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1638Nostra maxima culpa… Nous avons souvent fait le portrait de Leon Panetta comme un bon vivant porteur d’une liste “Secret Défense” des meilleurs restaurants de Washington, mais le portrait s’avère incomplet. Certes, le secrétaire à la défense US est un bon vivant mais il est aussi un homme de foi, catholique pratiquant. Sa visite, le 16 janvier 2013, au pape Benoît XVI n’avait rien de diplomatique ni aucun rapport avec les intérêts de sa position puisque son successeur (Hagel) est déjà nommé et le remplacera dès que le processus de confirmation du Congrès sera parvenu à son terme (de toutes les façons, Hagel confirmé ou pas, Panetta, qui a 74 ans, a décidé de quitter ses fonctions publiques). Sa visite marquait donc essentiellement le souhait du catholique de rendre compte selon ses convictions, – sinon de se confesser, – à propos de ses années de pouvoir passées à la CIA et au Pentagone.
Il est vrai qu’une telle rencontre, à un tel moment de la carrière d’un secrétaire à la défense, ou pour toute autre personnalité de ce rang dans ces conditions d’ailleurs, constitue une occurrence tout à fait exceptionnelle. L’analyste Ray S. McGovern, lui-même ancien analyste de la CIA passé à la “dissidence” de la critique de la politique extérieure de puissance des USA, nous présente Panetta en visite au Vatican, pour demander la bénédiction du Pape (le 19 janvier 2013, sur Consortium.News).
«Defense Secretary Leon Panetta, a practicing Catholic, sought a blessing on Wednesday from Pope Benedict XVI. Afterward Panetta reported that the Pope said, “Thank you for helping to keep the world safe” to which Panetta replied, “Pray for me.” In seeking those prayers, Panetta knows better than the Pope what moral compromises have surrounded him during his four years inside the Obama administration, as CIA director overseeing the covert war against al-Qaeda and as Defense Secretary deploying the largest military on earth.»
McGovern est, lui aussi, un catholique pratiquant, et il considère cette implication religieuse, marquée pour les deux hommes (Panetta et lui) par une éducation commune chez les Jésuites, comme un aspect très important de la personnalité et de l’engagement dans des affaires de sécurité nationale. A partir de cette conception et de ce qu’il savait de Panetta, McGovern avait espéré, avec ferveur c’est le cas de le dire, que la nomination de Panetta à la tête de la CIA par le nouveau président Obama début 2009, conduirait à une œuvre de réforme fondamentale des pratiques détestables de l’agence telles qu’elles avaient été développées sous l’administration GW Bush. McGovern, qui semble avoir eu des liens personnels avec Panetta, avait clairement énoncé ses espérances à cet égard, dans un article, début 2009, dont il donne des extraits conséquents dans l’article cité ici. Il a été profondément déçu par le comportement de Panetta, couvrant à la CIA puis au Pentagone, la poursuite voire l’accentuation dans certains cas de pratiques telles que les assassinats illégaux, la poursuite de la torture, le soutien actif de cas de violation manifeste de la Constitution par le président Obama, etc… Ce qui expliquerait, selon McGovern, le besoin où se trouve Panetta d’aller recueillir la bénédiction du Pape et de lui demander de prier pour lui. (On observera que le désappointement et l’amertume de McGovern s’étendent par ailleurs à Benoît XVI lui-même, et au comportement du Vatican en général.)
«…So, while it’s possible that historians will discover in decades to come that Panetta gave President Obama sage advice and tried to bend the arc of U.S. military violence downward, I, for one, remain deeply disappointed with Panetta and regretful of my earlier optimism.
»I had the preconceived and, it turns out, misguided notion that Panetta, who a year earlier had denounced torture, and who brought with him a wealth of experience and innumerable contacts on Capitol Hill and in the federal bureaucracy, would be not only determined but also able clean up the mess at the CIA. Moreover, I persuaded myself that I could expect from Panetta, a contemporary with the same education I received at the hands of the Jesuits including moral theology/ethics, might wear some insulation from power that corrupts. I have learned, though, that no one is immune from the sirens of power, which is an alternative way to explain Panetta’s actions over the past four years… […]
»Now, after four years in this swamp of moral and legal relativism, Panetta has turned to Pope Benedict for prayers and blessings, an ironic choice since Benedict himself has shown a high tolerance for sloshing around in this muck. In April 2008, Benedict visited the United States amid sordid disclosures about the Bush administration’s practices of torture and worldwide recognition that Bush had ordered the invasion and occupation of Iraq based on false claims about WMD and ties to al-Qaeda.
