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1566Suite à une rencontre avec le secrétaire général de l’OSCE, le président russe Poutine a présenté une sorte de “roadmap” du point de vue russe de la crise ukrainienne qui comporte des dispositions qu’on pourrait qualifier dans une première réaction d’“inattendues” ou d’“ambigües” par rapport à la position suivie jusqu’ici par la Russie. Le moins qu’on doive commenter est qu’il est extrêmement urgent de peser tous les termes des décisions prises par rapport à la situation ukrainiennes, avant d’avancer un commentaire assuré et une conclusion ferme. Les réactions sont, selon le terme employé en général, “mitigées”, y compris, – cela doit être souligné, – de la part de certains partisans du côté russe. La proposition comporte trois points principaux : une demande aux pouvoirs locaux de l’Ukraine russophone de repousser leurs référendums du 11 mai, une prise de position favorable pour l’élection présidentielle du 25 mai organisé par l'équipe de Kiev et l’affirmation que les troupes russes déployées le long de la frontière ukrainienne ont quitté cette position.
Nous allons citer quelques réactions qui nous paraissent caractéristiques pour illustrer ce qui domine depuis cette annonce : incertitude, méfiance, désarroi, etc., mais aussi d’ores et déjà spéculations sur une manœuvre, et références au coup fameux des échecs : un gambit, c’est-à-dire le «sacrifice volontaire de pion dans l'ouverture...».
• L’article du Guardian du 7 mai 2014 est tout entier caractérisé par l’expression “retraite tactique”, l’important dans ce cas, selon l’opinion du journal radicalement antirusse, se trouvant dans le qualificatif de “tactique”, – une initiative faite, selon cette interprétation, notamment pour reculer la décision du bloc BAO de passer aux sanctions économiques contre la Russie. Cet argument nous semble à la fois restrictif et marqué du parti-pris selon lequel ces sanctions sont un coup terrible porté à la Russie, ce qui est loin d’être le cas. Le cas “tactique”, si c’est cela, porte sur bien d’autres choses que la question des sanctions... Et de tout cela, l’on déduira que le Guardian est surtout embarrassé de devoir donner une explication conforme à sa propre narrative du geste de Poutine ; Poutine est, sous la plume du Guardian un personnage complètement contraint par l’ignominie dont on le revêt, mais le journal britannique n’ignore pas non plus son habileté politique.
«The Kremlin beat a tactical retreat over a regional referendum following days of soaring tension that have left dozens dead and fed fears of a civil war in Ukraine. Russia's president, Vladimir Putin, said the referendum being staged by pro-Russia separatists in parts of eastern Ukraine on Sunday should be postponed. If the referendum goes ahead, it will provide an argument for the region joining Russia as happened in Crimea in March.
»Overt Russian support for the plebiscite could have triggered more substantive EU and US sanctions against Russia. Putin's statement, following talks with the president of Switzerland in Moscow, looked likely to delay the imposition of a harsher round of economic penalties...»
• Dans le corps de l’article, on trouve des réactions extrêmement vives venues de russophones d’Ukraine anti-Kiev, qui montrent comme premier sentiment une extrême déception, voire le sens d’une trahison de la part de Poutine. Les mots sont extrêmement durs. «“So Russia has abandoned us as well,” said Natalia Medvedenko, 58. “Well we will just have to fight the fascists on our own. But I still don't quite believe it.” In rebel-held Slavyansk a member of the militia who gave his name as Rustem described Putin as a coward who was “afraid of losing his money”. Loading sandbags into a truck, he said: “Instead of helping Russian people here, he is betraying us. He will pay for this with a revolution in Red Square. Russian people will not stand by and watch this happen.”»
• Dans le même ordre d’idée et de position, on mentionnera la réaction du site The Vineyard of the Saker dont on connaît notre appréciation positive. D’abord une profonde déception marquant surtout un profond désarroi... «I just got back home for 30 min and I found out that Putin is requested that the referendum scheduled for the 11th be postponed. There seem to be some hints that Merkel and Putin have hammered out some common position including a round-table with all the parties present. Finally, the Russians are claiming that they have withdrawn the forces along the Ukrainian border. Frankly, I am totally confused by that move but my first impression is that I don't like it one bit. But I am a slow thinker and I need to chew on this before coming to a conclusion.» (Texte du 7 mai 2014). Puis un article d’une tonalité complètement différente (le 8 mai 2014), après qu’un flot de commentaires du premier article ait donné eux-mêmes une tonalité générale beaucoup plus optimiste que le texte qu’ils appréciaient.
