Pouvoir étriqué

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Pouvoir étriqué


2 janvier 2003 — D'abord un mot de présentation du personnage : Warren Christopher n'est pas un drôle. (Il fut notamment under secretary of State, n°1 du département d'État, de 1977 à 1981, sous Carter ; secretary of State, n°1, de 1993 à 1997, sous Clinton,) Ce n'est pas un de ces extravertis ambitieux, pas un de ces brillants n°2 qui arrivent à se faire prendre pour le n°1 (cas de Richard Holbrooke, n°2 de Christopher du temps de Clinton). Ce n'est pas un excentrique, pas un de ceux qui se laissent emporter par une terrible passion antiaméricaine (on parle pour un non-US, en général un Français, c'est de bon ton de dire cela) ; pas un de ceux qui semblent obsédés par la critique de l'ordre établi (on parle de ces dissidents US, type-Chomsky, qui ne trouvent rien de bien au système). Ce n'est pas non plus un homme de parti, même s'il est démocrate. Il est à la fois trop acariâtre et trop sceptique pour cela, trop pisse-vinaigre en un sens, et trop attaché au respect des règles professionnelles de la vie publique, qui sont celles du département d'État où cet avocat a fait l'essentiel de sa carrière publique, — c'est-à-dire des règles fondamentalement bipartisan au sens américain, comme doit l'être la politique étrangère.

Christopher fut un n°2 effacé (sous Jimmy Carter) puis un n°1 terne (sous Clinton) de la diplomatie américaine. Ses jugements sont ceux de la mesure et de l'équité, autant que faire se peut selon la grande loterie des erreurs humaines de jugement. Son abstention publique, jusqu'ici, à l'égard de la politique de GW, notamment sur la question irakienne, en dit long sur sa réserve. Tout cela conduit à considérer avec d'autant plus d'intérêt cette intervention qui brise cette réserve, l'intervention du 31 décembre 2002 dans le New York Times. (Il est manifeste qu'il faut accorder un certain crédit à certaines sources qui indiquent que c'est à la suite d'interventions personnelles pressantes de certains membres de la bureaucratie du département d'État auprès de leur ancien patron, que Christopher s'est décidé à intervenir.)

Nous mettons l'accent sur un aspect plutôt technique de cet article, plus que la prise de positon à l'égard (à l'encontre) de la politique GW. Voici l'extrait de cet aspect abordé par Christopher :

« In foreign affairs, Washington is chronically unable to deal with more than one crisis at a time. As deputy secretary of state in the Carter administration, I helped to negotiate the release of 52 Americans held hostage in the United States Embassy in Iran. I recall how this relatively confined crisis submerged all other issues for 14 months, including the Soviet invasion of Afghanistan. Similarly, in the early years of the Clinton administration, our concentration on Bosnia and Haiti may have drawn our attention away from the killings in Rwanda.

» While Defense Secretary Donald Rumsfeld may be right in saying that our military can fight two wars at the same time, my experience tells me that we cannot mount a war against Iraq and still maintain the necessary policy focus on North Korea and international terrorism. Anyone who has worked at the highest levels of our government knows how difficult it is to engage the attention of the White House on anything other than the issue of the day. For example, the Israeli-Palestinian conflict — a major crisis by any standard — now seems to be handled largely by an assistant secretary of state. Likewise, Afghanistan, which is at risk again of becoming a haven for terrorists, seems to be getting less attention than it deserves.

» A United States-led attack on Iraq will overshadow all other foreign-policy issues for at least a year. In the early months, the news media can be expected to offer wall-to-wall combat stories, covered with characteristic one-dimensional intensity. Even if the optimistic predictions of quick victory prove to be accurate, we would then find ourselves absorbed with the occupation of Iraq and efforts to impose democracy on the fractious elements of that country. »

Ce que nous dit Warren Christopher, assez benoîtement et sans éclat comme à son habitude, c'est que l'Amérique “hyperpuissance” est incapable de traiter deux crises à la fois, fussent-elles des crises régionales (ce qui est le cas, et de l'Irak, et de la Corée du Nord). Quoiqu'il accepte l'affirmation de Rumsfeld sur la capacité militaire US de conduire deux guerres régionales à la fois, — mais du bout des lèvres, d'une façon qui laisse à penser («  While Defense Secretary Donald Rumsfeld may be right... ») — Christopher émet une réserve fondamentale sur les capacités du pouvoir américain. Cela, par contre, dit d'un ton catégorique et nourri à une expérience sans égale, doit nous en dire beaucoup sur la réalité du pouvoir américain, sa structure, ses capacités.

Comment les USA vont-ils pouvoir conduire leur affirmation hégémonique politico-stratégique et militaire dans un temps de guerre qui, par définition et aussi selon l'aspect très particulier de cette guerre-là, suppose très possible et même probable l'hypothèse de plusieurs crises/.plusieurs guerres régionales à la fois ? Christopher nous indique une limite décisive (parmi d'autres, sans doute) et, par conséquent, il nous donne une précision de plus sur la crise américaine (crise définissable dans ce cas par l'adéquation des moyens par rapport aux ambitions). Indirectement et involontairement, il nous indique combien les USA, dans la situation actuelle où les dangers et les risques de guerre sont proclamés partout par les Américains seuls (avec les seuls Israéliens de la seule fraction de l'extrême-droite du Likoud), — combien les USA ne peuvent apporter que des impulsions de désordre et de déstructuration, et aucune capacité d'imposer un nouvel ordre international.