Poutine, le complot et l’inconnaissance

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Hier, la nouvelle a été diffusée en Russie d’un complot pour assassiner Poutine après le premier tour de l’élection présidentielle, déjoué par les services de sécurité russes coopérant avec ceux de l’Ukraine. L’affaire a été dévoilée par la chaîne de télévision russe dite Channel One. Parmi divers comptes-rendus, tous très détaillés sur les conditions de l’opération et l’intervention des services de sécurité, avec arrestation de deux personnes, on peut consulter Itar-Tass du 27 février 2012.

«Main Russian terrorist Doku Umarov ordered the assassination of Prime Minister Vladimir Putin, which was exposed and prevented by Russian and Ukrainian security services, TV Channel One reported on Monday. Umarov who heads the Caucasus Emirate terrorist organisation blacklisted by the UN Security Council, is responsible for numerous terrorist acts in Russia. For the terrorist act the bandits were planning to use military mines. They were carefully studying the movements of Putin’s motorcade and intended to commit the crime after the March 4 presidential election.»

Des précisions et des réactions, et des interprétations, ont aussitôt été données de sources diverses en Russie. Elles insistent en général sur le caractère extrêmement grave de cette affaire, avec l’interprétation qu’il s’agit d’une volonté de déstabilisation aux conséquences importantes.

Russia Today rapporte, ce 27 février 2012, des réactions de divers parlementaires qui, tous, insistent effectivement sur l’aspect de déstabilisation de la Russie comme objectif principal dans cette affaire.

«Several top Russian parliamentarians agree that the plot against Prime Minister Vladimir Putin, uncovered by Russian and Ukrainian special services, was an attempt to destabilize the situation in Russia in the elections period.

»A former head of the Federal Security Service and now a State Duma deputy, Nikolay Kovalev, said that the number of reports on thwarted terrorist attacks is constantly increasing and the special services were right to treat such reports with due attention. […] The parliamentarian also asserted that the international terrorists had set destabilizing Russia as their primary objective and that the most-wanted terrorist in Russia, Doku Umarov, who reportedly ordered the attempt, was targeting Putin personally because Russia’s enemies saw the prime minister as a guarantor of stability.

»The head of the Lower House Committee for Security and Countering Corruption, Irina Yarovaya, also stated the prepared assassination was an attempt to destabilize the situation in the country, as Putin was the main threat to criminals and terrorists…»

Russia Today, le 27 février 2012 également, interviewe Nikolay Svanidze, analyste et commentateur politique, membre de la Chambre Publique de Russie, organe officiel d’analyse des institutions et de consultation. Svanidze va beaucoup plus loin dans l’analyse, envisageant d’une part les conséquences qu’aurait un assassinat de Poutine dans les conditions décrites, d’autre part les conséquences qu’un tel acte aurait sur le sentiment populaire en Russie.

Pour le premier cas, Svanidze développe l’argument de la stabilité du gouvernement, qui réfute la crainte d’une déstabilisation : «If this happened after the elections, as they planned it, the elections would be canceled and ordered anew with current President Dmitry Medvedev running the country before them. If the assassination took place after the inauguration, all levers of power would be concentrated in the prime minister’s hands – in this case, possibly, in Dmitry Medvedev’s…»

Pour le second cas, Svanidze estime qu’un tel événement conduirait à une montée très forte en Russie de l’anti-américanisme. Svanidze ne semble pas exclure dans cette affaire une intervention indirecte de services US, et laisse entendre qu’effectivement de telles interventions pourraient avoir lieu. Il semble estimer que c’est la conclusion qui devrait en être tirée, – et qui en sera tirée, d’ailleurs…

«“It is natural that the Chechen terrorists are suspected of having ties with Turkey and Saudi Arabia, but we cannot exclude that the organizers of the attack will be searched for in the USA,” Svanidze said, adding that it was possible that the search for other members of the terrorist cell will be launched by the US special services. “But if they were successful, this would raise the anti-American moods to a previously unreached level. Politically no one would benefit from this, including those who are not happy with Putin’s return to another presidential term,” Svanidze assessed.»

• “A l’Ouest”, comme on disait dans le temps, dans le bloc BAO comme on dit dans notre temps, au cœur du Système comme on le sait de tous nos temps modernistes, il y a des réactions différentes… L’hostilité viscérale à l’encontre de Poutine est un facteur certes émotionnel, mais cela pourrait se soigner ; il y a aussi un aspect politique plus compréhensible, avec l’habitude, donnée par les manigances sans fin du susdit bloc BAO, d’aller très vite à l’hypothèse de la manipulation et du montage ; bref, tout cela conduit certains à effectivement évoquer cette hypothèse. Thème évident : cette tentative d’assassinat aide Poutine pour l'élection présidentielle en créant un réflexe de rassemblement autour de lui, voire d’anti-américanisme comme le dit Svanidze. On trouve cela même, et nous dirions plutôt “surtout”, dans les milieux libéraux du bloc BAO qui se targuent d’être également, à l'occasion, critiques de l’américanisme. C’est le cas de l’éditorial de The Independent, du 28 février 2012, dont le titre dit à peu près “cela arrange bien monseur Poutine”. Nous citons le paragraphe d’introduction et les deux derniers de conclusion ; le commentaire sous forme d’allusion est transparent, tout en prétendant à l’élégance un peu douteuse de l’allusion qui se voudrait objective. C’est une façon de nous dire : “désolé, mais nous ne pouvons pas faire autrement qu’émettre ce soupçon, car nous faisons notre métier de commentateur naturellement impartial et, encore plus naturellement, vertueux”.