• L’idée générale de the Saker, qui correspond assez bien à la ligne antiSystème, est que Poutine a cédé sur quelques points pour conforter une position où il ne veut à aucun prix être forcé à une intervention militaire visible en Ukraine russophone. C’est une position d’attente de l’évolution de la situation en Ukraine où, quel que soit le résultat des élections du 25 mai, le domaine économique et social devrait se dégrader très rapidement, – conduisant éventuellement à des tensions sinon des affrontements internes, entre la population (y compris non-russophone pour ce cas) vis-à-vis du pouvoir, entre les dirigeants “modérés” de Kiev directement manipulée par le bloc BAO et leurs alliés actuels, extrémistes ultranationalistes, etc. (C’est alors qu’on retrouve l’un des scénarios oubliés dans les événements récents, des querelles internes à l’Ukraine, avec les catastrophes habituelles type-FMI telles que déjà évoquées le 29 mars 2014, avec les réactions populaires et populistes qui vont avec, dans un pays déjà chauffé à blanc.) Un autre argument avancé pour expliquer la nouvelle position de Poutine est que le référendum du 11 mai, dans les conditions actuelles de désordre où aucune ligne ferme ne se dégage, avec l’armée ukrainienne présente et en action, avec une organisation encore précaire des russophones activistes, est très loin d’être une initiative gagnante et peut au contraire s’avérer comme très contre-productive du point de vue russe. Saker finit donc par définir le “coup” de Poutine comme le fameux gambit du jeu des échecs, défini plus haut... Faire quelques concessions pour permettre qu’une situation mauvaise s’installe chez l’adversaire, et en profiter certes...
«[...W]hen this evening I heard Putin I was totally caught off-guard and disturbed. It appeared to me that he was giving up important things for nothing and my instinctive knee-jerk reaction was, as always, to suspect the worst. But now that I had time to really think it over, what Putin is doing makes sense. Not only is he choosing the “no intervention” option (which I had expected him to do) – he is pro-actively contributing to that outcome (which I did not expect him to do at all). I had expected Russia to look “firm and stern” and not to yield on anything in order to maximize the uncertainty and anxiety of the US, EU and the freaks in power in Kiev. Also, I had not expected Putin to give the western propaganda machine such an fantastic opportunity to gloat, declare Russia a “paper tiger” and declare victory for Obama. But now that I think about that I find that a very sneaky move: let them gloat today – it will just make their inevitable fall tomorrow even much more painful to cope with.
»In chess, this is called a “gambit”. You accept the loss of a piece to win a positional advantage. Except that in chess your opponent has the option to decline the gambit whereas in this case the Empire has to accept it.
»I should have known better since Putin had already done exactly that when the USA was about to attack Syria: he “gave up” the entire Syrian chemical weapons arsenal in exchange for a disruption in the AngloZionist Empire's momentum towards an attack on Syria. At the time his gambit was also greeted by a chorus of “the Russians caved in! they betrayed Assad!” and yet eight months later nobody can deny that Syria is winning the war.
»I will tell you honestly that I hate gambits. In chess and in life. And when offered a gambit in chess I usually decline it. To me this is a profoundly counter-intuitive move. I suspect that Putin must be a much better chess player then I am.»