»On torture, reporting by ABC depicted George W. Bush’s most senior aides (Cheney, Powell, Rumsfeld, Ashcroft, Rice and Tenet) meeting multiple times in the White House during 2002-03 to sort out – complete with practical demonstrations – the most efficient mix of torture techniques for captured “terrorists.” When initially ABC attempted to insulate the President from this sordid activity, Bush responded that he knew all about it and had approved. But Benedict maintained a discreet silence, placing feel-good scenes of happy Catholics cheering his presence over a moral obligation to condemn wrongdoing, a pattern that has recurred far too frequently in the history of the Vatican.»
Quoiqu’il s’agisse de circonstances bien différentes, le cas de Panetta, comme ancien directeur de la CIA, pourrait se rapprocher de celui de William Colby, directeur de la CIA par intérim entre 1973 et 1975 après avoir été un opérationnel impliqué dans des opérations aussi cruelles que le
La démarche de Panetta auprès du pape Benoît XVI (“Priez pour moi”) ressemble dans l’esprit à cette démarche de Colby et rejoint une longue lignée de dirigeants de sécurité nationale aux USA touchés par des troubles psychologiques du fait de leurs activités, avec chez certains une forte dimension spirituelle. On commencerait la liste de ces “incidents” par le suicide du premier secrétaire à la défense de nom, James Forrestal, en mars 1949, suite à une grave dépression, et l’on pourrait poursuivre en se référant aux problèmes psychologiques et moraux graves du secrétaire à la défense du temps du Vietnam, Robert McNamara, dont le président Johnson ordonna le départ au printemps 1968 (McNamara partit à la Banque Mondiale), de crainte que son ministre ne se suicidât.
James Carroll, auteur remarquable, ancien séminariste devenu activiste, fils du général de l’USAF qui mit en place la Defense Intelligence Agency, a longuement parlé dans ses différents écrits, notamment dans son superbe livre House of War, du poids mythique et mystique du Pentagone (Moby Dick ou “le grand cachalot blanc”, selon le secrétaire à la défense et poète à ses heures William Cohen). Bien entendu, parlant du Pentagone, on peut aussi bien entendre, réunis à lui, la CIA et tous les organismes du système de la sécurité nationale aux USA, l’ensemble étant effectivement symbolisé par le Pentagone, et perçu comme une entité maléfique, proche de la situation ou de la substance d’un égrégore. (C’est bien l’impression que laisse percer Carroll à de nombreuses reprises, ses réflexions à caractère métaphysique étant alliées à une exceptionnelle connaissance des personnalités et des événements liés à ce complexe. On a pu voir sur ce site des commentaires et des interventions de James Carroll, le 20 juillet 2006 et le 14 juillet 2009).
Il y a effectivement quelque chose de singulier dans l’ensemble de sécurité nationale US, une sorte d’unicité et d’identité spécifiques qu’on ne retrouve nulle part ailleurs, dans aucun ensemble de cette sorte, y compris dans ce qui fut le “complexe militaro-industriel” (CMI) soviétique – dont Carroll disait justement que Gorbatchev avait réussi à le terrasser avec la chute de l’URSS, et que c’était peut-être là sa plus grande réussite. (Il y a dans l’origine du CMI américaniste et de toute la nébuleuse de sécurité nationale et du système du technologisme des connexions étranges et à connotation mystiques et symboliques autant que technologique et scientifique avec le nazisme ou des idéologies s’en rapprochant, – les origines mêmes du milieu des années 1930 du CMI étant fondées sur une conception suprématiste de la “race anglo-saxonne”. [Voir notamment le 26 janvier 2003 et le 1er août 2011.] Nick Cook, enquêteur et auteur britannique, a détaillé le fait à propos des liens au moins indirects entre le CMI et la nébuleuse nazie, notamment la SS, notamment avec le développement d’une “conception nazie” des sciences fondamentales. Voir le 21 juillet 2005.) Ainsi doit-on trouver dans la démarche de Panetta, – hors des ricanements et sarcasmes d’usage, de type voltairien modernisé et esprits forts attenants, et même hors de la critique plus factuelle et intéressante de McGovern sur les activités de Panetta, – un exemple de plus de l’angoisse et du sentiment de culpabilité que fait peser ce monstre sur certains de ceux qui sont placés à sa tête et qui exécutent le plus souvent de façon au moins zélée la mission de sembler le diriger dans les entreprises de déstructuration et de dissolution du monde qu’il réalise systématiquement à travers le monde. On trouve dans ces divers occurrences impliquant les diverses personnalités citées un exemple d’opérationnalité des fonctions maléfiques, si ce n’est du Mal lui-même, par rapport à l’être humain, le sapiens : à savoir, la proximité extrême de cette source maléfique que peut atteindre le sapiens sans pour autant être complètement mauvais. (Ce qui retrouve l’appréciation de Plotin que nous citons souvent : «… Mais les autres, ceux qui participeraient de lui [le mal] et s’y assimileraient, deviennent mauvais, n’étant pas mauvais en soi.»)
Mis en ligne le 22 janvier 2013 à 14H46