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22 septembre 2002 — Nombre de diplomates européens ont pris l'habitude de diviser l'administration GW en deux : Colin Powell d'un côté, tous les autres de l'autre. Selon ce jugement qui est devenu presque un réflexe, le secrétaire d'État représente l'aile (bien réduite) honorable de Washington, et, peut-être, la dernière chance d'une évolution convenable et plus apaisée. Bref, Powell, c'est la colombe, isolée mais qui tient ferme, et qui dispose au moins d'un prestige immense et du soutien multilatéraliste (comme lui-même est supposé être) de la communauté internationale.
Il y a fort à craindre que c'est faire beaucoup d'honneur à Colin Powell que de le doter implicitement, comme dans le portrait rapidement tracé ci-dessus, d'un caractère lui donnant la force d'affirmer une position politique originale, maintenue sur sa valeur propre, contre le courant général. Son brillant passé, du point de vue de la carrière, a souvent donné l'occasion de constater qu'il s'agissait pour autant de la récompense d'un homme capable de bien conduire sa progression dans les labyrinthes bureaucratiques du pouvoir à Washington. Même sa carrière militaire opérationnelle fut mise en question dans le même sens par certains biographes critiques.
D'une façon générale, et sans pour autant porter nécessairement un jugement de valeur, on a souvent conclu que Powell est un tacticien, un exécutant, plutôt qu'un stratège et un créateur. D'où sa capacité à s'adapter aux impératifs de la bureaucratie. Il y a toutes les chances pour que le multilatéralisme que les Européens s'entêtent à découvrir chez Powell soit plutôt un multilatéralisme répondant aux impératifs triomphant actuellement à Washington, au sein du pouvoir et dans la bureaucratie ; c'est-à-dire, au bout du compte, un multilatéralisme à la sauce Kagan (voir la définition qu'en donne Kagan dans notre F&C, 14 septembre).
Colin Powell a montré effectivement l'orientation de ses conceptions dans le sens que nous évoquons lors de son audition au Congrès (Chambre des Représentants), le 19 septembre. Son intervention devant la Commission des relations Extérieures de la Chambre a été la prise de position la plus dure qu'il ait manifestée jusqu'à maintenant sur le problème irakien. Une source proche des milieux neo-conservatives, adversaires jurés de Powell, expliquait que « ce qui importe à Powell, c'est d'avoir un rôle de diva. A partir du moment où on lui redonne de l'autorité, comme depuis qu'il y a cette affaire de l'ONU, il peut accepter de suivre les lignes les plus dures. »
Ce 19 septembre, au Congrès, Powell a donc témoigné et a violemment condamné l'idée d'inspections en Irak. Il a été jusqu'à annoncer que, si ces inspections avaient lieu, les Américains s'arrangeraient pour les saboter. La chose a été notée à deux reprises par le Washington Times, le 20 septembre et le 21 septembre, la deuxième fois en soulignant encore plus la gravité du propos (le Washington Times n'est pourtant pas un tendre sur la question).
Le Washington Times du 20 septembre : « “There is standing authority for the inspection team, but there are weaknesses in that authority which make the current regime unacceptable. We need a new resolution to clean that up and to put new conditions on the Iraqis so that there is no wiggling out,” Mr. Powell said.
» He said yesterday that the existing inspections regimen is so unacceptable that “if somebody tried to move the team in now, we would find ways to thwart hat.” »
(...)
Le Washington Times du 21 septembre : « The secretary of state went so far as to say the existing inspections regime — flouted by Saddam for years before he kicked U.N. inspectors out of Iraq in 1998 — is so unacceptable that “if somebody tried to move the team in now, we would find ways to thwart that.” »
La déclaration de Powell est bien que, s'il le faut, les USA interviendront par un moyen ou l'autre pour “contrecarrer” le processus d'inspection, en d'autres termes pour le saboter. Quand Saddam a accepté les inspections le 16 septembre, il s'agissait toujours d'un processus légal, reconnu et soutenu par l'ONU, USA compris. C'est ce processus légal dont le secrétaire d'État dit, publiquement, qu'on saura bien comment le “contrecarrer”.
La déclaration de Powell vient, comme un hasard révélateur, le même jour où la nouvelle stratégie américaine est installée officiellement par le président Bush. On ne peut rêver acte officiel plus unilatéraliste que cette stratégie de “la frappe préventive”. C'est évidemment à l'esprit qui préside à cette stratégie, qui est qu'on se trouve quitte de tout arrangement international qui contrecarre n'importe quelle action des USA, que le secrétaire d'État nourrit ses observations sur la façon d'empêcher que le processus légal d'inspection de l'ONU en Irak soit mené à bien. Cela suffit pour observer combien le multilatéralisme prêté à Colin Powell est une affirmation, effectivement, très fortement contestable.