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3145• Textes du 23 octobre 2021. • L’intervention de Poutine à Valdaï a été l’occasion de voir confirmée la dimension fondamentalement traditionnaliste de son approche du monde. • Dans l’époque étrange du monde bizarre où nous vivons, c’est une chose précieuse qu’il faut absolument avoir à l’esprit. • Lui, Poutine, qui se met dans les traces de Berdiaev, on pourrait le mettre dans celles de Guénon. • Il serait temps que diverses têtes à peu près pensantes dans nos contrées réalisent cette situation et en tirent les conséquences. • Contributions : dedefensa.org et Ekaterina Blinova.
Si vous vouliez opérationnaliser un guénonien, personne considérant la tradition (la Tradition) comme une référence incontournable, qui choisiriez-vous comme dirigeant dans un monde qui semble n’être autorisé qu’à envisager des conceptions progressistes, wokenistes, gauchistes et néo-marxistes ? Son discours d’hier à la 18ème rencontre annuelle du ‘Valdaï Discussion Club’ (le titre de la rencontre était : « Bouleversement mondial dans le XXIe siècle : l’Individu, les Valeurs et l’État ») a produit un effet profond et conduit à répondre à la question posée : Vladimir Poutine, évidemment.
Il est temps d’écarter les insanités d’un autre temps, le si-peu glorieux XXe siècle, sur les tyrans, les dictatures, le fascisme, etc., ces vieilles lunes remplacées par des dangers bien plus terribles : le technologisme, le maximalisme progressiste, le transgenrisme et le transhumanisme, le conformisme et le Politiquement-Correct. Dans ce cas, la Tradition et une certaine forme de “conservatisme” souple, adaptable, constituent des comportements d’attente acceptables devant l’extraordinaire déroulement d’événements indescriptibles par leur caractère improbable, insaisissable et sublimement rapides. Poutine nomme cela “conservatisme modéré” ou “conservatisme optimiste” (le mot “optimisme” mériterait bien des débats... Mais c’est un autre débat) :
« Pour la période à venir de reconstruction mondiale, qui peut se poursuivre pendant un certain temps et dont on ne connaît pas l'issue finale, le conservatisme modéré est l'approche la plus raisonnable, du moins à mon avis. »
On trouve dans cette phrase les principaux éléments et les inconnus de notre étrange époque et de la Grande Crise qui la caractérisent. Il y a principalement :
• cette “période à venir de reconstruction mondiale” qui implique préalablement un effondrement ; et
• cette période qui, non seulement est “à venir” mais qui peut durer “un certain temps” et dont on ne sait rien “de l’issue finale”.
Manifestement, Poutine est le seul chef d’État et dirigeant politique qui expose (on pourrait dire : “qui ose exposer”) sa vision de l’avenir de manière si crue, et particulièrement une vision qui est fondée sur l’aveu complet de l’ignorance de cet avenir ; en laissant entendre, ou dans tous les cas comprendre qu’il ne sera pas facile. Cet “aveu” est lui-même le signe de sa conscience aiguë de la substance catastrophique des événements, surtout de leur complète insaisissabilité, de la complète incapacité où ils vous mettent de les prévoir. En général, les dirigeants politiques promettent toujours quelque chose, en général sur le ton des “lendemains qui chantent”. Poutine expose purement et simplement une perception honnête et évidente, sans craindre de sortir du cadre communicationnel convenu du dirigeant politique.
Là-dessus et poursuivant le constat, on peut se demander s’il existe beaucoup de dirigeants politiques ayant cette capacité de deviner les difficultés extrêmement probables et sans doute catastrophiques, l’inconnu de l’avenir, etc. On peut avancer qu’il y en a fort peu, la plupart étant occupés à se féliciter de leurs propres vertus démocratiques, et à déplorer affreusement l’“illibéralisme” et la “démocrature” des tyrans postmodernes qui sont honte et lie de l’humanité, – et Poutine en premier, bien entendu.
