Powell à la place de Gates ?

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Notant que le général Powell, ancien chef d’état-major général de Bush père, ancien secrétaire d’Etat de Bush fils, qui figura longtemps dans les sondages dans les années 1990 comme le possible premier président Africain-Américain des USA, joue un rôle proéminent dans la campagne d’Obama pour faire ratifier le traité START-II, Toby Harnden, du Daily Telegraph, rapporte (le 4 décembre 2010) les paroles flatteuses que lui adressa, il y a quelques jours, le véritable premier président Africain-Américain des USA… La description ne manque pas de piquant, conduisant à la conclusion que la vanité semble être un caractère commun aux deux hommes.

«…“He is not only a great statesman, and a great public servant, but also very funny and a great counsellor,” said President Barack Obama, speaking with a warmth he normally reserves for descriptions of his own qualities.

» “And periodically, I check in with him, and I know my entire team, including the vice president, checks in with him, because he continues to have an unparalleled sense of our national security needs, and I think really taps into the best impulses of the American people.”

He was, of course, talking about General Colin Powell, National Security Adviser under President Ronald Reagan, head of America’s armed forces during the 1991 Gulf War under President George Bush Snr and, most recently, President George W. Bush’s Secretary of State.»

Toby Harnden nous parle effectivement de la vanité de Powell, de son désir désespéré d’effacer la tâche indélébile du grotesque discours qu’il fit devant le Conseil de Sécurité de l’ONU le 5 février 2003, s’appuyant sur les “preuves” également grotesques de la présence d’armes de destruction massive en Irak. On eut espéré, de la part d’un militaire chevronné, un peu plus de discernement concernant ces “preuves”, dont certaines étaient de non moins grotesques falsifications, visibles à l’œil nu… Quoi qu’il en soit, Powell aimerait qu’une nouvelle fonction haute lui permît de faire oublier cette tache dans sa carrière.

»The capacity of Powell to persuade Republicans has been severely limited since he endorsed Obama for president in 2008 even though John McCain, the Republican nominee, was a long-time friend. Timed within a month of the 2008 election to cause the maximum political damage, Powell’s endorsement was seen by McCain, with some justification, as an act of betrayal.

»The assumption at the time was that Powell desperately wanted a job in the Obama administration to erase what he had himself described as the “blot” on his record created by his infamous United Nations speech in February 2003 pressing the case for war with Iraq.

»A man who often quotes his own popularity ratings (which, not least because he has never run in an election, have always been far higher than those of most elected figures), Powell seemed aghast that he had gone from being revered in the 1990s to being vilified over Iraq.

»Republicans have long needled Powell about his vanity. Indeed, when Bush aides were deciding who should deliver the UN speech, Vice President Dick Cheney suggested Powell, telling him sardonically: “You’ve got high poll ratings; you can afford to lose a few points.”»

D’où l’hypothèse, développée par Harnden, s’appuyant sur des bruits persistants à Washington depuis quelques jours, selon lesquels Powell pourrait succéder à la tête du Pentagone à Robert Gates, qui a annoncé son départ pour 2011…

»At 73, Powell would be the oldest US Defence Secretary in history. […] The oldest person currently to have served as US Defence Secretary is Donald Rumsfeld, who Powell once described as one of the “f—ing crazies” in the Bush administration, branding parts of his team, “the Gestapo office”.»

Notre commentaire

@PAYANT Les spéculations pour la succession de Robert Gates vont bon train, – sans que le départ de Gates lui-même soit d’ailleurs fixé très précisément (et de ce point de vue, une surprise reste possible)… Divers noms ont été avancés et celui du général Powell est le dernier en date, et le plus inattendu. A aucun moment en en aucune façon, il n’avait été précédemment évoqué. L’appréciation qu’on peut avoir de cette idée est qu’elle semble surtout être le fait d’une soudaine foucade d’Obama, trouvant ou croyant trouver dans Powell un appui solide dans un climat délétère où le président se sent de plus en plus isolé. Le fait que les deux hommes soient Africains-Américains a peut-être également joué, quoi qu’il ne soit guère politically correct d’évoquer une telle possibilité. Quoi qu’il en soit, c’est de cette façon que nous verrions une nomination de Powell, comme un acte d’un homme (Obama) de plus en plus désorienté et cherchant des appuis nouveaux. La nomination aurait ainsi bien plus à voir avec la psychologie et la politique interne de l’administration Obama qu’avec les capacités de Powell pour conduire le Pentagone dans une situation de crise structurelle et ontologique.

