Poutine, sans forcer

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Poutine, sans forcer


18 juillet 2006 — Le sommet de Saint-Petersbourg du G8 eut cette vertu de nous donner une image incontestable de justesse de la situation du monde. Les Occidentaux (Japon compris), les “riches” de l’ex-G7, s’y montrèrent tels qu’ils sont aujourd’hui : désunis, sans cohésion ni direction (direction hiérarchique et orientation politique, sans imagination, chacun avec ses propres préoccupations, sa propre “crise”, — et les Américains n’étant pas les moindres à tous ces égards). Face à eux, Poutine se montra à l’image de la nouvelle Russie qu’il a beaucoup contribué à rétablir : sûr de lui-même et de sa nouvelle puissance reconnue, indépendant, avec des lignes politiques fermes.

C’est donc le succès de Poutine qui constitue l’événement de la chose.

Nikolas Gvosdev, ce Russe américanisé et devenu éditeur de The National Interest, une prestigieuse revue de l’establishment washingtonien, a bien présenté cet événement. Son texte, dans l’International Herald Tribune de ce jour, mérite une ample citation.

« For many Russians, the lack of concrete results was less important than the image of a vigorous Putin defending Russian national interests and promoting Russia's vision of how global affairs should be structured. A cartoon by the St. Petersburg filmmaker Ivan Sidelnikov, broadcast over the weekend, shows Putin adroitly walking a tightrope strung over the summit meeting room, using oil pipelines to retain his balance while fending off challenges by faceless figures (meant to represent the other G-8 leaders) who try to use human rights, energy security or territorial claims to dislodge him.

» Russian commentators are nearly unanimous in their assessment that the summit marked Russia's full return to the rank of the “leading countries” of the world. One sentiment expressed to me was that Putin's performance as G-8 host effectively banished the last ghosts of the Yeltsin era, especially the images of the sickly president humbly accepting the “diktat” of the West in return for the privilege of being seen in the company of then-G-7 leaders.

» Even the failure to reach an agreement with the United States over Russia's entry into the World Trade Organization was spun as a courageous defense of national interests and a sign that Putin, unlike Yeltsin, is not so desperate for approval that he is prepared to acquiesce to all American demands.

» Most Russians also feel that any lingering doubts about the inclusion of Russia in the G-8 have been put to rest. Speaking at a briefing organized at the summit by The National Interest, the television commentator Alexei Pushkov went so far as to say that the three reasons usually advanced as to why Russia did not deserve to be in the G-8 - Russia is not sufficiently democratic; it is not a rich country; it has problems with its neighbors — were “irrelevant.”

» Russia should be in the group by virtue of its geopolitical location, the fact that without Russian participation none of the pressing problems facing the international community can be solved, and because of its position as an energy superpower. The English-language St. Petersburg Times cited a poll in which 55 percent of Russian respondents agreed with Pushkov's reasoning: Russia's status is determined by its energy resources and strategic position.

» Putin's ability to insert himself — and Russia — as a balancer was also very much on display here. In contrast to the predictions of some Western pundits that St. Petersburg would be seven industrial democracies versus Russia, Putin's separate meetings precluded any such development. Not only was Russia not isolated at the meeting, it was able to form tactical understandings with other participants (with France, for example, on the statement on the crisis in the Middle East) to ensure that the Russian perspective received a full hearing. »

La dynamique russe

La situation est assez étrange. On croirait que les dirigeants occidentaux font tout pour indirectement renforcer la position de Poutine, notamment à l’intérieur, notamment dans la bureaucratie d’Etat russe. Ils engendrent ainsi une dynamique de plus en plus affirmée, de plus en plus efficace, qui conduit à l’affirmation d’un triomphalisme russe appuyé sur des données stratégiques très concrètes (l’énergie perçue comme une donnée stratégique : 55% des Russes approuvent cette conception nouvelle qu’affiche désormais Poutine).

Il y a principalement le cas des critiques contre l’état de la démocratie en Russie. Il s’agit, de la part des Occidentaux, d’une sorte d’automatisme pavlovien, introduit dans le “pipe-line” des consignes générales par les services de communication qui répondent, également d’une façon pavlovienne, aux excitations des médias et des milieux soi-disant influents (intellectuels, ONG, humanitaires, etc.). Jusqu’à ces dernières années, les Russes encaissaient sans mot dire les accusations et les leçons de vertu que n’importe quel ministre, haut fonctionnaire ou commissaire de la Commission se jugeait obligé, après consultation des fiches fournies par son cabinet, de donner publiquement au gouvernement russe. Cette réserve faisait beaucoup de tort aux Russes, qui semblaient entériner les accusations. Désormais, Poutine annonce qu’il n’accepte plus les leçons et, aux questions des journalistes, répond en citant les cas foisonnants du ridicule et de la corruption des démocraties occidentales. Les rieurs sont de ce côté. Le cas est tranché (la Russie n’accepte plus d’ingérences des donneurs de leçons occidentaux). La popularité de Poutine augmente. Ses paroles ont plus de poids. Et ainsi de suite.

La conjonction est exceptionnelle pour les Russes. Toutes les démocraties occidentales sont en crise. Le résultat de la politique occidentale (américaniste) est un désastre. Dans toutes les crises qui s’allument les unes après les autres comme conséquences de la politique US, les Occidentaux ont besoin, à un moment ou l’autre, de l’aide, voire des bons offices de la Russie. Poutine ne se presse pas, ce qui met éventuellement un comble à la frustration occidentale, notamment américaine. (Voir l’exclamation de GW Bush aux oreilles empressées et consentantes du pauvre Blair, entendue dans le monde entier grâce à un micro malencontreusement ouvert : «  You see, the ... thing is what they need to do is to get Syria, to get Hizbollah to stop doing this shit and it's over. » [le “they” indiquant les Russes, qui ne semblent pas se presser pour faire pression sur les Syriens].)

Comme le dit Gvosdev, Poutine n’a nullement été isolé à Saint-Petersbourg. Ce n’est pas qu’il ait montré de grandes vertus tactiques pour cela. Il lui a suffi de laisser faire les choses. Les Occidentaux sont tellement décrépits et en désaccord sur tout — sauf sur la langue de bois officielle — qu’il n’a eu qu’à laisser aller les choses. Le triomphe de Poutine est à la mesure de la déconfiture du reste.

Poutine n’a pas remporté un triomphe de substance. La substance de la nouvelle puissance russe existe en dehors du G8 et elle existait déjà avant le G8. Il a remporté un triomphe médiatique sur la scène virtualiste que constitue cette sorte de sommets. Poutine a acquis un poids médiatique et virtualiste qu’il n’avait pas avant Saint-Petersbourg. Dans notre univers de faux-semblants et de miroirs déformants, cela compte beaucoup puisque c’est l’essentiel voire l’exclusif de l’existence politique pour nombre de dirigeants occidentaux. A Saint-Petersbourg, il a donc bouclé l’arsenal de la nouvelle puissance russe, en sacrifiant aux mœurs occidentales et en sauvegardant sans efforts la différence russe.