D’un autre côté, on peut avancer l’hypothèse que si Poutine prend une attitude si audacieuse et énonce de telles vérités-de-situation assez peu rassurantes, c’est parce qu’il s’appuie sur le concept d’une structure politique extrêmement solide. Il s’agit de la tradition (la Tradition), exprimée dans son langage populaire comme “conservatisme modéré” ou “conservatisme des optimistes”, – c’est-à-dire, tenir bon en attendant, sur des réalités concrètes et sur des principes & valeurs éprouvés, en protégeant les structures qui ont fait leurs preuves, – tenir bon en ne cédant rien à ceux qui alimentent la tempête, au contraire en les dénonçant. C’est cette position d’appui structuré sur un courant qui le relie au passé et à toute l’histoire antérieure qui est remarquable chez Poutine, à l’heure où l’on récrit l’Histoire comme on met de la confiture sur une tartine, où l’on déboulonne les statues, où l’on fait régner une terreur intellectuelle sans guère de précédent. On comprend qu’il dépasse ainsi tous les clichés idéologiques du jour, les querelles picrocholinesques et haineuses qui déchirent nos débatteurs à propos du sexe des anges et de leur tentation (aux anges) du transgenre, et qu’il les réduit au dérisoire.
On comprend également que, ce faisant, Poutine séduit nombre de personnes et de groupes non-russes mais qui cherchent désespérément à retrouver les voies de la tradition. Cette idée n’est pas nouvelle mais sa durabilité est certes gage de sa solidité et de sa justesse. On doit se rappeller comme exemplaire l’interrogation de Patrick Buchanan, paléoconservateur américaniste, en décembre 2013 : « Is Putin One of Us ? ». L’on peut emprunter quelques phrases à Buchanan, et l’on verra qu’elles rencontrent parfaitement l’interprétation actuelle, quelques catastrophes plus tard : “le temps ne fait rien à l’affaire”, il la renforce plutôt...
« Pas de confusion morale ici, c’est la clarté morale, d’accord ou pas.
» Le président Reagan a un jour appelé l’ancien empire soviétique “l’empire du Mal dans le monde moderne”. Le président Poutine laisse entendre que l’Amérique de Barack Obama pourrait mériter ce titre au XXIe siècle. Il est loin d’être sans argument lorsque nous réfléchissons à l’adoption par l'Amérique de l'avortement sur demande, du mariage homosexuel, de la pornographie, de la promiscuité et de toute la panoplie des valeurs hollywoodiennes. Nos grands-parents ne reconnaîtraient pas l'Amérique dans laquelle nous vivons... [...]
» Les peuples du monde entier, affirme Poutine, soutiennent la “défense des valeurs traditionnelles” de la Russie contre une “prétendue tolérance” qui est “sans sexe et infertile.” Si sa position de défenseur des valeurs traditionnelles a suscité les moqueries des médias et des élites culturelles occidentales, Poutine n'a pas tort de dire qu'il peut parler au nom d'une grande partie de l'humanité. Le mariage homosexuel est soutenu par les jeunes Américains, mais la plupart des États y résistent encore, les pasteurs noirs étant à l'avant-garde de la contre-révolution. En France, un million de personnes sont descendues dans les rues de Paris pour dénoncer l'imposition du mariage homosexuel par les socialistes. [...]
» Alors qu'une grande partie des médias américains et occidentaux le rejettent comme autoritaire et réactionnaire, un retour en arrière, Poutine voit peut-être l'avenir avec plus de clarté que les Américains encore prisonniers du paradigme de la guerre froide. Alors que la lutte décisive de la seconde moitié du 20e siècle était verticale, entre l'Est et l'Ouest, celle du 21e siècle pourrait être horizontale, avec des conservateurs et des traditionalistes dans chaque pays contre le sécularisme militant d'une élite multiculturelle et transnationale. Et bien que l'élite américaine se trouve à l'épicentre de l'anti-conservatisme et de l'antitraditionnalisme, le peuple américain n'a jamais été aussi aliéné ou aussi divisé culturellement, socialement et moralement.
