (Ce que Leonid Chebarchine, ancien chef des services soviétiques de renseignement extérieur, résume selon ce jugement déjà cité que «la seule chose que l’Ouest attend de la Russie c’est que la Russie n’existe plus».)
Les choses allant très vite dans une époque de contraction du temps et d’accélération de l’histoire sous la pression de la métahistoire, il est manifeste qu’il n’est nullement nécessaire de constater le développement et la mise en place des réseaux BMD pour entériner l’idée qu’une telle initiative implique, c’est-à-dire l’idée pure et simple de la liquidation de la Russie. Ce que nous entendons proposer par là, c’est l’hypothèse que cette poussée très probable des forces identifiées en faveur d’un programme de développement de BMD, avant même d’obtenir un résultat stratégique concret, au niveau du système du technologisme, va obtenir un résultat bien plus concret et décisif au niveau de la communication, c'est-à-dire du point capital de l'influence sur les psychologies. Il s’agit de l’évolution à partir d’une situation d’antagonisme tactique sur le terrain (dans la crise ukrainienne) et d’ores et déjà des extension stratégique significative (comme celle de la “dé-dollarisation”), vers une accélération et un renforcement de la tendance irrésistible à fixer une situation d’antagonisme stratégique direct et sans retour, qui se concrétiserait ou non dans des risques directs d’affrontement nucléaire, mais qui fixerait dans tous les cas, et cela très rapidement, la Russie dans son rôle d’instrument antiSystème de l’affrontement métahistorique en cours.
Il s’agit d’une évolution métahistorique irrésistible, assignant à la Russie un rôle fondamental dans la séquence actuelle, quelle que soit la perception que ses dirigeants ont de leurs intérêts nationaux. La Russie a d’ailleurs déjà entamé cette évolution, en affirmant des prises de position culturelles et spirituelles qui participent avec force à cette structuration d’un affrontement au plus haut niveau, – à cet égard, la posture du différent spirituel correspond, au niveau de l’esprit, à la posture d’affrontement nucléaire au niveau stratégique. Ainsi, le projet d’expansion et de réorientation du BMD ne nous intéresse-t-il en aucune façon au niveau de sa réalisation, qui tient du phantasme, de la course au profit et de la paralysie de la planification du système de l’américanisme ; il nous intéresse au niveau de la communication, par ce qu’il signifie d’irréversible dans l’affrontement USA-Russie, dans le sens primordial où cet affrontement traduit un affrontement entre le Système et l’antiSystème. Il va bien au-delà de la crise ukrainienne et de tout ce qu’elle recèle, il renforce l’hypothèse que nous nous trouvons dans la phase finale de la crise d’effondrement, – lequel effondrement devrait largement précéder la possibilité de réalisation d’un véritable système BMD comme le rêve Loren B. Thompson.
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