Et c’est essentiellement sur ce dernier point, mais aussi d’une certaine façon sur les précédents, qu’une telle hypothèse soulèverait bien plus de problèmes qu’elle n’en résoudrait. Powell est un homme de fausse autorité, un serviteur du service public US bien moins ferme et volontariste qu’il ne fait croire ou qu’il ne le laisse croire à ses hagiographes. Sa carrière de secrétaire d’Etat dans une administration qu’il haïssait, pour appliquer une politique qu’il désapprouvait complètement, est surtout une succession de capitulations et de reculades devant ses adversaires, d’autant de couleuvres prestement avalées sans jamais la moindre esquisse de révolte, sinon de ripostes au moins verbales, bien qu’il en eut largement la capacité dans une fonction dont l’autorité est très grande. S’il se fait remarquer par la vanité, Powell ne brille pas par son courage intellectuel et sa force de caractère. En tant qu’Africain-Américain, justement, il a d’ailleurs été défini de façon féroce par Harry Belafonte en octobre 2002, de house slave (expression désignant, aux USA, les esclaves noirs favoris et “collaborateurs” de leurs maîtres blancs). Même sans se fixer sur l’aspect racial du jugement, on peut admettre qu’il est une assez bonne définition du caractère de Powell dans la structure technobureaucratique du système.

Powell est un exécutant zélé et un excellent gestionnaire, et, politiquement, un homme habité de l’esprit bureaucratique, qui a par conséquent toujours songé à sa carrière selon les références bureaucratiques. Même son service au combat au Vietnam est parsemé d’anecdotes et de diverses précisions montrant que, y compris dans ces conditions de tension guerrière, Powell restait attentif à sa carrière. Dans l’hypothèse de la prise en main du Pentagone, et à l’âge de 73 ans, c’est bien sûr moins à sa carrière qu’à sa “marque” dans l’Histoire qu’il songerait et, pour lui qui a le conformisme bureaucratique chevillé au corps, cela signifierait faire le moins de vagues possibles, apparaître comme parfaitement en accord avec sa bureaucratie et ainsi de suite. Tout le contraire que ce dont a besoin le Pentagone, et, de la même façon, du conseiller dont on a besoin le président Obama pour tenter de sauver sa présidence.

A l’heure présente et dans les circonstances présentes, Powell serait sans doute l’un des pires secrétaires à la défense qu’on puisse imaginer. (Autant qu’il aurait été au contraire un assez bon secrétaire à la défense dans les temps normaux où la gabegie, la corruption et l’inefficacité du Pentagone restaient encore dans les normes admises et les moyens disponibles du Système.) Ancien militaire, il serait prisonnier de la coterie des militaires et des bureaucraties qui leur sont liées et se verrait obligé de défendre leurs exigences alors que le Pentagone demande un homme capable d’affronter les militaires et leurs bureaucraties, et de combattre leurs exigences. Son indécision chronique, qui tient à son caractère faible et à son conformisme, lui interdirait les décisions fondamentales et de rupture qu’exige la situation actuelle du Pentagone. En fait, si Powell était nommé au Pentagone, où il penserait couronner sa carrière d’un grand ministère mené avec sagesse et une certaine habileté de gestionnaire, il présiderait sans aucun doute, par son comportement justement, à la plus grande catastrophe structurelle du plus grand système anthropotechnocratique de notre époque. Il ne verrait rien venir et il ne saurait rien faire pour en limiter les effets et en prévenir les conséquences.

Quant à ses liens avec Obama, et pour ce qu’un Obama en attendrait éventuellement selon Harnden, Powell serait le plus mauvais conseiller qu’on puisse imaginer. Il ajouterait son conformisme et son absence d’autorité naturelle à la distance et à l’espèce de détachement d’Obama, catastrophiques dans les circonstances présentes et qui n’ont fait que plonger le président dans la dépression, l’entraînant sur la voie de demi-mesures sans efficacité et d’une indécision généralisée pour la politiques volontariste nécessitée par les mêmes circonstances. Ce serait un autre Hamlet, d’une autre sorte, pour conseiller Hamlet-président.

Mais quoi, l’hypothèse va bon train, et cette nomination n’est rien moins qu’impossible. C’est dans l’émotion, dans l’emportement qu’implique la situation générale de désarroi que sont prises aujourd’hui les décisions à Washington. Powell le faux sage et le faux dur irait bien dans ce cadre général.


Mis en ligne le 6 décembre 2010 à 06H32