» Nous sommes deux pays maintenant...
» Poutine dit que sa mère l'a fait baptiser secrètement quand il était bébé et qu'il professe être chrétien. Et ce dont il parle ici est ambitieux, voire audacieux. Il cherche à redéfinir le conflit mondial “Nous contre Eux” du futur comme un conflit dans lequel les conservateurs, les traditionalistes et les nationalistes de tous les continents et pays se dressent contre l'impérialisme culturel et idéologique de ce qu'il considère comme un Occident décadent. »
Une sorte de texte prophétique, en un sens, mais bien incapable de donner une mesure de ce qui nous attendrait huit ans plus tard. Poutine, lui, n’a donc pas varié.
Si nous avions un vœu à formuler, c’est que nombre d’intellectuels et autres, qui jugent les mouvements de type wokenisme-LGTBQ catastrophiques, apprennent à juger Poutine non en termes du Quai d’Orsay et empruntés aux sermons du quotidien ‘L’Im-Monde’ de référence, mais selon ce que lui, Poutine, pense et dit sur ces problèmes fondamentaux. Cela ferait gagner du temps à tout le monde.
Voici un texte d’Ekaterina Blinova, sur ‘Sputnik.News’, qui n’a évidemment pas la vertu du ‘New York Times’ ou de CNN, le 22 octobre 2021. Le titre original est : « Why Putin's 'Conservatism of Optimists' Approach Resonating With Traditionalists in US and EU. »
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« Pour la période à venir de reconstruction mondiale, qui peut se poursuivre pendant un certain temps et dont on ne connaît pas l'issue finale, le conservatisme modéré est l'approche la plus raisonnable, du moins à mon avis », a déclaré Vladimir Poutine en s'adressant à un public international le 21 octobre.
Le conservatisme russe englobe les valeurs spirituelles, traditionnelles et familiales, une attitude positive à l'égard de l’héritage historique de la nation et le fait de placer les qualités personnelles d'un individu au-dessus de son sexe, de son ethnie ou de la couleur de sa peau, ainsi que la souveraineté nationale et une approche de la collaboration internationale motivée par le souci du bien commun, selon le président russe.
« Les paroles du président Poutine ne trouveront pas d'écho auprès de l'establishment politique occidental, qui est progressiste jusqu'à la moelle. Néanmoins, ses paroles résonneront, ou résonnent déjà, avec divers groupes conservateurs et traditionalistes en Europe et aux Etats-Unis », souligne Adriel Kasonta, analyste des affaires étrangères basé à Londres et ancien président du comité des affaires internationales du Bow Group, un groupe de réflexion conservateur au Royaume-Uni.
L'Occident traverse actuellement une grave crise d'identité qui engendre la nécessité de l'apprécier ou de le stabiliser, souligne l'analyste des affaires étrangères. C'est pourquoi la Russie, perçue comme une nation majoritairement chrétienne et traditionaliste, est si attrayante pour les conservateurs occidentaux, dit-il.
« Le regretté professeur Andrzej Walicki a écrit un essai très important en 2015 intitulé ‘Vladimir Poutine peut-il devenir le leader idéologique du conservatisme mondial ?’, dans lequel il abordait cette question en détail », explique Kasonta.
L'expression “conservatisme des optimistes” du président Poutine semble connoter une frustration face à la direction que prennent les droits des femmes aux États-Unis, selon le Dr Samuel Hoff, professeur émérite George Washington d'histoire et de sciences politiques à la Delaware State University. « De nombreux conservateurs sociaux américains seraient d'accord avec la caractérisation de Poutine », note-t-il.