• Est-ce la bonne interprétation ? On ne serait pas loin d’être enclin à y croire lorsqu’on se tourne vers les robots de service, les porte-paroles de la Maison-Blanche et du département d’État, un Rasmussen de-ci de-là, bref la volaille habituelle qui récite sa leçon. Leur réaction est d’un tel venimeux soupçon à l’encontre de Poutine que l’on en vient à y distinguer de l’amertume et de la déception, – quelle catastrophe que Poutine prenne ses distances du chaudron de désordre qu’est l’Ukraine de l’Est ! Quelle déception qu’il n’y fasse pas pénétrer une ou deux divisions ! L’on finit donc par envisager l’hypothèse avec faveur : eh bien oui, c’est peut-être bien un gambit... (Pour quelques-unes de ces réactions stéréotypées, voir l’article de EUObserver du 8 mai 2014, qui nous annonce dans son titre «West sceptical of Putin’s u-turn on Ukraine», et qui nous précise dans son texte «The US and Nato have voiced wariness over Russia’s announcement that it pulled back troops from Ukraine’s border», – ce qui réduit l’“Ouest” aux deux entités nommées, et le u-turn à la situation des forces russes par rapport à la frontière ukrainienne.)
• Reste à voir, et on le verra très vite, ce que l’exhortation de Poutine à repousser le référendum du 11 mai donnera comme effet chez les russophones d’Ukraine. La BBC, bien entendu sur sa ligne anti-Poutine, fait quelques remarques à ce propos qui laissent la question très ouverte : «The announcement by the Russian president yesterday came as a surprise and may be an indication that Mr Putin is having second thoughts about pursuing a policy aimed at de-stabilising Ukraine. But while Mr Putin may want the referendum delayed, the question now is whether the pro-Russian rebels in eastern Ukraine, who are backed by Moscow, will listen to him. They say they will meet today to decide what to do. They claim they have already distributed millions of ballot papers to polling stations for the referendum due to be held on Sunday.»
Peut-être y a-t-il un mot qui devrait mettre tout le monde d’accord, – le mot de “tactique”. Quelles que soient les intentions et les capacités de manœuvre des uns et des autres, les événements sont d’une telle force, et d’une telle force la pression du Système, notamment sur ses habituels relais qui pratiquent avec maestria l’influence décisive (voir les neocons + les R2P à Washington), qu’on ne voit pas comment une décision de cet ordre (de celle de Poutine) pourrait avoir une dimension stratégique capable de faire changer le cours des choses, et donc la poursuite de l’attaque antirusse dans le chef du bloc BAO. Le fondement de la situation actuelle est d’ordre psychologique dans une mesure qu'on sait être hystérique,e t renvoie à l’influence des stéréotypes ancrés dans les psychologies épuisées des acteurs-Système de cette tragédie ; il s’agit du Système qui parle, et rien n’arrête sa dynamique surpuissante. Ce fondement, par conséquent, se trouve aussi bien dans telle phrase d’un commentateur anonyme de the Saker : «I think most of the western countries would like to see collective suicide by Russia, and even then they will not be satisfied...» ; ou bien dans ce jugement de Leonid Chebarchine, ancien chef du renseignement extérieur soviétique, tel que nous le rapportions le 3 mars 2014 : «Even today Russia is the main obstacle on the global elite’s way to world domination. Leonid Shebarshin, ex-chief, Soviet Foreign Intelligence Service, noted once that “The West wants only one thing from Russia: that Russia will no longer exist”. The West wants Russia to stop being part of geopolitics, it cannot accept its existence psychologically and historically and it can inflict damage by tearing Ukraine away from Russia actually dividing one and the same nation.»
... En un sens, même si Poutine voulait capituler sans conditions, on continuerait à le traiter d’agresseur et de monstre sanguinaire, et l’on refuserait, bien entendu, cette capitulation, – et sans doute la même chose serait-elle dite de la Russie elle-même et des Russes. Le Système a besoin, pour survivre à sa propre poussée de surpuissance, d’une entité extérieure qui la justifie, – sans se douter, que c’est là sa route vers l’autodestruction, puisque sa surpuissance enfante son autodestruction. Le président russe, lui, doit se douter de quelque chose d’approchant à propos de l’intransigeance aveugle de ses adversaires, de même qu’il doit avoir eu connaissance du jugement de Chebarchine. Ainsi donc, par sélection et élimination des possibles et des probables, en viendrions-nous à favoriser l’interprétation que ses décisions d’hier constituent effectivement une manœuvre, et même un gambit mûrement réfléchi.
Mis en ligne le 8 mai 2014 à 12H47
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