«Now it may be true, and it ill behoves anyone in a country that has experienced acts of terrorism in recent memory to cast aspersions on claims made by the authorities in another, similarly afflicted, country. But yesterday's revelation from Russian state television about a plot to assassinate the Prime Minister, Vladimir Putin, cannot but raise suspicions that something else, or something additional, may be in play… […]

«While it looks as though nothing will upset Mr Putin's return to the presidency – the lack of plausible rivals has made for a one-sided campaign – "anyone-but-Putin" calls have gained a following in the country's flourishing social media, and tens of thousands have turned out for anti-Putin protests. This past weekend, they managed to complete a human chain around Moscow's inner ring-road, drawing supportive hoots from passing motorists.

»As next Sunday's election approaches, the mood across Russia is very different from the acquiescence that prevailed before the last two presidential votes. With officials pledging a clean election, and – more usefully – the internet facilitating the recruitment of volunteer observers, these elections will be that bit more difficult to rig. If the authorities feel that Mr Putin needs to be elected in the first round, it is not inconceivable that they would accept a little help.»

Que faire, que dire, que commenter ? D’abord, observer simplement, comme l’Independent après tout, que «Now it may be true». Ensuite, constater, sans ironie, que si c’est un montage, les Russes sont sacrément plus professionnels que les innombrables “experts” en montage type Dupont-Dupont du bloc BAO, parce que l’affaire telle qu’elle est détaillée montre un souci du détail, des actions, des interventions, etc., qui la ferait prendre pour vraie au bout du compte. Et puis, observer qu’on pourrait imaginer mieux, encore, puisque nous y sommes ; pourquoi pas “un complot pour faire croire à un faux complot”, c’est-à-dire une vraie tentative d’assassinat organisée pour que, une fois découverte, on puisse proclamer que c’est un montage et ainsi tenter de délégitimer par avance la probable victoire aux présidentielles de Poutine… Mais trêve de plaisanterie, il s’agit de se prononcer.

…C’est-à-dire qu’il s’agit de ne pas se prononcer, justement. Ce n’est pas éviter une responsabilité, puisque nous proclamons haut et fort cette volonté de ne pas trancher, ce qui est effectivement bien plus prendre ses responsabilités qu’insinuer sans trop se mouiller qu’il pourrait bien y avoir eu quelque chose, après tout, voyez comme cela se mettrait bien : plume propre et vertueuse, rien de précis qui soit écrit mais le poison du doute bien mis à sa place, – cela n’est pas notre cup of thea.

Dans cette affaire, personne n’est de la famille des anges, Poutine pas plus que les autres. Il est inutile de chercher de la vertu “humaniste” ou “démocratique” dans tout cela, c’est-à-dire de la vertu moderniste ; Poutine n’en a pas beaucoup, et c’est tant mieux. Les autres, dans le bloc BAO, en débordent pour l’apparat, et l’on voit le résultat, qui ajoute le dégoût à l’infamie faussaire, au montage permanent et à la destruction nihiliste. Sur le fait même de l’attentat, qui est tout de même fort possible sinon probable mais qui ne peut être avéré dans une situation où le système de la communication n’a plus aucune référence stable, il est absolument inutile de chercher la vérité. D’ailleurs, dans une situation déterminée pour tous par le Système dans sa totalité, par conséquent même chez ceux qui lutte contre lui (et c’est objectivement le cas de Poutine), il n’y a plus rien de la vérité, bien entendu. La vérité ne peut être déterminée qu’en dehors du Système, par l’évidence des situations et des natures bien comprises, lorsque l’on parvient à s’extraire de lui par la voie de la psychologie ouverte à l’intuition haute. Donc, nous faisons joyeusement notre deuil sur ce cas de la vérité de la tentative d’assassinat et ne gardons qu’une seule affirmation : Poutine est un homme qui, comme on l’a dit, est un adversaire objectif du Système, volontairement ou non, consciemment ou pas, et cela est bel et bon ; en plus, il est Russe, par conséquent d’un entité où il reste quelque chose d’une âme dont la source est en dehors du Système. Par conséquent, tant mieux si cette affaire lui permet de verrouiller son élection en renforçant le sentiment d’urgence et de crise de la Russie, et tant pis pour nos éditorialistes, et qu’importe ce qu’il en est précisément.

Pour la méthodologie, on observera combien le cas est complètement celui de l’“inconnaissance”, qui s’avère plus qu’utile, qui s’avère tout simplement nécessaire et vitale dans les circonstances extraordinairement confuses et sans aucune structure d’information référencée que l’on connaît. Il y a bien des choses, bien des manigances, bien des complots et des “grandes causes” dont il est complètement inutile de chercher à déterminer une vérité impossible à trouver, si même on peut parler de vérité. Ainsi débarrassé de l’embarras réductionniste des polémiques labyrinthiques, et négationnistes de l’essentiel, on se trouve mieux armé pour distinguer l’essentiel justement, qui est la détermination dans ce cas de la position par rapport au Système et par rapport à la modernité. Le reste est fait pour occuper les basses-cours.


Mis en ligne le 28 février 2012 à 09H53

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