S'exprimant lors de la réunion du club de discussion de Valdai, le président russe a fait remarquer que la bataille pour l'égalité des droits dans certaines nations occidentales a tourné à la farce. L'agenda soi-disant “progressiste” prôné par certaines forces en Occident s'est traduit par une culture d’annulation, un racisme inversé, des attaques contre l’histoire et les valeurs fondamentales telles que le respect des mères, des pères, des familles ou même les définitions de base concernant la différence entre les sexes, a-t-il noté. Selon le président, les bolcheviks ont propagé des idées étonnamment similaires dans le sillage de la révolution d'octobre 1917. La Russie a tiré cette leçon, transformant son expérience historique en un avantage concurrentiel, a-t-il déclaré.
À l'heure actuelle, « une véritable bataille générationnelle se déroule, du moins aux États-Unis, autour d'idéologies, de points de vue, de discours et même de passé concurrents », affirme David Schultz, professeur de sciences politiques à l'université Hamline. Il souligne qu'il y a « une forte poussée aux États-Unis contre la culture de l'annulation également ».
Les États-Unis, l'Occident et le monde dans son ensemble doivent favoriser un environnement propice aux opinions divergentes, car le soutien à cet égard s'érode actuellement, selon le politologue.
« Je veux que tout soit débattu », fait écho Peter Kuznick, professeur d'histoire à l'American University, qui se définit comme un progressiste, mais doute que l'agenda politique progressiste actuel corresponde pleinement à ce terme. « Je veux voir des opinions différentes données. Je veux voir des étudiants capables de réfuter ce genre de critiques ou d’attaques sur les identités, plutôt que de sentir qu'ils doivent s’isoler ou s’interdire cette sorte de réflexions. ».
Le véritable progressisme fait référence à un mouvement de l'histoire américaine qui s'est distingué par des réformes (1900-1920), rappelle Hoff, ajoutant que l'idée même que les personnes qui soutiennent la culture de l'annulation se qualifient de “progressistes” des temps modernes semble « insultante » pour la période susmentionnée.
« Les Américains et les Russes devraient admettre également que le passé de chacune de ces nations za des aspects déplorables », souligne Hoff. « Mais cacher ces faits et ces événements revient à ignorer les leçons de ces derniers et à nier l'histoire ».
Cependant, ce ne sont pas seulement les progressistes occidentaux qui traitent leur passé historique de manière sélective, mais aussi leurs homologues conservateurs, selon l'analyste des affaires étrangères.
« Ils ont tendance à choisir ce qui convient à leur récit, alors que les conservateurs de l’Est, notamment en Russie, ont su relever le défi et traiter le passé communiste et l‘accepter comme faisant partie du continuum de leur récit national », souligne Kasonta. « En ce qui concerne les premiers, ils préfèrent oublier l'histoire coloniale gênante, qui est à l'origine des problèmes que nous connaissons aujourd'hui. Vivre dans le déni conduit à la catastrophe. Les Russes le savent très bien ».
Les observateurs internationaux s'accordent à dire que les tentatives de réécriture de l'histoire et de déformation des faits ne présentent pas moins de risques qu'une « amnésie historique ».
« Les ramifications de la réécriture de l'histoire sont vastes, y compris la création d'un fossé éducatif entre les générations et l’ignorance de la façon dont les autres peuvent continuer à considérer cette nation », explique Samuel Hoff.
Un exemple flagrant est la tentative de l'Occident de dépeindre la Russie comme un antagoniste, selon le professeur. Lorsque certains Américains apprennent que la Russie a quitté l'OTAN en tant qu’observateur ou qu'elle ne s'est pas rendue au sommet britannique sur le climat, ils peuvent facilement se faire une fausse idée des relations russo-américaines.
Pourtant, la Russie et les États-Unis ont de nombreux points de convergence d'intérêts et partagent un passé commun, notamment la coopération dans l’espace, pendant la première guerre du Golfe, en tant qu'alliés pendant la Seconde Guerre mondiale, en tant que membres des mêmes comités de l’ONU, en organisant des sommets entre superpuissances et en signant une pléthore de traités et d’accords bilatéraux, selon le politologue.
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