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7 mai 2003 — L’Irak attise les oppositions à Washington. Ce n’est pas nouveau mais cela ne cesse de s’amplifier, de prendre une allure structurelle. De plus en plus se vérifie la remarque que la “vraie guerre” a lieu à Washington D.C., pas dans les sables irakiens et alentours.
Le plus gros de cette guerre, et le plus visible, est entre State (Powell) et DoD (Rumsfeld). Le dernier épisode en date démarre avec la nomination hier de Paul Bremer III à la tête de l’administration intérimaire (US) de l’Irak ; on s’interroge alors de savoir quel rôle il va réellement jouer avec l’actuel administrateur, le général Jay Garner, avec l’hypothèse qu’il va sans doute l’avoir sous ses ordres puisqu’il est présenté de cette façon, mais de façon prudente (selon le New York Times d’hier : « L. Paul Bremer, who served as an ambassador at large for counterterrorism in the Reagan administration, will assume the post and outrank Jay Garner, the retired lieutenant general who has been in charge of postwar administration until now »). Pour expliquer cette présentation, il faut dire que Garner semble être l’homme du DoD (Rumsfeld) et Bremer, —— peut-être, cela reste à voir, — celui de State (Powell). (Toutes ces précautions de langage sont complètement nécessaires.)
La thèse était exposée de la façon suivante par BBC News, le 4 mai :
« The Pentagon's prominent role in Iraq has caused unease. A former US state department official is reported to have been appointed civilian administrator of Iraq. According to Newsweek magazine, Paul Bremer would have authority over Jay Garner, the retired general currently in charge of reconstruction efforts, who in turn currently reports to US Defence Secretary Donald Rumsfeld.
» The new appointment is said to have been designed to resolve bitter infighting between the Pentagon and the US state department over the future of Iraq. It could also be seen as a victory for Secretary of State Colin Powell. »
Hier matin, un nouveau rebondissement était annoncé dans cette affaire, avec l’annonce par The Independent du départ de Garner, et son remplacement pur et simple par Bremer. L’information reste largement conditionnelle puisqu’elle n’a reçu aucune confirmation un jour plus tard, la seule certitude étant qu’elle contribue à faire de cette affaire le reflet précis d’une situation extrêmement fluide, encore plus à Washington D.C. qu’à Bagdad.
Voici ce qu’écrit The Independent :
« Jay Garner, the former general who was appointed Iraq's chief civil administrator, was on his way out last night as it became clear that Washington was dropping him in favour of a former diplomat equally close to the Bush government. General Garner is likely to leave Iraq within weeks after a decision that he was not up to the delicate political task of coaxing the country towards democracy.
» General Garner's somewhat erratic style on political issues was evident yesterday after he said the ''beginning of a nucleus of an Iraqi government'' would be in place by mid-May. In fact about half a dozen former leaders of opposition to Saddam Hussein are expected to be in charge of convening a conference in four weeks' time, which will be designed to agree a transitional government. »
Le problème, avec cette annonce qui constitue un désaveu de Garner et de son travail en Irak, comme d’ailleurs les autres annonces de l’arrivée de Bremer qui implique un désaveu de Garner, c’est que le secrétaire à la défense Rumsfeld n’a cessé ces derniers jours de tresser à son général pro-consul des lauriers ; en même temps, il opposait jusqu’à hier un mur de dénégation implicite à l’annonce de la nomination de Paul Bremer. On en a encore une idée avec cet échange, au cours d’une interview avec Fox News, le 4 mai :
« Question : General Garner, what is his role now? What is he doing with the civil and administrative? (Inaudible.) form the State Department.
» Rumsfeld: General Garner is doing a terrific job, he’s a very talented person and a
friend and the country is fortunate that people of that caliber will pick and go off
and help to serve our country and the coalition and the people of Iraq. There has
been no announcement by the White House on anyone else. »
La confusion est donc extrême. Elle l’est encore plus lorsqu’on précise la personnalité et la carrière de Bremer. Il est présenté comme un “homme de Powell” puisqu’il semble (est-ce sûr ?) dépendre du State Department. D’autre part, il est présenté comme très proche des néo-conservateurs, les extrémistes eux-mêmes très proches de Rumsfeld, — comme le note The Independent : « Although the change replaces a Pentagon appointee with a State Department person, Mr Bremer is thought to be close to neo-conservatives around the US Defence Secretary Donald Rumsfeld. »
(Les rapports entre State et DoD sont aussi marqués par une lettre très récente de Powell à Rumsfeld, où le premier rappelle au second qu’il serait temps qu’il envisage de libérer certains des détenus de Guantanamo. Rumsfeld s’apprêterait à lâcher du lest sur cette question. La lettre a évidemment ajouté un élément de tension entre les deux hommes, entre les deux bureaucraties.)
La guerre est définitivement revenue à Washington. L’Irak y a ajouté un élément d’affrontement majeur. On peut envisager de dire qu’en aucune autre période de l’histoire moderne des États-Unis, les factions au coeur du gouvernement ne se sont affrontées aussi haineusement et d’une façon aussi dévastatrice. Il est probable que ce fait va jouer un poids grandissant dans la situation de la politique étrangère US, qui va être toujours plus déterminée en fonction de la situation intérieure plus qu’en fonction de la politique extérieure qu’elle est censée traiter.